ASNR : missions et organisation suite à la fusion de l’ASN et de l’IRSN

contrôle nucléaire

Le champ d'action de l'ASN et de l'IRSN s'étend à toutes les activités pouvant exposer des personnes à des rayonnements ionisants. Ici, l'inspection d'un convoi de déchets radioactifs. (©ASN/P. Beuf)

Le gouvernement a souhaité mettre en œuvre une réforme de la sûreté nucléaire en France, avec la fusion de l'IRSN et de l'ASN.

L’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) et l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) sont deux organismes français spécialisés dans les domaines de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Ils y assurent respectivement les fonctions d’autorité de contrôle et d’expert technique. Ces deux entités vont fusionner en une seule nouvelle autorité : l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) qui sera créé en janvier 2025.

Missions de sécurité nucléaire

La sûreté nucléaire est l'ensemble des dispositions techniques et des mesures d'organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l'arrêt et au démantèlement des installations ainsi qu'au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d'en limiter les effets.

La sécurité nucléaire comprend la sûreté nucléaire, la radioprotection, la prévention et la lutte contre les actes de malveillance ainsi que les actions de sécurité civile en cas d'accident.

La radioprotection est la protection contre les rayonnements ionisants, c'est-à-dire l'ensemble des règles, des procédures et des moyens de prévention et de surveillance visant à empêcher ou à réduire les effets nocifs des rayonnements ionisants produits sur les personnes, directement ou indirectement, y compris par les atteintes portées à l'environnement.

Pourquoi fusionner les deux organismes ?

La fusion de l'Institut de radioprotection et sûreté nucléaire (IRSN), expert de la sûreté, dans l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), gendarme des centrales, a été décidée à huis clos à l'Elysée en février 2023, à la surprise quasi générale.

C'est dans le contexte de la relance de l'énergie nucléaire en France, avec notamment un programme de six voire 14 réacteurs, que le gouvernement a souhaité fusionner les deux organismes de sûreté en une autorité "plus puissante, plus indépendante, plus attractive", selon le ministre de l'Industrie Roland Lescure. Il s'agit de "gagner en efficacité sur les moyens de l'Etat" et d'"accélérer les procédures et les simplifier".

"La filière défend l'idée qu'une part de ses difficultés vient d'exigences de sûreté déraisonnablement élevées, alors que ses difficultés sont organisationnelles et plus profondes," selon Yves Marignac, chef du Pôle énergies nucléaire et fossiles de l’institut négaWatt. Le gouvernement a pourtant démenti que la goutte de trop ait pu être un avis de l'IRSN de l'automne 2022 imposant la prudence au moment où EDF souhaitait redémarrer un réacteur atteint par de la corrosion, en pleine crise de l'énergie : "on ne transigera pas avec la sûreté nucléaire". La réforme "ne modifie aucune virgule du cadre de sûreté applicable aux exploitants nucléaire", assure le ministère de la Transition énergétique.

La première recommandation du rapport parlementaire sur le projet était de "regrouper les moyens humains et financiers actuellement alloués au contrôle, à l'expertise et à la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection, afin que ceux-ci relèvent d'une structure unique et indépendante".

"Ce qui nous a conduit à cette recommandation (de fusion) c'est l'ampleur du travail devant l'organisme de décision : l'ASN prend plus de 2 000 décisions par an dont seulement 400 relèvent de l'IRSN. Donc il y a une forme de dispersion de l'expertise," a dit à la presse le sénateur LR Stéphane Piednoir, un des rapporteurs.

"Pour faire face aux décennies qui viennent, avec la constructions des EPR2, les visites décennales (des réacteurs existants), plus les start-up portant des nouvelles technologies, il nous semble que, pour améliorer la rapidité de prise de décision, c'est la bonne solution", abonde-t-il, ajoutant qu'il n'y a "pas de critique sur la qualité du travail des uns et des autres".

Son collègue député Jean-Luc Fugit (Renaissance) estime que les nouvelles entreprises entrant sur le secteur y verraient plus "clair". "Avec les nouveaux exploitants, et la montée en puissance (du nouveau nucléaire), peut-être faut-il mieux avoir une seule organisation de la sûreté, un système plus simple, ce qu'on peut appeler la fluidification", a-t-il, estimant que cela permettrait de "simplifier la gouvernance de la sûreté et même son financement".

Quelle nouvelle organisation ?

Le système actuel assure une distinction entre experts et décideurs, les premiers concentrés sur les seuls critères de sûreté (hors éléments industriels, de faisabilité...), les seconds renforcés par cette expertise indépendante.

La loi renvoie l'organisation de cette séparation au futur règlement intérieur, une recommandation faite par l'Office parlementaire des choix scientifiques (Opecst), même s'il s'agit d'une garantie insuffisante pour ses détracteurs.

Distinguer expertise et décision a aussi un sens : "préserver l'expertise scientifique pour qu'elle ne soit pas +polluée+ par des enjeux liés à la décision (enjeux techniques, politiques, économiques, industriels, énergétiques...)", explique l'historien du nucléaire Michaël Mangeon. 

Désormais l'idée est qu'"en règle générale on publie ensemble les décisions et les éléments qui les fondent", a dit Roland Lescure, sauf exceptions (publication des avis "un peu après" pour "les décisions très urgentes", "au fur et à mesure" pour les projets engagés sur des années). Une demande du lobby nucléaire.

Le ministère assure que "cette évolution conduira à renforcer l'indépendance du contrôle en matière de sûreté nucléaire, au sein d'un pôle unique et indépendant".

Pour y arriver au 1er janvier 2025, ASN et IRSN ont installé 12 groupes de travail préparatoires. Mais si la direction de l'ASN, qui soutient le projet, assure que "les discussions se passent bien", les salariés de l'IRSN disent le contraire et réclament la nomination d'un "préfigurateur" neutre.

Pierre-Marie Abadie a été désigné pour préparer puis diriger la future autorité unique de sûreté. Familier des questions énergétiques, il est le directeur général de l'Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra) depuis 2014. Il y a notamment porté le projet Cigéo d'enfouissement en profondeur des déchets les plus radioactifs du parc nucléaire français ; ce projet prévu à Bure actuellement à l'étude à l'ASN. M. Abadie, s'il était nommé, remplacerait d'abord à la présidence de l'ASN Bernard Doroszczuk, dont le mandat, non renouvelable, s'achève le 12 novembre 2024.

Le vote de la loi de fusion

Un projet de loi dédié (relatif à la gouvernance de la sûreté nucléaire) a été présenté en Conseil des ministres après un premier échec au Parlement(1) et a été définitivement approuvé, après une commission mixte paritaire, dans la nuit du 9 au 10 avril 2024.

La loi a été promulguée le 21 mai 2024. Elle prévoit la création de l'ASNR en janvier 2025 et laisse au futur règlement intérieur de cette nouvelle entité le soin d'organiser précisément le rapprochement des l'ASN et de l'IRSN, en précisant en particulier « les modalités de distinction » entre les agents chargés d'expertiser les dossiers et ceux chargés de prendre la décision finale

Le gouvernement étant censé remettre avant le 1er juillet 2024 au Parlement un rapport élaboré avec les acteurs concernés « sur les moyens prévisionnels humains, techniques et financiers nécessaires » à l'ASNR et au CEA en 2025. Et l'ASNR devra évaluer ses besoins dans les cinq années « au plus tard le 1er juillet 2025 ».

La réforme avait d'abord été rejetée en mars 2023 par le Parlement, sur fond de critiques sur la méthode et d'inquiétudes pour la transparence et la qualité de l'expertise.

En mai 2024, le Conseil constitutionnel a rejeté le recours de parlementaires de gauche et du groupe LIOT contre la fusion.

En septembre, le comité social et économique CSE de l'IRSN et son intersyndicale ont demandé le report d'un an de la fusion, déplorant un délai trop court pour son entrée en vigueur au 1er janvier 2025.

Les critiques du projet de fusion

La réforme menée « au pas de charge » a fait l'objet d'une bataille parlementaire et d'une vive opposition tant des syndicats que d'associations, inquiets de voir reculer l'information du public et la séparation entre expertise et décision.

Indépendance

L'expertise sur la sûreté nucléaire devrait faire l'objet d'une "entité distincte" au sein de l'éventuelle autorité unique de sûreté voulue par le gouvernement, recommande la Commission de déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement (CNDASPE), citant l'AIEA.

Fondre l'expertise dans le lieu de la décision pourrait signifier une perte d'indépendance : "il faut laisser un expert technique qui ne travaille que sur la technique, et après, les autorités jugent avec les enjeux qu'elles ont à prendre en compte".  Cela engendrerait aussi la perte de crédibilité de certaines expertises.

Avec un "système moins robuste" avec la mise en place d'une autorité unique qui "va prendre seule toute la pression. Quelle sera sa capacité à résister par exemple en cas de problème sur un réacteur ? Ce sera moins facile".

Evaluations en amont

Dans son avis, le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sûreté nucléaire (HCTISN) demande que "le nombre et la qualité des évaluations de risques scientifiques et techniques en amont des décisions soient maintenus voire confortés"

Une crainte que s'est attaché à démonter l'entourage de la ministre : "le projet de loi conforte le cadre actuel", a-t-il assuré, affirmant que le volume d'informations publiées serait "même renforcé" sur les "sujets à enjeux".

Attractivité

Chez nous, "les salaires sont de 20 à 40% inférieurs à fonction équivalente dans le privé", explique l'ex-DG adjoint de l'IRSN et jeune retraité Thierry Charles. "Devant le flou, il y a un risque de départs, vers Orano, EDF..." car le nucléaire recrute et "les bras manquent".

Selon lui, ce qui attire les chercheurs de l'IRSN c'est "l'intérêt général". "Les salaires sont moins bons qu'ailleurs mais le travail a du sens", dit-il. Une revalorisation significative de 15% des salaires a toutefois été opérée en 2024.

"On voit déjà qu'on a un certain nombre de salariés de l'IRSN qui cherchent à partir pour ne pas être intégrés à l'ASN, donc on va perdre en salariés compétents pour pouvoir faire l'analyse de la sûreté", a indiqué à l'AFP Sébastien Lambert, représentant syndical CFDT au comité national du CEA.

Une "diaspora" des experts de l'IRSN "aurait pour conséquence de priver la France de sa capacité de recherche et d'expertise à un moment crucial marqué par les défis de l'allongement de la durée de vie des réacteurs existants et de la création de réacteurs de nouvelle génération", souligne la motion.

"Tout réorganiser, c'est au minimum trois à cinq ans de pagaille. Et la plupart des accidents ont eu lieu en lien avec des facteurs humains", avertit-il.

Des experts lèvent un autre sujet : quid des recherches menées à l'IRSN qui nourrissent l'expertise ? Qui pour les financer ? Certaines sont aujourd'hui co-financées par les exploitants, ce qui ne sera plus possible au sein d'une future ASN unifiée, où les contrôlés ne pourront financer leur contrôleur.

"Dans le contexte actuel de tension sur les métiers du nucléaire, sans cadre budgétaire défini, sans réflexion ni identification des missions concernées par la fusion et sans garanties concrètes pour les personnels des deux structures, ce projet porterait préjudice à l'attractivité des métiers de l'inspection, de l'expertise, de la recherche et de la prise de décision", s'alarment-ils.

Ils dénoncent également un "retour en arrière", du fait du transfert au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) des 140 salariés de la Direction de l'expertise nucléaire de défense (DEND), jusque là rattachés à l'IRSN. 

Les élus du CEA sont d'ailleurs également opposés au projet de réforme. Comme les salariés de l'IRSN, ils alertent sur le risque de "conflit interne entre les différentes composantes de la future institution", qui mélangerait salariés de droit privé et fonctionnaires.

Quels étaient jusqu'ici les rôles respectifs de l'ASN et de l'IRSN ?

L'ASN et l'IRSN sont nées des leçons de l'accident de Tchernobyl de 1986, révélateur de l'opacité du système français.

L’ASN (516 agents à fin 2022 et 288 millions d'euros de budget en 2022(2)) est une autorité administrative indépendante qui assure des missions au nom de l’État tandis que l’IRSN est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) sous la tutelle de plusieurs ministères. Les deux organismes partagent un rôle d’information et de conseil auprès du grand public et des pouvoirs publics. Ils effectuent conjointement des exercices de crise avec les exploitants nucléaires pour contrôler la sûreté des sites nucléaires et identifier les défaillances potentielles.

L’ASN délivre notamment au gouvernement des avis sur les autorisations d’exploitation des installations nucléaires de base (INB)(3). Elle se prononce en particulier sur le renouvellement des autorisations d’exploitation des réacteurs nucléaires en activité suite à des inspections décennales (tous les 10 ans pour chaque installation). Cette autorité est souvent présentée comme le « gendarme » de l’industrie nucléaire. Elle s’appuie sur les analyses et avis de l’IRSN auquel elle consacre un budget dédié.

L’IRSN (1 744 agents à fin 2022 et 278 millions d'euros de budget en 2022(4)) se présente comme « l’expert public en matière de recherche et d’expertise sur les risques nucléaires et radiologiques ». Cet institut effectue notamment des mesures de contrôle sur les sites nucléaires et des recherches, travaux et formations sur la radioprotection. Il assure en particulier une veille permanente pour détecter d’éventuelles émissions radioactives excessives pouvant affecter la santé des travailleurs et de la population ou l’environnement(5).

Né en 2001 sous l'égide d'une ministre écologiste (Dominique Voynet), "il a toujours été considéré par certains comme allant un peu loin" dans ses exigences. Mais "l'IRSN agit selon les connaissances, et il prône la discussion pour permettre à l'ASN de décider" selon Thierry Charles, ex-directeur adjoint de l'IRSN, citant des cas où l'ASN au contraire a été plus loin que l'IRSN : par exemple pour demander le remplacement du couvercle de la cuve de l'EPR de Flamanville.

Quels modèles à l'étranger ?

Dans les pays nucléarisés, l'organisation de la sûreté peut être construite sur des modèles différents. Des principes communs se retrouvent cependant, notamment la distinction entre ceux qui décident du sort des centrales et ceux qui réalisent les expertises.

Etats-Unis

Ainsi les Etats-Unis ont une institution unique, la Nuclear Regulatory Commission (NRC), créée en 1974, indépendante du gouvernement et n'ayant de comptes à rendre qu'au Congrès. Elle évalue la sûreté des centrales et prend les décisions de mise à niveau, de fermeture... Pour construire un réacteur, il faut en outre le feu vert des autorités locales.

"La NRC est la seule agence compétente, avec en son sein différents bureaux assurant différentes fonctions", explique un porte-parole.

Le gouvernement français cite souvent pour sa réforme l'exemple du "modèle intégré" américain.

Mais la NRC doit soumettre ses évaluations pour avis (consultatif) à une entité indépendante, l'Advisory Committee on Reactor Safeguards (ACRS), composée d'experts. Elle se base aussi sur l'expertise de laboratoires extérieurs, académiques ou industriels.

Par ailleurs, les réunions du collège des cinq commissaires décisionnaires sont publiques, comme au Canada, mais pas en France.

Japon

Les différentes institutions de sûreté existant avant l'accident de Fukushima de 2011 ont toutes été intégrées à l'Autorité de régulation nucléaire (NRA). L'une d'elles, relevant du ministère de l'Economie, chargé du nucléaire entre autres énergies, avait été en particulier visée par des critiques pour conflits d'intérêts.

Aujourd'hui, la NRA est composée de deux entités, rapportant à cinq commissaires: l'Autorisation (Licensing) et la Supervision (Oversight), dotées de 150 et 180 responsables d'expertise.

Depuis, globalement, l'indépendance de la NRA n'a plus été un sujet de controverse.

Belgique

Historiquement la Belgique a toujours eu deux entités, avant d'envisager en 2008 de les réunir sous un même chapeau, puis de finalement renoncer, a expliqué à l'AFP Benoît De Boeck, ex-directeur général de Bel V, l'IRSN belge.

En 2008, la Belgique avait été tentée de réunir ses deux entités sous un même chapeau, avant de renoncer, raconte Benoit De Boeck, ex-directeur général de Bel V, l'IRSN belge. Outre un bénéfice incertain, la transition "risquait de créer des dégâts pendant des années et d'abord de faire fuir une partie des experts. Or perdre des experts peut aller vite, en recruter peut prendre des années".

 

 

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Sources / Notes

  1. Ladite réforme, initialement proposée par le gouvernement par voie d'amendement avait été rejetée dans un premier temps au Parlement en avril 2023. 
  2. Ressources humaines et moyens financiers de l'ASN.
  3. Les INB comprennent schématiquement les réacteurs mais aussi d’autres installations nucléaires fixes où sont fabriqués ou entreposés des combustibles ou des déchets radioactifs.
  4. Chiffres clés 2022 de l'IRSN.
  5. En cas d’accident, c'est l’IRSN qui transmet ses informations à l'ASN qui est en charge de proposer au gouvernement des mesures pour protéger les populations et l'environnement vis-à-vis des rayonnements ionisants.

Site de l'ASN
Site de l'IRSN

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