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L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a annoncé mercredi son feu vert définitif mais sous condition à la cuve du réacteur EPR de Flamanville (Manche) malgré ses anomalies, confirmant un premier avis donné cet été.
"L'anomalie de la composition en carbone de l'acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville n'est pas de nature à remettre en cause la mise en service de celle-ci", estime l'ASN dans un avis rendu mardi et publié mercredi sur son site, l'assortissant toutefois de plusieurs conditions.
En premier lieu, comme elle l'exigeait déjà dans un avis préliminaire donné fin juin, l'ASN exige que le couvercle de la cuve soit remplacé avant la fin 2024. Le gendarme du nucléaire a aussi réitéré sa demande de "contrôles en service" réguliers. EDF prévoit de démarrer l'EPR de Flamanville fin 2018, pour une mise en service commerciale en 2019, quand le calendrier initial tablait sur 2012. Son coût a entretemps plus que triplé à 10,5 milliards d'euros.
Une concentration excessive en carbone avait été détectée fin 2014 sur l'acier du fond et du couvercle de la cuve forgée à l'usine Creusot Forge d'Areva, affaiblissant potentiellement leur résistance, alors que la cuve est un équipement capital dans le confinement de la radioactivité d'un réacteur.
Il avait été décidé qu'EDF devrait mettre en œuvre "des contrôles périodiques supplémentaires afin de s'assurer de l'absence d'apparition ultérieure de défauts". Si ces contrôles sont "réalisables" sur le fond de la cuve, leur "faisabilité" sur le couvercle "n'est pas acquise" et il ne peut donc "être utilisé que pour une durée limitée", fixée à fin 2024, a précisé le président de l'ASN Pierre-Franck Chevet lors d'une conférence de presse.
Une concentration excessive en carbone avait été détectée fin 2014 sur l'acier du fond et du couvercle de la cuve, affaiblissant potentiellement leur résistance, alors que la cuve est un équipement capital dans le confinement de la radioactivité d'un réacteur.
Sans grande surprise après son premier avis de cet été, la décision définitive de l'ASN, que des opposants au nucléaire avaient tenté mardi de bloquer devant la justice, marque une étape cruciale en vue de la validation de la mise en service de l'ensemble du réacteur.
L'autorité a néanmoins pris soin de préciser qu'elle devrait encore procéder à une épreuve d'ensemble pour autoriser la mise en service de la cuve. Pour la suite, "l'instruction par l'ASN (...) de la demande d'autorisation de mise en service du réacteur EPR de Flamanville se poursuit, au fur et à mesure de la transmission des dossiers par EDF", a conclu l'autorité.
Contexte
EDF de son côté était "confiant dans le fait que la cuve", qui mesure 11 mètres de haut et pèse 425 tonnes, "serait déclarée bonne pour le service", a assuré Bertrand Michaud directeur du chantier, rappelant que 1 600 tests avaient été effectués depuis l'annonce des anomalies en avril 2015 par l'ASN. La cuve est à Flamanville depuis 2013.
Le fabricant de la cuve, Areva, a dû effectuer ces tests car l'acier de cette pièce majeure, deuxième barrière contre la radioactivité après la gaine du combustible, présente une concentration excessive en carbone susceptible d'amoindrir sa résistance. Selon M. Michaud, EDF mise toujours sur un "démarrage du réacteur au dernier trimestre 2018".
Un avis négatif de l'ASN sur la cuve aurait eu des conséquences majeures. "Le couvercle de la cuve est interchangeable, mais le fond de la cuve ne l'est pas", a indiqué Jean-Paul Martin ex-directeur adjoint de l'usine d'Areva de la Hague et membre de l'association des écologistes pour le nucléaire, pendant la réunion. "Le fond la cuve est soudé. Si on veut le changer, c'est beaucoup plus compliqué. Ce seraient des travaux très importants", a précisé M. Martin, interrogé par l'AFP.
Et la validation par l'ASN de la cuve est l'une des conditions posées par Bruxelles à son feu vert au rachat par EDF d'Areva NP, l'activité réacteurs du géant du nucléaire en grande difficulté financière. M. Zelnio a souligné que la validation de la cuve n'était qu'une étape dans celle de l'EPR.
Une anomalie sérieuse
L'anomalie de fabrication détectée sur la cuve de l'EPR de Flamanville (Manche) est "anomalie sérieuse", avait estimé Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire, soulignant que l'ASN entendait se forger une "conviction très forte" avant de trancher dans le dossier.
"C'est une anomalie de fabrication que je qualifierais de sérieuse, voire très sérieuse, qui de plus touche un composant crucial, la cuve. Autant dire que nous y prêterons toute notre attention", a déclaré M. Chevet devant des députés et des sénateurs. Il présentait le rapport de l'ASN sur la sûreté nucléaire en France en 2014 à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).
Le groupe Areva, fabricant de la cuve, doit proposer des essais complémentaires "pour apprécier l'importance de l'anomalie, essayer de la qualifier et de voir quels impacts elle a potentiellement sur la sûreté", a-t-il souligné.
Cela représente "un très gros travail de plusieurs mois" pour constituer un dossier.
"In fine (...) il ne faudra pas qu'on ait une appréciation positive sur le sujet si on veut pouvoir démarrer, il faudra qu'on ait une conviction forte, une quasi-certitude", a déclaré M. Chevet. "Il est totalement exclu qu'une cuve puisse rompre, elle doit être conçue pour exclure la rupture", a-t-il pointé.
Pour prendre sa décision, l'ASN s'appuiera sur son équipe de spécialistes, sur les experts de l'IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté nucléaire). M. Chevet n'exclut pas d'avoir également recours à des experts étrangers.
"Je ne préjuge pas de la décision qui sera prise d'aucune manière, compte tenu de l'importance de l'anomalie", a souligné M. Chevet.
En réalisant des essais, Areva s'est aperçue que dans certaines zones de la cuve, les valeurs de résilience (capacité du matériau à absorber un choc) s'avéraient plus basses que demandé aux équipements sous pression nucléaire.
Rapport de l'ASN
L'anomalie de fabrication sur la cuve de l'EPR de Flamanville (Manche) a été détectée "grâce aux contrôles demandés par la nouvelle réglementation" des équipements sous pression nucléaire (ESPN), selon Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
La réglementation concernant ce type d'équipement a évolué et "s'accompagne d'un accroissement des exigences au niveau de la sûreté", a expliqué M. Chevet, auditionné mercredi par la commission des affaires économiques du Sénat.
"Au moment où la cuve a été forgée, vers 2005, la nouvelle réglementation venait d'être prise mais elle n'était pas en pleine application". "Les essais n'ont pas été fait à l'origine mais plus tard, à notre demande, et ce sont ces essais qui ont permis de voir l'anomalie", indique le président de l'ASN. Il ajoute que "le procédé d'élaboration des lingots qui permettent ensuite de réaliser les pièces a changé pour l'EPR. On n'avait pas vu d'anomalie dans le procédé d'avant. Ceci pourrait expliquer l'anomalie".
ASN a demandé à Areva de faire une revue générale des processus de fabrication du site Creusot Forge (Saône-et-Loire), spécialisé dans la fabrication et l'usinage de grandes pièces forgées et moulées, où a été produite la cuve du réacteur EPR. Le groupe Areva a annoncé le 21 avril qu'il en confierait la réalisation à un expert indépendant, la société franco-anglaise Lloyd's Register Apave Limited.
Répétant que l'anomalie est "sérieuse", M. Chevet précise qu'il s'agit d'une anomalie même au regard de l'ancienne réglementation. "C'est une anomalie basse - inacceptable, je ne sais pas -. Il faut traiter l'anomalie, point". L'ASN avait annoncé en avril qu'une "anomalie" avait été détectée dans la composition de l'acier du couvercle et du fond de la cuve de ce réacteur nucléaire de troisième génération construit par EDF et Areva.
La cuve, organe crucial, doit être de la plus grande qualité. Elle ne doit pas rompre. "La résistance aux chocs mécaniques doit être au moins supérieure à 60 joules, selon la réglementation". "A Flamanville elle est de 38 joules", précise M. Chevet. L'écart "n'est pas dans l'épaisseur du trait", souligne-t-il. "Ce n'est pas un effet de la réglementation", "c'est même une anomalie au regard de l'ancienne règlementation".
L'ASN aurait pointé des difficultés dès 2005
L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avait pointé dès 2005 des problèmes à l'usine de gros composants nucléaires du Creusot (Saône-et-Loire), rachetée l'année suivante par Areva qui y a fabriqué la cuve du réacteur EPR de Flamanville, ont rapporté vendredi France Inter et franceinfo. Dans une lettre du 16 décembre 2005 adressée à EDF, l'ASN soulignait des difficultés dans cette usine, où elle disait avoir constaté "de nombreux écarts", selon le document cité par les deux radios.
Des problèmes également évoqués dans un courrier du 16 mai 2006 faisant suite à une inspection du site le mois précédent: l'autorité indépendante y dit avoir établi 16 constats et rappelle qu'"en 2005, les fabrications des équipements sous pression nucléaires du forgeron Creusot Forge ont été émaillées de nombreux incidents".
"La période du début des années 2000 est une période où la forge rencontre de grandes difficultés", et la forge était alors "sous surveillance renforcée de l'ASN", a confirmé à l'AFP son directeur général adjoint, Julien Collet. C'est dans cette usine, rachetée en 2006 par Areva, que le groupe nucléaire français a fabriqué le couvercle et le fond de la cuve de l'EPR en construction par EDF à Flamanville (Manche), où une anomalie dans la composition de l'acier a été décelée.
"Dès le rachat de Sfarsteel en 2006, Areva a mis en oeuvre des actions pour amener l'usine aux standards du groupe Areva et de l'industrie nucléaire", a indiqué le spécialiste de l'atome dans une réaction écrite à l'AFP. Il a précisé y avoir investi 200 millions d'euros depuis cette opération et doublé les effectifs, à 250 personnes.
La découverte d'une concentration en carbone excessive susceptible de fragiliser la cuve de l'EPR de Flamanville avait justifié le lancement d'un audit qualité de l'usine en avril 2015. Il a mis au jour des irrégularités dans les dossiers de suivi de fabrication de pièces forgées, certaines d'entre elles s'apparentant à des falsifications, selon l'ASN.
Depuis, Areva dit avoir "renforcé la traçabilité des fabrications en cours et de l'enregistrement des données" et être en train de déployer sur le site "un plan d'amélioration de la qualité" qui intègre les demandes d'informations complémentaires et les actions correctives demandées par l'ASN.
De son côté, le groupe EDF a dit à l'AFP qu'il s'était "assuré que son fournisseur mettait bien en oeuvre les plans d'actions décidés" à la suite des nombreuses inspections de l'ASN. Pour la période 2005-2006, l'électricien dit avoir mené "des actions vigoureuses" au Creusot, notamment "des audits du système qualité du fournisseur" et mis en place d'inspecteurs d'EDF dédiés.
Il a par ailleurs souligné que la calotte et le fond de la cuve de l'EPR "ont été fabriqués selon un référentiel de qualification très exigeant, basé sur les codes de construction nucléaires applicables à ce moment-là". L'ASN devra se prononcer sur la conformité de la cuve cet été.
Remplacer le couvercle ?
En d'autres termes, mais ce sera à l'ASN de conclure en ce sens dans sa décision finale, attendue à l'automne après consultation publique, EDF pourrait avoir à remplacer le couvercle de la cuve de l'EPR. "L'avis (du groupe d'experts) ne porte que sur le caractère rédhibitoire ou non de la dégradation mécanique. La décision finale (de l'ASN) doit aussi prendre en compte la possibilité, qui existe, de réparer" la cuve ou certains de ses éléments, précise ainsi à l'AFP un membre du groupe d'experts.
On est loin de la confiance assénée depuis deux ans par EDF et Areva, qui assuraient que l'aptitude de la cuve, installée à Flamanville depuis 2013, serait pleinement démontrée. Fin mai, le directeur du chantier Bertrand Michaud se disait "confiant dans le fait que la cuve (...) sera déclarée bonne pour le service". Il craignait plus une demande de changement du fond de la cuve, soudé, que du couvercle.
Le changement d'un couvercle, quoique complexe, ne serait pas une mesure inédite. EDF l'a déjà fait sur plusieurs réacteurs du parc français par le passé, et d'autres réparations similaires ont également eu lieu dans d'autres pays. "Cela ne pose pas de problème technique", indique un expert, qui ajoute qu'en général cela se fait lors d'une révision importante d'une centrale. En revanche, la procédure, depuis la commande d'un nouveau couvercle, à son installation, en passant par sa fabrication, prendrait plusieurs années. Contactés par l'AFP, EDF et Areva n'ont pas souhaité réagir.