De gauche à droite, le digesteur, le réservoir de stockage du digestat et le post-digesteur d'une unité de méthanisation. (©ARENE-C. Bertolin)
Définition
La méthanisation est un processus de décomposition de matières pourrissables (putrescibles) par des bactéries qui agissent en l’absence d’air. On nomme ce processus de décomposition « fermentation anaérobie ».
Ce procédé permet de générer une énergie renouvelable, du biogaz qui comporte entre autres du méthane (CH4, dans des proportions de 50% à 70%, et du dioxyde de carbone (CO2) ainsi que du compost (un « digestat » utilisé comme fertilisant). Le biogaz peut être transformé en chaleur, en électricité et en carburant pour véhicules. Le phénomène de méthanisation se produit naturellement dans les gaz des marais, lieu de décomposition de matières végétales et animales où l’on peut observer la formation des bulles à la surface de l’eau.
On distingue deux types de déchets que l’on peut méthaniser :
Les effluents liquides :
- les eaux résiduaires, urbaines ou industrielles ;
- les effluents d'élevage (lisiers) ;
- les boues d'épuration qui sont souvent des boues mixtes composées des boues primaires et des boues biologiques. Les boues primaires sont les dépôts récupérés par une simple décantation des eaux usées et les boues biologiques sont principalement constituées de corps bactériens et de leurs sécrétions ;
- les effluents agro-alimentaires.
Les déchets solides organiques :
- les déchets industriels : déchets de transformation des industries végétales et animales ;
- les déchets agricoles : substrats végétaux solides, déjections d'animaux ;
- les déchets municipaux : journaux, déchets alimentaires textiles, déchets verts, emballages, sous-produits de l'assainissement urbain.
Les matières sont broyées et liquéfiées, puis pasteurisées à 70°C pendant une heure dans des cuves d'hygiénisation. Puis il est brassé pendant plusieurs dizaines de jours dans une cuve à 38°C. Concrètement, le processus de méthanisation pour produire le biogaz est issu de la dégradation de la matière organique par un régime bactérien en l'absence d'oxygène. Enfin, le résultat est traité pour en retirer uniquement la molécule de méthane, alors odorisée et injectée dans le réseau gazier.
Le gaz est compressé pour être mis à la bonne pression pour son transport. Il subit également un comptage de son volume, et un contrôle de qualité pour que le gaz injecté réponde aux standards du transporteur.
Ce circuit va à l'encontre du fonctionnement traditionnel du réseau. Historiquement, le réseau du gaz fonctionne à sens unique pour acheminer du gaz à haute pression vers des interconnexions où la pression est abaissée pour approvisionner ensuite des installations industrielles ou rejoindre le réseau de distribution. La station de rebours fait l'inverse.
En outre, il est aussi possible de générer du GNV ou du e-méthane comme carburant automobile.
Fonctionnement physique du procédé
La méthanisation est un procédé complexe. Le principe est le suivant : les déchets organiques sont stockés dans une cuve cylindrique et hermétique que l’on appelle « digesteur » ou « méthaniseur » dans laquelle ils sont soumis à l’action de micro-organismes (bactéries) en l’absence d’oxygène. Les réactions biologiques mises en jeu par la méthanisation sont complexes, mais globalement on repère trois grandes étapes :
- l’hydrolyse et l’acidogénèse : les chaînes organiques complexes (protéines, lipides, polysaccharides) sont transformées en composés plus simples (acides gras, peptides, acides aminés) ;
- l’acétogénèse : les produits de l’acidogénèse sont convertis en acide acétique ;
- la méthanogénèse : l’acide acétique est transformé en méthane et en gaz carbonique.
Une fois méthanisée, la matière résiduelle (digestat) est stockée.
Il existe également un procédé physique, la méthanation, qui, par gazéification de biomasse sèche, généralement du bois, sous l’effet de la température, conduit à la production de méthane, de gaz de synthèse et de CO2. Ce procédé, dont une version primitive était à la base des gazogènes utilisés pour la traction automobile pendant la Seconde Guerre mondiale, est actuellement en cours de développement pour la production de méthane « vert ».
Schéma explicatif du processus de méthanisation (©Connaissance des Énergies)
Productions à partir de la méthanisation
La production énergétique d’une unité de méthanisation traitant 15 000 tonnes/an de déchets permet, en équivalence :
- d’assurer la consommation de carburant de 60 bus urbains(2).
- de garantir le chauffage de 700 maisons ou l’eau chaude sanitaire de 3 500 maisons.
- de garantir par cogénération l’électricité spécifique de 1 300 logements, plus l’eau chaude pour 2 000 autres.
En Europe, la méthanisation se développe dans des pays tels que l’Autriche, le Danemark, la Suisse et surtout l’Allemagne, pays le plus avancé dans ce secteur avec une dizaine de milliers d'installations (générant près de la moitié du biogaz produit en Europe).
En France, la filière biogaz s'est significativement développée ces dernières années grâce aux aides publiques dédiées (Fonds Chaleur, revalorisation du tarif d'achat, etc.), notamment depuis le Grenelle Environnement. On recense aujourd'hui plus de 200 sites d'injection de méthane dans le pays.
Sources : GRDF + Ministère de la Transition Ecologique
Selon le Commissariat général au développement durable, la production de biogaz (et sa valorisation sous forme électrique ou thermique) va continuer à fortement augmenter dans les prochaines années, au regard des nombreux projets en cours et au fort potentiel de la filière. Le secteur du biométhane en France connaît la croissance la plus rapide d'Europe, d'après la European Biogas Association (EBA).
Son développement va être favorisé par une disposition de la loi Anti-gaspillage (Agec), qui prévoit que tous les particuliers doivent disposent d'une solution de tri de leurs biodéchets depuis le 1er janvier 2024, afin de favoriser cette énergie renouvelable et rendre l'économie plus circulaire.
Construire un méthaniseur
Le développement d’unités de méthanisation est souvent présenté comme le moyen pour des agriculteurs de diversifier leur activité et de bénéficier d’un revenu complémentaire.
L'installation d'un méthaniseur « à la ferme » commence par le dimensionnement des installations. Par exemple, pour disposer d’une unité de méthanisation de 100 kW de puissance, les effluents de 362 vaches laitières seraient nécessaires(1).
Pour l'évaluation économique et technique et le cadre réglementaire, les agriculteurs souhaitant installer un méthaniseur sur leur exploitation doivent être accompagnés par un prestataire extérieur (par exemple un bureau d’études ou une chambre d’agriculture) pour suivre les différentes étapes de la réalisation de cette installation qui peuvent durer « entre 2 ans et parfois plus de 4 ans ».
Si elle coûte généralement plusieurs millions d'euros, la construction d'un méthaniseur fait l'objet d'aides publiques. Il faut compter une dizaine d'années pour rentabiliser un site méthanier.
Enjeux économiques
Le biogaz produit par méthanisation est une énergie dont les sources sont assez uniformément réparties dans le monde. Le biogaz peut se substituer au gaz naturel dans tous ses usages actuels : production de chaleur, production d’électricité et carburant pour véhicules.
L'énergie peut donc se substituer aux milliards de mètres cubes importés chaque année par gazoduc et méthaniers, tout en fournissant un revenu supplémentaire aux agriculteurs, collectivités locales et les restaurants notamment.
Graphique: Selectra - Source: Ministère de la Transition Écologique (SDES)
Par ailleurs, la matière digérée restante après le processus de méthanisation appelée « digestat » est majoritairement recyclable, notamment sous forme d’engrais, de quoi se passer donc d'en acheter. Pour les agriculteurs disposant d'une unité à la ferme, ils peuvent produire au passage la chaleur nécessaire à l’exploitation agricole (séchage de fourrage, chauffage de bâtiments d’élevage, etc.). La méthanisation peut donc permettre aux agriculteurs de réaliser des économies substantielles.
Le biogaz peut également leur apporter un complément de revenus par la vente de gaz injecté dans les réseaux, ou la vente de l’électricité issue de sa combustion ; à des tarifs de rachat préférentiels(2) garantis sur 15 ans, "contrairement au lait et au porc", soumis à des cours fluctuants. Un élément de stabilité dans les comptes d'une exploitation.
"C'est l'illustration de ce que peut être l'agriculture de demain. Énergie et élevage sont deux productions complémentaires pour une même exploitation", analyse Marcel Denieul, président du Space, le salon de l'élevage organisé chaque année à Rennes.
Il y a "une synergie entre élevage et énergie, une complémentarité, et non une concurrence [...] Ça donne du sens à tout ce qu'on fait, ça conforte nos élevages et ça nous donne une sécurité sur le long terme" abonde Florent Morel, un agriculteur d'Ille-et-Vilaine.
Enjeux environnementaux et agronomiques
Si le biogaz est une énergie renouvelable, sa production et son utilisation engendrent toutefois des rejets polluants dans l’atmosphère. Des experts ont exprimé leurs réserves quant à l'évaluation des bénéfices en termes d'émissions de gaz à effet de serre. Ceux-ci restent moins importants que ceux des énergies fossiles(3).
Une fois retraité, le digestat est un produit fertilisant à haute valeur agronomique. Il est très facilement assimilable par les plantes car il est majoritairement constitué d’ammoniac, produit de la transformation de l’azote qui y était contenu avant la gazéification. Une cuve de digestat qui déborde à la suite d'un incident technique peut se déverser dans le sol, les rivières et les nappes phréatiques et provoquer un pic d'ammoniac, rendant l'eau impropre à la consommation.
Les conséquences en termes d'accaparement des terres agricoles au profit de cultures à vocation énergétique, spéculation foncière, disparition de productions laitières insuffisamment rémunératrices et augmentation du prix du fourrage et du maïs sont également pointés du doigt.
Le maïs est considéré par les experts comme l'une des cultures les plus productives en biogaz mais une directive de 2016 interdit théoriquement aux méthaniseurs d'injecter plus de 15% par an de produits issus de ressources alimentaires cultivées à titre principal (maïs, orge, choux, etc.).
Certains voient en les micro-méthaniseurs une solution pour éviter les externalités négatives de la méthanisation.
Nuisances pour les voisins
Un méthaniseur génère des situations d'insécurité pour les usagers et les riverains, dont la qualité de vie est altérée.
Pour chaque unité, il peut y avoir jusqu'à 200 camions qui passent tous les jours, alors que les voisins sont habitués à leur tranquillité et que les routes n'ont pas été dimensionnées pour un tel usage.
Quant à l'odeur, depuis 2023, les nouvelles installations de méthaniseurs en France doivent être situées à 200 mètres minimum des habitations environnantes, et non plus 50 mètres, afin d'éviter les nuisances olfactives.
Enfin, il peut y avoir des fuites de gaz. Un contrôle semestriel des pièces d'étanchéité est obligatoire.
Intérêt géostratégique
Le biogaz remplace du gaz fossile importé et participe ainsi à l'indépendance énergétique du pays. Alors que la France et l'Europe doivent apprendre à se passer de gaz russe, la France pourrait couvrir 10% de ses besoins en gaz en 2023, et 100% en 2050.
L'Union européenne s'est fixée comme objectif de produire 380 TWh de gaz renouvelables en 2030. En France, la filière estime son potentiel de production à 60 TWh par an à cet horizon.
"Dans le contexte de pénurie et de raréfaction du gaz russe, on est vraiment content d'avoir du biométhane en France" rappelle Thierry Trouvé, directeur général du gestionnaire du réseau gazier GRTGaz. Il rappelle également qu'il s'agit de " la seule filière d'énergie renouvelable qui a dépassé les objectifs de la loi de programmation pluriannuelle de l'énergie".
Découverte et premières applications
L’histoire de la méthanisation débute en 1776 avec la découverte du méthane par Alessandro Volta. Ce comte et savant italien identifie dans les bulles de gaz émises par les vases en putréfaction du lac Maggiore, l’existence de « gaz hydrogène carboné ».
En 1808, le britannique Humphrey Davy démontre la présence de méthane dans les gaz produits lors de la décomposition de lisiers. Soixante ans plus tard, en 1868, l’agronome Jules Reiset repère le dégagement de l’hydrogène photocarboné (gaz des marais), un gaz combustible en étudiant la dynamique de l’azote dans les fumiers.
Cependant, la première application des traitements anaérobiques est mise en œuvre près de 100 ans après sa découverte. En 1897, un premier digesteur est construit par les Anglais en Inde à Matunga (près de Bombay) avec l’objectif de produire du carburant pour véhicule.
Plus tard, entre les deux guerres, de nombreux travaux font progresser la digestion anaérobie des boues des stations d’épuration, en particulier en Grande-Bretagne et aux États-Unis. De nombreux digesteurs entrent en service dans les années 1930-1940 sur des stations d’épuration et la méthanisation connaît un regain d’intérêt durant la Deuxième Guerre mondiale pour suppléer le manque de carburants. Dans la même logique, les différents chocs pétroliers relancent l’activité biogaz. A l’heure actuelle, les contraintes environnementales et les progrès technologiques réalisés donnent un nouvel attrait à ce mode de traitement des déchets organiques.
Un développement, mais jusqu'à où ?
De manière générale, la méthanisation est en expansion dans les pays riches (par exemple au Canada), comme en Europe. Dans les pays en développement, certains paysans fabriquent des « digesteurs » à leur façon : des bidons, des sacs en plastique, des tuyaux d'arrosage, etc.
Malgré ses atouts, cette technologie nécessite encore des progrès pour être tout à fait efficiente. Le premier point à améliorer est de favoriser l’intégration des installations de méthanisation dans leur environnement. En effet, il faut trouver des débouchés à proximité de ces unités pour écouler la matière organique et l’énergie produites à moindre coût. Ensuite, il faut chercher à affiner la qualité du digestat et du biogaz issus du mécanisme de méthanisation. Une des solutions est de se concentrer sur le tri des matières organiques que l’on peut méthaniser. La qualité du digestat obtenu est tributaire de la nature des déchets organiques traités, mais aussi de la qualité du tri des déchets effectué au départ.
La méthanisation est dans l'incapacité de remplacer l’incinération car elle ne peut pas traiter l’ensemble des déchets actuellement incinérés. En effet, certains matériaux inertes ne sont pas détruits par la méthanisation et peuvent engendrer un dysfonctionnement du procédé.
Le saviez-vous ?
Selon les théories scientifiques, les bactéries responsables de la méthanisation constitueraient les premiers organismes vivants apparus sur Terre, il y a plus de 3 milliards d’années, à une époque où l’oxygène n’existait pas encore dans l’atmosphère. Elles se nourrissaient de molécules organiques présentes dans leur environnement comme aujourd’hui et transformaient le gaz carbonique et l’hydrogène contenus dans ces molécules en méthane et en oxygène.
C’est donc grâce aux bactéries productrices du biogaz que nous sommes là aujourd’hui, puisque c’est à elles que nous devons l’apparition de l’oxygène sur Terre.