
Clean Energy Finance and Investment Mobilisation (CEFIM) Programme, Finance, Investment and Global Relations Division, Environment Directorate, OCDE
Les menaces qui pèsent sur les systèmes électriques s’accroissent rapidement. Conflits, événements climatiques extrêmes et rupture des chaînes d’approvisionnement sont autant de risques pour le bon fonctionnement de nos réseaux.
Or les sociétés contemporaines sont particulièrement dépendantes de leurs systèmes électriques, notamment du fait de l’électrification des usages. Les véhicules électriques, les pompes à chaleur, un nombre croissant de processus industriels et la numérisation de l’économie créent de nouveaux besoins. Plus critique encore, l’électricité est essentielle au fonctionnement de nos hôpitaux, à la sécurité ainsi qu’aux circuits d’approvisionnement en eau et en nourriture.
Pendant les 20 dernières années, les considérations de coût et de réduction des émissions de gaz à effet de serre ont présidé à la conception d’une majorité des systèmes énergétiques(1). Dans un contexte de tensions accrues, la résilience et la sécurité énergétique vont désormais s’imposer comme les deux objectifs prioritaires.
Une nécessaire résilience face à des menaces multiples
Appliqué au secteur électrique, le concept de résilience, entendu comme la capacité à réduire les impacts négatifs des chocs et perturbations(2), englobe adaptation préventive et capacité de réaction. Il s’agit de faire face aussi bien aux phénomènes météorologiques tels que les vagues de chaleur, les tempêtes et autres conséquences directes du changement climatique(3), qu’aux chocs externes (fluctuations excessives des prix du marché, difficultés d’approvisionnement(4), embargos, crises financières, pandémies) et à la violence (conflits armés(5), attaques terroristes, conflits hybrides et cyberattaques(6)).
Cela implique d'analyser les risques émergents et de développer des solutions techniques et financières adaptées – accompagnées bien sûr de ressources humaines pour les mettre en œuvre. Il s’agit, de plus, de s'adapter à ce qu’Edgar Morin appelle une « polycrise »(7), avec des interactions entre différentes insécurités, et de tenir compte des mécanismes de contagion intrinsèques aux systèmes électriques – les défaillances en cascade(8) étant souvent identifiées comme la cause première des pannes d'électricité généralisées.
La sécurité énergétique n’est pas un sujet nouveau : les chocs pétroliers des années 70 ont conduit à la mise en place de mesure d’économies d’énergie et de réserves stratégiques de pétrole. Il s’agissait non seulement d’assurer la continuité de l’approvisionnement en énergie, mais aussi de contenir son coût à un niveau raisonnable.
Aujourd’hui, la résilience est une composante essentielle de la sécurité énergétique. La nature des risques a changé, mais les solutions à notre disposition sont aussi plus nombreuses. Le déploiement d’équipements efficaces en énergie réduit les volumes nécessaires à un usage donné, tandis que les énergies renouvelables permettent de répartir la capacité de production installée sur le territoire à un coût de plus en plus bas.
Les énergies renouvelables, ingrédient essentiel de notre sécurité énergétique
Elles permettent de répartir la capacité de production d’électricité sur le territoire
La baisse des coûts du photovoltaïque (- 21% en 2024(9)), des batteries électro-chimiques (- 40% en 2024(10)) et des autres ressources énergétiques diffuses, ainsi que la capacité des sous-systèmes à fonctionner comme des micro-réseaux, ont introduit de nouvelles options pour la résilience énergétique.
Tandis que les réseaux électriques centralisés reposant sur un nombre limité de centrales thermiques s’exposent à des interruptions dont l’impact peut être majeur pour une économie – ils se prêtent notamment plus à un détournement à des fins miliaires des infrastructures, un risque illustré par la prise de contrôle de la centrale de Zaporijia par l’armée russe(11) – les réseaux décentralisés, avec des centrales renouvelables de tailles variées et réparties sur le territoire, sont plus à même de contenir les conséquences d’un choc localisé.
Cette contribution des énergies renouvelables à la sécurité énergétique peut être modélisée, par exemple en appliquant la trajectoire d’ouragans passés à différentes configurations du réseau(12).
Elles permettent de limiter la dépendance aux chaines d’approvisionnement
En termes de sécurité d’approvisionnement, les technologies de production d'électricité ont des profils très différents : un projet de centrale éolienne ou solaire devra initialement acheter des turbines ou des panneaux, mais ne sera pas exposé aux risques de rupture de la chaîne d'approvisionnement pendant le reste de sa durée de vie (20 à 30 ans), sauf pour les pièces de rechange qui ne sont pas stockées sur place.
L'hydroélectricité présente un profil comparable avec une durée de vie encore plus longue.
Les centrales électriques alimentées à la biomasse, au charbon, au pétrole et au gaz ont généralement des réserves de combustible de quelques mois(13), tandis que les centrales nucléaires peuvent avoir des stocks de combustible plus importants.
Elles permettent de diversifier les profils de production au sein du parc de centrales
Il est souvent possible d’assurer la couverture des besoins en électricité en utilisant une combinaison d'énergies renouvelables. L'hydroélectricité, l'énergie éolienne et l'énergie solaire dépendent de cycles naturels différents et sont donc sujettes à des variations de production sur des échelles de temps différentes(14).
Une étude du service météorologique allemand DWD(15) illustre cela pour le solaire et l’éolien (cf. figure ci-dessous). La géothermie et les bioénergies permettent des synergies supplémentaires, tant en termes de profil de production qu’en termes de vulnérabilité aux risques.
Facteur de charge en Allemagne (moyenne des années 1995 à 2015) - Source : DWD et Hartmut Lauer
Par ailleurs, les centrales électriques d’une même technologie mais situées à des endroits différents peuvent compenser une partie de leurs fluctuations respectives. À titre d’illustration, des données sur trois ans au Danemark montrent que la plus longue durée de temps très calme, avec une production éolienne inférieure à 1 % de la capacité, a été de 35 heures en année 1 et de 58 heures en année 3. En Finlande et en Suède, cette durée a été de 19 heures et en Norvège de 9 heures.
Cependant, si l'on combine la production d'énergie éolienne de ces quatre pays voisins, les données ne font état d'aucune période totalement calme, réduisant potentiellement le besoin de réserve tournante(16). Des résultats similaires ont été trouvés, à une échelle différente, en sélectionnant un groupe de centrales éoliennes suffisamment distantes les unes des autres aux Îles Féroé(17).
Ces complémentarités entre facteurs de charge peuvent être étudiées à différents pas de temps, qui n’ont de sens en termes d’équilibre offre-demande que s’ils correspondent à un niveau de flexibilité, stockage inclus, disponible pour le gestionnaire de réseau. Ainsi, les synergies entre centrales doivent être observées au pas horaire si le réseau ne dispose que d’une flexibilité correspondant à une heure de consommation en période de pointe.
Relier les zones propices à l'hydroélectricité aux zones propices à l'énergie éolienne ou solaire nécessite des investissements dans les réseaux électriques. C’est un défi, notamment pour les marchés émergents (OECD CEFIM, Transmission Grid Financing Models, à paraitre)(18). Toutefois, ces interconnexions réduisent les besoins en stockage et en capacité de secours, et permettent une gestion plus efficace du foncier.
La résilience des lignes de transport et de distribution est une question importante pour les réseaux électriques, car les lignes aériennes peuvent être affectées par des phénomènes météorologiques extrêmes et provoquer de graves accidents, comme l'incendie meurtrier de Maui en 2023, à Hawaï, qui a été déclenché par la réalimentation de lignes électriques brisées. C'est pourquoi les câbles souterrains et la redondance, bien que coûteux, sont des options importantes dans la conception de systèmes électriques résilients.
La combinaison des ressources énergétiques diffuses et des investissements dans le réseau électrique est ainsi de plus en plus pertinente compte tenu de l'évolution du paysage des risques.
Des synergies entre énergies renouvelables et maitrise de la demande
Il est moins coûteux et techniquement plus simple de construire un système électrique résilient si les consommations sont contenues et étalées dans le temps. Certains dispositifs de flexibilisation de la demande représentent un coût quasi-nul(19) et permettent d’éviter des coûts marginaux de production d’électricité élevés lors des pointes de consommation ou lors de périodes de tension sur la production(20). La flexibilité induite par les outils de contrôle de la demande peut être modélisée sous forme de centrales virtuelles, et mise au service de la résilience système(21).
De plus, le « couplage sectoriel » contribue non seulement à l’intégration des renouvelables mais introduit un niveau de redondance additionnel. En intégrant différents types de production et de consommation, il démultiplie aussi le potentiel de maitrise de la demande et la flexibilité induite(22). Sobriété, efficacité énergétique et pilotage de la demande sont des sources d’économie – l’énergie la moins chère est celle qu’on ne produit pas – mais sont aussi la base pour construire un système adapté à la période d’instabilité qui s’ouvre.
Financer des énergies renouvelables et des actions de maitrise de la demande est essentiel pour le développement de systèmes électriques résilients(23). Il est donc inutile, voire contreproductif, de poursuivre séparément les objectifs de réduction des émissions de carbone et de sécurité énergétique. Ces deux buts sont compatibles, et dans une majorité des cas ils se renforcent mutuellement. Plus encore que celui d’hier, le monde de demain nécessite sobriété énergétique, efficacité des usages et énergies renouvelables.
This work, as well as any data and map included herein, should not be reported as representing the views of the OECD, including both its Member countries and its Secretariat. The opinions expressed and arguments employed are those of the authors.
Sources / Notes
- IEA 2024
- Food Security Information Network 2014
- WMO 2025
- IEA 2025
- Peace Research Institute Oslo 2024
- OTAN 2021
- WEF 2023
- Joule 2023
- BNEF 2025
- BNEF 2025
- IISS 2023
- IEEE 2021
- IEA 2025
- CRE
- DWD 2018
- Nørgård et al., 2004
- Poulsen et al, 2022
- Unlocking transmission grid finance and investment for the clean energy transition in emerging markets and developing economies | OECD
- ETC 2025
- DOE 2024-2025
- E+ELeader 2025
- IRENA 2021
- C’est d’autant plus vrai dans les pays émergents, qui sont plus exposés aux conséquences du changement climatique. 6 ans de travaux du programme CEFIM de l’OCDE montrent ainsi que, dans les marchés émergents, les énergies renouvelables sont attractives pour diverses raisons, et non pas seulement pour leur contribution à la décarbonation du mix électrique (OECD CEFIM)