Echanges contractuels frontaliers de la France. (©Connaissance des Énergies)
En 2023, la France a battu un record en termes d’exportation d’électricité. Ce record ne porte pas sur le volume d’électricité (en TWh) échangée – qui reste dans la moyenne des dernières années – mais en valeur (en euros). La vente des 50,1 TWh d’électricité excédentaires aux autres pays européens a ainsi rapporté l’an passé pas moins de 4 milliards d’euros à l’Hexagone, bilan de 6,8 milliards d’euros d’exportations et de 2,8 milliards d’euros d’importations sur l’année(1).
Source : RTE Bilan Électrique 2023 - Graphique : Selectra
Ce bon résultat correspond double de la moyenne de 1,9 milliard d’euros/an d’exportations nettes entre 2015 et 2021. Il constitue un clair redressement de situation depuis les importations massives de 2022 – à hauteur de 7,3 milliards d’euros – annus horribilis conjuguant faible disponibilité du parc nucléaire du fait notamment d’un défaut générique (corrosion sous contrainte) dans un contexte de prix de marché de l’électricité déjà très élevé avec la crise gazière.
La France importe et exporte tous les jours de l'électricité
L'interconnexion du réseau électrique européen joue un rôle crucial car elle permet une meilleure gestion des flux d'électricité et évitant des tensions majeures sur les marchés de l'énergie. Cette interconnexion assure une plus grande sécurité d'approvisionnement pour l'ensemble des pays connectés.
Les échanges électriques avec les pays voisins montrent une grande diversité : en 2023 la France a exporté principalement vers l'Italie, la Suisse et la Grande-Bretagne, tandis qu'elle est restée importatrice depuis l'Espagne, notamment en raison des différences de prix et des complémentarités entre les systèmes énergétiques des deux pays.
Pourquoi la France doit-elle importer de l'électricité malgré un surplus de production ?
Les variations des échanges sont influencées par les fluctuations des conditions climatiques, la production renouvelable, et les dynamiques économiques, qui modifient les besoins en importation ou exportation d'électricité à certains moments de l'année.
Ces importations d’électricité peuvent être justifiées par des aléas ponctuels tels que l’arrêt d’un ou plusieurs réacteurs nucléaires, une journée venteuse ou ensoleillée pour les renouvelables, une sécheresse ou une baisse des précipitations faisant baisser la production hydroélectrique ou encore un hiver rugueux.
Aujourd'hui, [collection:rte_nuclear_data:reactors_available:CONTENT_ID] réacteurs fonctionnent à plein régime, [collection:rte_nuclear_data:reactors_partially_unavailable:CONTENT_ID] sont partiellement disponibles et [collection:rte_nuclear_data:reactors_unavailable:CONTENT_ID] sont à l'arrêt.
Cela peut aussi s'expliquer par un coût de l’électricité plus attractif à un moment précis. Les interconnexions des réseaux électriques permettent d’importer, à certaines heures de la journée, de l’électricité moins chère que celle produite par le parc de production national. C’est le cas en France aux heures de pointe (notamment le soir en hiver) lorsqu’il est fait appel à des centrales thermiques. Il est alors plus rentable d’importer de l'électricité à ces heures et d’en exporter lorsque la demande intérieure diminue.
La France, habituel premier pays exportateur d’électricité en Europe
La France est généralement le premier pays exportateur d’électricité dans l’Union européenne, suivie par l’Allemagne. Les raisons des exportations diffèrent cependant entre les deux pays.
Les atouts français
La France exporte massivement car l’essentiel de son parc électrogène produit avec de faibles coûts variables. En effet, qu’il s’agisse de l’énergie nucléaire, ses ressources hydroélectriques, son parc éolien ou sa production solaire, l’essentiel des coûts sont fixes (financement, construction, masse salariale…) et les coûts variables – ceux qui dépendent de la quantité d’électricité produite – sont faibles. Ces capacités électrogènes sont donc intrinsèquement compétitives, ce qui tend à maximiser leur facteur de charge, quitte à exporter via les interconnexions lorsque la demande nationale est inférieure aux capacités de production.
Source : RTE - Graphique : Selectra
L'Allemagne en transition
L’Allemagne exportait traditionnellement beaucoup du fait de ses surcapacités de production. Jusqu’à récemment, le déploiement massif des capacités éoliennes et solaires photovoltaïques ne s’est pas accompagné d’une réduction des capacités disponibles à la demande (hydroélectricité, centrales thermiques à flammes et nucléaires), même si certaines capacités (nucléaire et charbon) ont été totalement ou en partie remplacées par d’autres (gaz et biomasse). Avec le déploiement des énergies renouvelables, le parc électrogène allemand est ainsi devenu de plus en plus surcapacitaire dans les deux dernières décennies, permettant au pays d’exporter en particulier lorsque la demande européenne est la plus élevée, c’est-à-dire lors des mois les plus froids. Autrement dit, l’Allemagne, grand pays géographiquement central en Europe, assume un rôle d’équilibrage du système électrique européen en hiver.
Cette situation est cependant en train de changer. L’Allemagne réduit à présent ses capacités pilotables – sortie du nucléaire en 2023, fermeture de 4,4 GW de centrales à charbon en 2024, sortie annoncée du charbon en 2038 et moindre construction de centrales à gaz qu’initialement annoncé. Parallèlement, la réduction de la demande électrique européenne – liée à la fermeture d’industries consécutive à la crise énergétique, ainsi qu’à des hivers doux – elle-même associée à l’augmentation du prix des combustibles fossiles par rapport à l’avant-crise tendent à limiter le recours au parc électrogène allemand et à en grever la compétitivité.
Pour la première fois depuis au moins 10 ans, l’Allemagne a ainsi été importatrice d’électricité au 1er trimestre 2024.
2022 : annus horribilis
Avec une production nucléaire historiquement basse de 278,9 TWh en 2022, la France avait été importatrice nette d'électricité sur presque l'ensemble de l'année (sauf février, mai et à partir de fin décembre), ce qui n'était pas arrivé depuis 42 ans.
Historiquement premier pays exportateur d'électricité en Europe, la France avait dû en importer depuis l'Espagne, l'Allemagne ou le Royaume-Uni pour éviter les coupures.
La France a été confrontée à un manque de disponibilité inédit du parc nucléaire en raison de maintenances programmées, mais prolongées, sur des réacteurs et de la découverte fin 2021 de problèmes de corrosion sur des portions de tuyauteries cruciales pour la sûreté des centrales, nécessitant de longues réparations. La France ne pouvait guère non plus compter sur ses stocks hydrauliques (les barrages), qui avaient souffert de la sécheresse.
Sous pression du gouvernement, EDF a mis les bouchées doubles pour remettre en service des réacteurs en fin d'année.
2023 : l'année de la remontada
En 2023, la France a retrouvé son statut d'exportateur net d'électricité, grâce à une meilleure disponibilité de la production nucléaire, ce qui a permis à la France de répondre à sa demande intérieure et d'exporter vers ses voisins.
La France est redevenue exportatrice d'électricité dès le début de l'année 2023.
La France a même exporté un volume record d'électricité vers ses voisins le 22 décembre 2023, notamment en raison de moindres besoins nationaux et d'une meilleure disponibilité du parc nucléaire. Ce montant record des capacités d'exportations "réservées" par les marchés a atteint quelque 18 680 MW, contre 17 415 MW lors du précédent record établi le 22 février 2019.
Les revenus liés aux exportations d’électricité
Si les exportations d’électricité ont pesé aussi lourd (positivement) dans la balance commerciale française, ce n’est pas tant lié aux volumes exportés qu’au prix de l’électricité sur les marchés.
La France a en effet exporté 50,1 TWh d’électricité en 2023, ce qui est cohérent avec la moyenne des exportations de la décennie passée (et inférieur aux exportations de la décennie 90 et du début des années 2000)(2). En pratique, la production totale d’électricité en 2023 – bien que meilleure qu’en 2022 – est restée peu élevée, affectée par la faible disponibilité du parc nucléaire. Outre 2022, il faut en effet remonter à 1998 pour trouver une production annuelle inférieure.
D’un côté, la production électrique française devrait continuer à croître dans les années à venir avec l’amélioration anticipée de la disponibilité du parc nucléaire et le déploiement des énergies renouvelables électriques. Cela tendra à augmenter les volumes exportés. D’un autre côté, le prix de l’électricité sur les marchés décline depuis 2022, avec la baisse du prix du gaz et la diminution de la demande. Cela tend à réduire la valeur de l’électricité exportée.
Ainsi, la valeur des exportations d’électricité futures dépendra à la fois de la valeur de l’électricité sur les marchés (donc du prix du gaz, des quotas de CO2, et de la demande européenne), ainsi que des volumes exportables, c’est-à-dire :
- côté offre : de l’amélioration de la disponibilité du parc nucléaire et du déploiement des énergies renouvelables électriques,
- côté demande : de l’efficacité des politiques d’électrification et de l’évolution de l’activité industrielle européenne (qui pâtit pour le moment des suites de la crise énergétique).
Impact sur la balance énergétique et commerciale
S’il y a matière à se réjouir des bons résultats en matière d’exportation d’électricité en 2023, ceux-ci sont cependant bien loin de compenser le déséquilibre de la balance commerciale française, importatrice à hauteur de 100 milliards d’euros et lourdement grevée par les importations d’hydrocarbures et de pétrole raffiné, à hauteur de 74 milliards d’euros… Comme pour l’électricité, cette lourde facture dépend à la fois des volumes importés et du cours des matières.
Rééquilibrer la balance énergétique française requiert de se passer le plus largement possible des combustibles fossiles – ce qui est cohérent avec les engagements climatiques de la France. Atteindre un tel objectif implique de jouer à la fois sur les économies d’énergie (efficacité et sobriété), le déploiement des énergies bas carbone alternatives aux fossiles et la promotion de leur usage, ainsi que la flexibilisation des systèmes énergétiques.
Source : www.douane.gouv.fr - Graphique : Selectra
Électrifier les usages – dans les secteurs de la mobilité, du bâtiment et de l’industrie – tout en développant massivement la production d’électricité bas carbone constitue donc un moyen efficace de rééquilibrer la balance commerciale française pour viser l'indépendance énergétique, tout en réduisant l’empreinte carbone du pays. Ce sera d’autant plus le cas que la France et l’Europe soutiendront leur industrie domestique pour parvenir à produire autant que possible les équipements nécessaires à la décarbonation sur leur territoire. Ainsi, se passer des combustibles fossiles ne doit pas être perçu uniquement comme une contrainte, mais aussi comme une opportunité ouvrant la voie à un possible redressement de notre balance commerciale.