En France, près de 10 millions de tonnes de nourriture consommable finissent chaque année à la poubelle selon l’Ademe. (©Love your waste)
Les Trophées Agrica(1) ont mis à l’honneur le 29 novembre plusieurs projets permettant de lutter contre le gaspillage alimentaire. Parmi les lauréats figure Love your waste, une start-up parisienne qui vise entre autres à méthaniser des biodéchets issus de la restauration collective et à en réduire le volume à la source.
Sensibiliser, trier et… produire de l’énergie
Près de 11 millions de repas sont servis tous les jours dans la restauration collective en France (cantines scolaires, hôpitaux, restaurants d’entreprises et d'administrations, etc.)(2). Chacun de ces repas génère en moyenne 134 grammes de déchets organiques ou biodéchets(3), avec de gros écarts d’un établissement à un autre. « Dans une maison de retraite avec 50 résidents, la restauration peut par exemple produire plus de 10 tonnes de biodéchets à l’année(4) », indique Juliette Franquet, directrice de Love your waste.
Cette start-up créée en 2014 a placé cet énorme gisement de biodéchets en restauration collective au cœur de son action, en se positionnant sur toute la chaîne : réalisation de diagnostics sur la production de biodéchets, sensibilisation au gaspillage des différents acteurs, formation du personnel et accompagnement dans une démarche de tri(5), etc. En aval, la start-up organise la collecte des biodéchets « incompressibles » restants (opération sous-traitée à des entreprises de chômeurs de longue durée) et leur transport jusqu’à des sites de méthanisation(6). Précisons que ces derniers doivent bénéficier d’une accréditation spéciale leur permettant de méthaniser des déchets alimentaires contenant de la viande.
Ladite méthanisation débouche, pour chaque tonne de biodéchet, sur une production de 150 m3 de biogaz et d’une tonne d’engrais naturel, indique Juliette Franquet. L’injection de ce biogaz dans les réseaux de gaz de ville est privilégiée, dans une logique d’économie circulaire(7).
A fin septembre 2016, une étude d’impact a conclu que Love your waste avait ainsi, en 2 ans d’activité, permis de trier et collecter 105 tonnes de déchets, débouchant sur la production de 15 750 m3 de biogaz, « soit assez d’énergie pour faire cuire 126 000 gâteaux dans un four pendant 30 minutes ou de faire 8 fois le tour de la terre avec un véhicule qui roule au gaz naturel », indique la start-up(8).
De nombreux intérêts à changer de regard sur les biodéchets...
Après une phase d’expérimentation dans des écoles primaires du 9e arrondissement en 2015, Love your waste accompagne aujourd’hui 18 clients(9) et collecte près de 7 tonnes de biodéchets par semaine. Portée par une mission pédagogique, la start-up a débuté son activité auprès d’établissements scolaires mais commence également à travailler avec d’autres acteurs, parmi lesquels le siège social de L’Oréal à Clichy et une clinique.
Il existe, dans chacun de ces établissements, un fort potentiel de réduction et de valorisation des biodéchets. Ces déchets organiques (« composés à 80% d’eau et jusqu’ici incinérés pour 90% d’entre eux », précise Love your waste) sont reconsidérés comme des « ressources » présentant un intérêt tant environnemental qu’économique, avec la réduction des achats de denrées à la clé et une valorisation sous forme de biogaz et de digestat. Cette démarche peut aussi être motivée par des raisons « d'éthique ou d’image », constate Juliette Franquet.
Pour de nombreux acteurs qui « ne savent pas ce qu’ils jettent », Love your waste souligne les multiples bienfaits de cette prise de conscience. Les producteurs de déchets sont informés du volume de déchet collecté et de leur valorisation. L'Ademe rappelle dans ses campagnes de sensibilisation que gaspillage alimentaire rime avec gaspillage d’argent. En France, il coûterait selon l'agence « entre 12 et 20 milliards d’euros par an pour les seuls ménages, soit l’équivalent de 159 euros par personne ».
… Et une obligation réglementaire
Si de nombreux acteurs comme Love your waste se sont emparés de la question de la lutte anti-gaspillage depuis plusieurs années, le champ des possibles s’est élargi avec l’adoption de plusieurs lois successives (Grenelle 2, Loi de transition énergétique et Loi anti-gaspillage alimentaire du 11 février 2016), « un arsenal législatif qui change tout » selon Juliette Franquet.
La loi « Grenelle 2 »(10) a en particulier introduit le principe du pollueur/payeur pour les biodéchets. Tous les établissements qui produisent plus de 10 tonnes de déchets par an (soit l’équivalent d’environ 300 repas par jour) sont aujourd'hui tenus de trier, collecter et valoriser leurs biodéchets par compostage ou méthanisation, sous peine d’amendes(11). Cette responsabilité des producteurs de déchets organiques a été renforcée par la loi de transition énergétique et par la loi sur le gaspillage alimentaire (dite « Loi Garot »(12)) qui concerne essentiellement les grandes surfaces (elle leur interdit notamment de javelliser leurs invendus).
Sur les près de 70 000 établissements de restauration collective en France, la plupart ne savent pas s’ils sont aujourd'hui concernés par la loi alors que « près de 80% d’entre eux le sont dans les faits » selon Juliette Franquet. Précisons que Love your waste reçoit quotidiennement des demandes de devis, qui proviennent à l’inverse pour moitié d’acteurs non concernés par la loi mais désireux d’agir sur cette problématique.
De nouveaux enjeux avec l'essor de la filière
Face à un tel marché, les limites de Love your waste sont aujourd’hui principalement « financières et humaines ». La start-up se trouve actuellement en phase de levée de fonds pour développer l’équipe (2 salariés à ce jour) et investir notamment « dans une citerne » (qui leur permettrait d’assurer une partie du transport de biodéchets par bateau) ainsi que dans une plateforme web permettant d’optimiser les trajets et de réaliser des analyses qualitatives à partir des données sur la production de déchets.
Love your waste n’a à ce jour disposé d’aucune subvention mais s’est fait connaître lors de plusieurs grands événements (COP21, États généraux de l’économie sociale et solidaire, etc.) et a remporté différents prix, dont l’Impact Prize de la Commission européenne avec une dotation de 50 000 euros fin octobre 2016(13). La start-up a par ailleurs réalisé une campagne de « crowd equity » (vente d’actions au grand public) qui lui a permis de lever 100 000 euros.
« Nous sommes très contents de faire partie des précurseurs de cette filière et convaincus qu'il y aura beaucoup plus d’acteurs d'ici 5 ans et de la place pour tout le monde », insiste Juliette Franquet. Avec le développement de la filière et des acteurs concernés par la lutte anti-gaspillage se poseront à nouveau des enjeux de fiscalité et de réglementation. Juliette Franquet évoque entre autres la question du statut du déchet et la possible mise en place d’un système de taxe incitative sur la collecte des déchets comme à San Francisco.
Pour rappel, près d’un tiers de la nourriture produite chaque année dans le monde est gaspillée selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture).
Dans les écoles, Love your waste sensibilise dès le plus jeune âge les enfants au tri des biodéchets. (©Love your waste)