Chaque année, l'UIOM de Lasse dans le Maine-et-Loire vend plus de 50 GWh d'électricité grâce à la valorisation énergétique d'environ 100 000 tonnes de déchets. (©Jean-Paul Houdry-Ademe)
La valorisation des déchets repose sur l'idée que les déchets ne sont pas simplement des éléments à éliminer, mais plutôt des ressources locales de grande valeur pouvant générer de l'énergie et d'autres produits utiles. Les matériaux recyclables, tels que le papier, le verre et le métal, peuvent être réintroduits dans le cycle de production pour fabriquer de nouveaux produits, réduisant ainsi la nécessité d'extraire des matières premières et diminuant l'empreinte carbone associée.
Une partie des déchets peut être incinérée pour produire de l’énergie : de la chaleur, de l’électricité ou les deux par cogénération. Les déchets organiques peuvent aussi être transformés en biogaz via la méthanisation, mais également en électricité et en chaleur.
La valorisation des déchets soutient l'économie circulaire, favorise la création d'emplois locaux dans le secteur du recyclage et de la gestion des déchets, et aide à diminuer les volumes de déchets envoyés en décharge, limitant les impacts environnementaux négatifs.
Comment produit-on de l'énergie à base de déchets ?
Par incinération
Près de 70% de nos déchets sont des combustibles, notamment les déchets non recyclables papier (15 à 20 MJ/kg) et les plastiques (45 MJ/ kg) conçus à partir de pétrole, qui sert donc une deuxième fois. Ces déchets peuvent être brûlés (à plus de 1 000°C) à des fins énergétiques au sein d’unités d’incinération d’ordures ménagères (UIOM). Il existe 116 UIOM en France en 2022, qui génèrent 80% de l'énergie produite par les déchets du pays. Les UIOM peuvent également être qualifiées d'unités de valorisation énergétique et de traitement des déchets (UVETD).
L’énergie calorifique dégagée par la combustion peut :
- alimenter directement des réseaux de chaleur, avec une production moyenne de 1 500 kWh par tonne d’ordure ;
- ou être transformée en électricité en turbinant la vapeur d’eau créée par la chaleur, avec une production électrique moyenne de 300 à 400 kWh par tonne d’ordure).
Précisons que de la chaleur et de l’électricité peuvent être produites sur le même site par cogénération. La chaleur résiduelle en sortie de turbine est récupérée, ce qui permet d’augmenter le rendement total des UIOM.
Le gaz issu des incinérateurs fournit 45% de l'énergie alimentant les réseaux de chaleur urbains en France, soit 15 térawattheures (TWh) et 4% de la chaleur produite en France en 2022.
Certaines usines (EMERGE, Veolia-Solvay) passent du charbon aux déchets pour continuer à produire de l'énergie mais en réduisant l'impact environnemental.
Par méthanisation
La méthanisation est un processus de « fermentation anaérobie » qui permet de produire entre autres du biogaz à partir de déchets. Ce biogaz peut également être valorisé dans les réseaux de gaz naturel ou être transformé en électricité.
Une installation de stockage de déchets non dangereux (ISDND) (aussi appelée décharge ou centre d’enfouissement techniques) produit de l'énergie principalement grâce à la capture et à la valorisation du biogaz, généré par la décomposition anaérobie des déchets organiques enfouis. Ce biogaz, composé principalement de méthane et de dioxyde de carbone, est collecté via un système de puits et de tuyauteries, puis traité pour éliminer les impuretés. Une fois purifié, le biogaz peut être utilisé de diverses manières : il peut alimenter des moteurs ou des turbines pour produire de l'électricité, être utilisé pour la production de chaleur, ou être injecté dans le réseau de gaz naturel sous forme de biométhane. Ce processus permet non seulement de générer de l'énergie renouvelable, mais également de réduire les émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre, contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique.
Cela passe également de plus en plus en amont, par la collecte de déchets agricoles et le tri des déchets organiques. De plus en plus de communes ont installé des bacs spécifiques à couvercle marron, afin de déposer ses restes de repas, fruits, légumes, viandes, sachets de thé et coquilles d'oeufs. Ils sont ensuite triés puis placés dans une déconditionneuse, qui sépare les éventuels emballages de la matière organique, qui est vidée dans une citerne avant d'être acheminée à l'usine de méthanisation. Une unité de méthanisation traitant 15 000 tonnes/an de déchets peut ainsi, par cogénération, satisfaire les besoins en électricité de 1 300 logements et ceux en eau chaude de 2 000 logements.
Combien d'énergie est générée en France grâce aux déchets ?
En 2020, la production d'énergie à partir du traitement des déchets en France a atteint 22 453 GWh. Elle se décompose en 7 128 GWh d'électricité et 15 325 GWh de chaleur. Cela représente près de 1% de la consommation française d’énergie finale et la consommation d'électricité d'un million de ménages. Elle est en augmentation, puisqu'en 2015, la production d’énergie à partir de déchets atteignait près de 15 700 GWh par an, avec toujours deux tiers sous forme de chaleur et un tiers sous forme d’électricité.
Production d'électricité à base de déchets en France (en GWh) - source RTE
L'origine de la production se répartit en 15 285 GWh générés par les unités d'incinération des ordures ménagères (UIOM), 1 865 GWh par les installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND), et 5 304 GWh par les unités de méthanisation.
Quelle part des déchets est valorisée en France et en Europe ?
En France, 38% des déchets municipaux sont incinérés tout en produisant de l’énergie. Ce pourcentage place le pays en milieu de tableau au sein de l’Union européenne (dont la moyenne est passée de 19% à 27% en moins d'une décennie). Dans les pays scandinaves (Norvège, Suède, Danemark) et en Belgique où la production d’énergie à partir de déchets s’est historiquement développée, ce taux dépasse 50%.
Les déchets alimentaires représentent 25% des ordures ménagères d'une ville comme Paris. Sur l'ensemble des déchets, 80% sont brûlés, 4% enfouis et 16% recyclés. Or, la loi sur la transition énergétique impose la valorisation de 65% des déchets d'ici 2025.
Parmi les pistes pour améliorer la production énergétique :
- le biogaz qui se forme naturellement lors de la décomposition des déchets devra être davantage collecté et valorisé : en Europe, seule la moitié du biogaz produit dans les décharges est collectée, et seule la moitié du biogaz collecté est valorisée(1) or le biogaz de décharge génère 5% des gaz à effet de serre mondiaux, soit autant que l’industrie du ciment ;
- l'injection du biogaz produit naturellement par les centres d'enfouissement dans les réseaux, quant il est actuellement capturé et traité ;
- l'obligation de tri à la source des biodéchets (30 kg de biodéchets annuels par habitant pourraient être récoltés, Paris a commencé en 2017) ;
- l'arrêt de la mise en décharge de plus d'un million de tonnes de plastique par an, qui pourrait être transformé en énergie ;
- l'investissement dans les chaufferies à Combustibles solides de récupération (CSR), fabriqués à partir d'ordures ménagères ou de déchets industriels non dangereux mais non recyclables.
La plus grosse chaufferie industrielle alimentée par des déchets en France a d'ailleurs été inaugurée en avril 2024 en Alsace par le groupe allemand B+T. Elle va transformer chaque année 200 000 tonnes de déchets CSR en de la vapeur pour couvrir en moyenne à 30% à 40% des besoins de l'usine chimique Alsachimie, à Chalampé (Haut-Rhin). Elle produira ainsi 550 gigawattheures par an, l'équivalent de la consommation d'environ 35 000 logements en gaz naturel. L'usine se fournissait jusqu'alors à 80% en gaz naturel, dans des quantités qui font de lui le premier consommateur de cette énergie en France.
Sur les territoires insulaires, transformer les déchets en énergie permet de régler deux enjeux cruciaux : l'autonomie énergétique et la gestion des déchets. Par exemple, la Réunion est dépendante à 88% des énergies fossiles. Sur la partie sud-ouest de l'île, 230 000 tonnes de déchets sont encore enfouies chaque année. Paprec Energies va construire à La Réunion une chaudière pour incinérer ces CSR, afin de produire l'électricité nécessaire au fonctionnement du pôle et de fournir 121 000 MWh par an au réseau, l'équivalent de la consommation de 83.000 habitants (10% de la population).
Le traitement des déchets pourrait plus que doubler son apport actuel à l'approvisionnement énergétique de la France, sous réserve d'adaptations réglementaires, plaide la Fnade, la Fédération des activités de la dépollution et de l'environnement.
Les déchets en France
En 2020, la France a généré 310 millions de tonnes de déchets (contre 355 en 2011), dont 48 millions de tonnes ont été envoyées vers des installations de traitement des déchets ménagers. Parmi ces déchets, 15,3 millions de tonnes de matériaux recyclés ont été réutilisés, contribuant à la réduction de l'empreinte environnementale. Par ailleurs, 14,5 millions de tonnes de déchets ont été incinérés pour générer de l'énergie, illustrant l'effort du pays pour valoriser les déchets au lieu de les mettre en décharge.
La gestion de ces déchets a engendré des dépenses de 20,6 milliards d'euros. Le coût du dispositif de tri des biodéchets est un quart plus élevé que celui des ordures ménagères à Paris, soient 334 euros par tonne de déchets alimentaires, contre 266 euros par tonne pour le reste.
Grâce à ces efforts de recyclage, la France a pu éviter 18,6 millions de tonnes d'émissions de CO2, démontrant ainsi les bénéfices environnementaux de la gestion efficace des déchets.
En France, l'entreprise familiale Paprec est leader avec un chiffre d'affaires dépasse les 2 milliards d'euros, devant Veolia et Suez.
Quel avenir pour la valorisation des déchets ?
La hiérarchie conventionnelle des filières de traitement des déchets ménagers veut que le recyclage soit prioritaire, suivi par le compostage, puis l’incinération des fractions résiduelles non recyclables, qui est préférée à la mise en décharge - utilisée en dernier recours. Le fait que de la chaleur et de l’électricité peuvent être produits à partir des déchets incinérés est mis en avant comme un atout de l’incinération, ce qui a tout son sens lorsqu’une valorisation sur un réseau de chaleur est possible, comme c’est le cas à Paris et Grenoble.
Les choix stratégiques en matière de gestion et de valorisation énergétique des déchets doivent être faits de manière personnalisée, en prenant en compte le climat, la densité de population, l’isolement de la zone, la composition des déchets et sa variabilité, l’existence d’un marché pour les produits recyclés et le compost, les besoins en chaleur, et l’espace disponible. La priorité restant partout de réduire la production de déchets, ensuite de recycler, et enfin de valoriser autant que possible les volumes restants à un coût acceptable pour la collectivité.
En France
La quantité de déchets éliminés en décharges va fortement diminuer en France dans les 25 prochaines années, avec un tonnage divisé au moins par quatre d'ici 2050, selon la Fnade. Le pronostic retenu est celui d'une évolution des comportements individuels de tri, d'un essor des filières de recyclage, de la collecte des biodéchets, de l'achat en vrac ou de seconde main, ainsi qu'un effort accru des industriels pour prévenir la production de déchets. Les ordures ménagères habituelles, aujourd'hui jetées dans les bacs gris, disparaîtront au profit des compostages individuels, de la collecte séparée des biodéchets, obligatoire en France à partir de 2024, et de la collecte des plastiques et cartons amenée à s'améliorer.
À l'horizon 2050, il ne resterait ainsi que 4,2 millions de tonnes de déchets non dangereux non inertes qui seraient encore enfouis en décharges, appelés "centres de stockage" par les professionnels, soit moins de 5% du total contre encore 33% en 2010. Plutôt lucrative, l'activité de mise en décharge est soumise à une pression fiscale croissante, via la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).
La crise énergétique actuelle est un élément moteur supplémentaire. "À horizon 2028, ce sont plus de 30 TWh d'énergie thermique et de gaz qui pourront être produits à partir de déchets non recyclables, soit plus du double d'aujourd'hui", estime la Fnade. Au total, la Fnade table sur un tonnage de déchets des ménages et entreprises identique en 2050 à celui de 2010 (soit 85 millions de tonnes), mais pour un nombre d'habitants en hausse, passant de 65 à 69,2 millions.
Dans les pays développés
L'enfouissement des déchets sera interdit par la réglementation écossaise au 1er janvier 2026 pour les matières recyclables ou valorisables. La France pourrait suivre. Cela offre des débouchés économiques pour les entreprises, comme Paprec qui va construire une unité de valorisation énergétique qui permettra d'injecter 58 000 MWh/an d'électricité sur le réseau de distribution électrique du territoire.
Des technologies d’épuration adaptées au biogaz de décharge arrivent aujourd’hui à maturité et permettent de rendre ce biogaz apte à être utilisé dans des flottes de véhicules ou injecté dans les réseaux de gaz : l’injection de biogaz épuré dans les réseaux de gaz naturel est désormais possible dans plusieurs pays dont la France. Cela ouvre la voie à un nouveau schéma d’économie circulaire vertueux en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre puisque l’on évite les émissions de méthane sur le site, et l’on substitue du gaz renouvelable au gaz naturel ou à d’autres carburants fossiles. Les bennes à ordures ménagères (communément appelées « camions-poubelles »), qui fonctionnent aujourd’hui au diesel, pourraient fonctionner demain au biométhane, moins cher et surtout moins polluant et bruyant pour les centres urbains.
Le biogaz de décharge génère 5% des gaz à effet de serre mondiaux, soit autant que l’industrie du ciment. Collecter et brûler ce biogaz permet de diviser ses émissions(2) par 25, en transformant le méthane en CO2. Valoriser de plus ce biogaz en le substituant à un carburant fossile rend ses émissions « négatives » : outre l’élimination des émissions sur la décharge, une partie des émissions du secteur des transports est alors « effacée ». Une décharge continuant à produire du biogaz durant 10 à 15 ans après sa fermeture, il est important d’encourager les investissements dans la transformation et si possible la valorisation de ce gaz, y compris dans les pays où ce mode de gestion des déchets est progressivement abandonné.
Dans les pays en développement
Dans les grandes villes des pays en développement, la gestion des déchets est un défi majeur : les municipalités doivent faire face à des quantités croissantes de déchets, avec des moyens financiers limités. Les incinérateurs y sont généralement trop coûteux pour les collectivités locales et les opportunités de valoriser la chaleur produite sont limitées. Des initiatives de compostage et de méthanisation des déchets urbains s’y développent et permettent une valorisation matière et énergétique des déchets. Mais le mode de gestion des déchets le plus courant et le moins coûteux dans ces pays reste la décharge.
Le contexte des mégalopoles modernes des pays émergents mérite un examen particulier. Les moyens financiers y sont suffisants pour développer l’incinération mais les réseaux de chaleur ne présentent pas d’intérêt en climat chaud, et certaines villes insulaires telles que Singapour ou Hong Kong sont tellement limitées en espace qu’elles cherchent à éviter autant que possible de construire de nouveaux sites de traitement de déchets en ville. On voit ainsi apparaître un intérêt de ces villes pour le concept de « distributed waste to energy » qui consiste à traiter les déchets directement là où ils sont produits, c’est-à-dire en bas d’un complexe d’immeubles(5), éliminant ainsi le trafic de camions, le coût et les nuisances d’une usine d’incinération.
La gazéification des déchets, qui s’est initialement développée pour des applications où aucun système de traitement de déchets n’est accessible comme sur les bateaux ou des hôtels isolés, a vu ses coûts baisser et suscite un regain d’intérêt. Cette technologie, qui a l’avantage de générer moins d’émissions polluantes que les incinérateurs et de produire un gaz de synthèse théoriquement valorisable voire des carburants, n’a jusqu’ici pas fait ses preuves en contexte urbain mais il faudra en suivre les expérimentations. La décentralisation de la gestion des déchets est également recherchée dans le cadre des projets de compostage et méthanisation dans les pays en développement cités plus haut, pour éviter les coûts et les émissions dus au transport.