Barrage hydraulique d'Iffezheim sur le Rhin (©EDF)
C'est pour éviter une hausse trop lourde des dépenses énergétiques que le Gouvernement a mis en place un bouclier tarifaire pour les ménages, entreprises et collectivités.
Cette page se concentre essentiellement sur le bouclier tarifaire de l'électricité et du gaz à destination des particuliers. Pour les entreprises, se référer à cette page. Pour les indemnités carburants, se référer à cette page. Pour le chèque énergie, se référer à cette page.
Aux origines de la crise énergétique
Les tensions sur le marché du gaz naturel en Europe ont commencé en 2021 et s'expliquent d'abord la forte reprise de la demande Asiatique à la sortie du confinement lié au COVID-19. Elles ont été renforcées par le tarissement des flux en provenance de la Russie, réplique aux sanctions économiques décidées par les Européens en raison de l'offensive militaire contre l'Ukraine.
Graphique: Selectra - Source: EEX
Les prix de l'électricité étant indexés sur ceux du gaz, ils ont suivi la tendance. Or au même moment, la production du parc nucléaire français a chuté, avec par moment 32 des 56 réacteurs nucléaires du pays à l'arrêt pour des opérations de maintenance programmées ou pour des problèmes de corrosion. La France, premier producteur d'électricité en Europe, profite d'habitude de l'électricité à bon marché de son parc de centrales nucléaires, est devenue tributaire des cours sur les marchés de gros.
Source : RTE - Graphique : Selectra
Les marchés se sont emballés, et une crise des prix de l'énergie sans précédent a eu lieu.
Source : Nord Pool
L'aide gouvernementale pour limiter la hausse des factures d'énergie
Le bouclier tarifaire n'a été appliqué que pour les bénéficiaires des tarifs réglementés et des offres indexées sur celui-ci. Rien ne change pour les clients qui avaient souscrit une offre à prix fixe, souvent sur une ou plusieurs années. A échéance des contrats en offres de marché, tous ont eu intérêt à retourner aux tarifs réglementés pour bénéficier des limitations des hausses de prix.
L'annonce de la mise en place
Face aux hausses constantes des prix du gaz naturel (+57% entre janvier et septembre 2021 et +12,6% rien qu'en octobre), le Premier ministre Jean Castex a annoncé le 30 septembre 2021 :
- le blocage du prix du gaz du tarif réglementé du gaz à compter du 1er novembre 2021 et jusqu'en avril 2022. Il devait donc rester au niveau d'octobre 2021 pendant cette période.
- la limitation de l'augmentation du prix du tarif réglementé de l'électricité à 4% au 1er février 2022.
Des hausses de 19,5% en novembre et décembre 2021 étaient notamment attendues pour le gaz, avant la décrue habituelle des prix au printemps, après la saison du chauffage. L'idée était donc de lisser la hausse des prix sur 2022.
Pour l'électricité, une augmentation estimée à 12% initialement, puis élevée à 44% à cause de la flambée des prix sur le marché, était attendue. Plusieurs responsables politiques avaient appelé à une baisse de la TVA sur le gaz et l'électricité. C'est finalement la principale taxe appliquée à l’électricité, l'accise, qui a été diminuée à 1 € par mégawattheure pour les ménages et à 0,5 €/MWh pour les entreprises.
Chiffres de la CSPE puis de la TICFE à partir de la fusion des deux taxes en 2016. Chiffres de l'accise sur l'électricité à partir de 2022. Pour 2025, il s'agit d'une prévision - Graphique : Selectra - Source : Selectra
En parallèle, un coup de pouce de 100 euros a été consenti aux 5,8 millions de bénéficiaires duchèque énergie pour le mois de décembre 2021.
Premier prolongement pour le gaz tout 2022
Alors qu'aucune baisse des prix du gaz n'est envisagée sur les marché en 2022, Jean Castex annonçait dès le 21 octobre que le prix du tarif réglementé de gaz serait finalement gelé tout le long de l'année 2022, et pas seulement jusqu'en avril comme indiqué initialement.
En septembre 2022, la Commission de régulation de l'énergie affirmait que le gaz aurait été 116,5% HT plus cher qu'au 1er octobre 2021 sans le bouclier.
Hausse du plafond de l'ARENH
Le plafond de l'ARENH, l'électricité d'origine nucléaire qu'EDF est tenue de vendre à ses concurrents à seulement 42€/MWh, a été réhaussé par le Gouvernement, passant de 100 TWh habitellement à 120 TWh en 2022. Le but était de permettre aux fournisseurs alternatifs de s'approvisionner à bas prix, et ainsi aider à contenir la hausse des prix de l'électricité sur les factures de leurs clients.
Or l'énergéticien était déjà aux prises avec des problèmes de corrosion sur une bonne partie de ses réacteurs, mis à l'arrêt au pire moment. Alors qu'il aurait pu la vendre à prix d'or sur les marchés, il a dû en acheter, creusant des pertes abyssimales.
Le ministère de l'Industrie assure que la mesure a sauvé 150 entreprises françaises de la faillite et 45 000 emplois, sans compter tous ceux des entreprises clientes en aval de la chaîne.
Limitation des hausses des prix en 2023
Le gouvernement a annoncé le 14 septembre 2022 la prolongation du bouclier tarifaire en 2023, avec une hausse des prix de l'électricité et du gaz qui sera limitée à 15%.
- La hausse fut de 15% en moyenne au 1er janvier 2023 pour le gaz, alors que le prix aurait dû augmenter de 122%.
- La hausse fut de 15% en février 2023 pour l'électricité, alors que le prix aurait dû augmenter de 99,22%.
Un chèque pour les personnes chauffées fioul
Un chèque fioul compris 100 et 200 euros en fonction des revenus a été lancé le 8 novembre 2022 pour les personnes utilisant cette énergie pour se chauffer. Ils ont pu l'utiliser pour régler une autre facture de chauffage s'ils avaient déjà réglés celle de fioul à leur fournisseur.
À jour en décembre 2024 - Source : Insee - Graphique : Selectra
En parallèle, les 100 000 logements sociaux disposant d'un chauffage collectif à l'électricité, également oubliés jusqu'ici, ont été couverts.
Fin pour le gaz fin 2023 et prolongement pour l'électricité en 2024
Le ministre de l'Economie annonçait le 21 avril 2023 la fin du bouclier tarifaire pour le gaz fin décembre 2023, les prix de gros étant redescendus. Notons que les tarifs réglementés du gaz ont été totalement supprimés en juillet 2023.
En raison de la faiblesse de la production nucléaire au premier trimestre 2023 et des prix de marché en baisse mais toujours plus élevés qu'avant la crise, Bruno Le Maire annonçait dans le même temps que le bouclier tarifaire pour l'électricité sera prolongé jusqu'à début 2025.
Le tarif réglementé de l'électricité a été augmenté de 10% le 1er août 2023.
Le tarif réglementé de l'électricité a été augmenté de 9% en moyenne le 1er février 2024, malgré la baisse des prix sur le marché de gros, avec le rehaussement de l'accise à 21 euros par mégawattheure.
Notons que la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher avait déclaré en décembre 2023 que le bouclier tarifaire pourrait disparaître mi-2024, mais cela n'a pas été le cas.
Fin du bouclier tarifaire pour l'électricité en février 2025
Avec la forte remontée de la production française d'électricité et la baisse des prix sur les marchés, le bouclier tarifaire ne sera plus utile. La prochaine évolution du tarif réglementé interviendra au 1er février 2025, avec :
- une forte baisse de la part fourniture ;
- une augmentation de la part réseau de 4,8% représentant une augmentation de 1% ;
- le rétablissement total de l'accise à son niveau maximum de 32€/MWh, voire supérieur.
Facture annuelle en euros constants d’un particulier au tarif réglementé ayant souscrit l’option Base et une puissance de 6 kVA (en €/an) pour une consommation de 2 400 kWh/an - Source : CRE - Graphique : Selectra
Alors que la CRE envisageait une baisse des prix d'"au moins 10%", le Gouvernement prévoit lui une baisse limitée à 9%.
Les conséquences du bouclier tarifaire
Limitation des hausses de factures
Si les factures ont augmenté, les hausses de tarifs ont été fortement limitées.
Graphique: Selectra - Source: Selectra
Source : Selectra
Limitation de l'inflation
Entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, la hausse des prix du gaz, de l'électricité et des produits pétroliers a contribué à 3,1 points d'inflation sur un total de 5,3%, selon l'Insee. Or les mesures de bouclier tarifaire "ont abaissé ces effets de moitié".
Globalement, "entre les deuxièmes trimestres 2021 et 2022, en cumulant le renchérissement de l'électricité, du gaz et des produits pétroliers, les prix de l'énergie augmentent ainsi de 28% pour les ménages", une hausse qui "aurait été deux fois plus élevée sans mesure de bouclier (+54%)", selon l'Insee.
Enfin, pour les entreprises, qui dépendent plus que les ménages de l'électricité, "l'énergie se renchérit de 20%, contre 50% sans bouclier", sur cette période.
Baisse de la consommation d'énergie
La consommation de gaz et d'électricité en France, comme ailleurs en Europe, a baissé significativement.
La consommation d'électricité en France s'est établie à 445 TWh en 2023, contre 462 TWh en 2021.
Graphique: Selectra - Source: Bilan Electrique 2023
La consommation de gaz naturel en France s'est établie à 474 TWh en 2023, contre 381 TWh en 2021.
Données corrigées des variations climatiques - À jour en 2024 - Source : Ministère de la Transition Écologique (SDES)
Hausse des impayés
En 2019, 11,9% des ménages (3,5 millions) étaient en situation de précarité énergétique, c'est-à-dire qu'ils dépensaient plus de 8% de leurs revenus pour payer leur facture. Selon le Médiateur de l'énergie, 671 546 ménages ont subi l'intervention d'un fournisseur (suspensions, réduction de puissance) en 2019 à la suite d'impayés (+17% par rapport à 2018).
Ce nombre a fortement augmenté avec la hausse des factures, car malgré la limitation des prix, ils ont augmenté.
Source : Médiateur de l'Energie Graphique : Selectra
Coût des aides de l'Etat à l'énergie
Les boucliers mis en place par l'Etat pour modérer l'impact de la flambée des prix sur la facture d'électricité et de gaz ont coûté cher à l'Etat.
L'État a dû compenser les pertes des fournisseurs d'énergie, tenus de vendre le gaz aux consommateurs moins cher que les cours du marché.
Pour l'électricité, les consommateurs ont toutefois un temps payé plus cher l'électricité que les cours du marché, afin que les sommes payées au plus haut de la crise par les opérateurs soient récupérées.
La facture pour l'Etat
Il est difficile d'établir un coût précis, tant les estimations diffèrent d'une source à l'autre et la délimitation des aides.
Le ministère de l'Economie et des Finances évaluait le coût du bouclier tarifaire sur les prix de l'énergie à 24 milliards d'euros en juillet 2022 depuis son lancement.
Sur l'année 2022, l'État aurait dépensé 10,5 milliards d'euros pour plafonner à 4% l'augmentation des tarifs de l'électricité, 6 milliards pour limiter les prix entre novembre 2021 et octobre 2022 et 7,5 milliards pour la ristourne sur les prix du carburant.
Les recettes brutes de l'accise sur l'électricité ont été minorées de 5,1 milliards d'euros en 2022, et 8 milliards au total.
Fin 2022, le Gouvernement anticipait à 110 milliards d'euros le coût des aides sur la période entre 2021 et 2023.
Le coût du chèque fioul a représenté une enveloppe de 230 millions d'euros.
L'Etat disait prendre en charge 85% de la hausse des prix en février 2023, et 37% de la facture des Français en novembre 2023. Mme Pannier-Runacher expliquait qu'il s'agit de "l'écart entre les prix sur les marchés financiers de l'électricité et le prix que payent les Français sur leur facture".
En 2024, la CRE calculait le coût du bouclier à 26,3 milliards d'euros entre 2021 et 2023,
En 2024, la Cour des comptes a estimé que l'Etat devrait acquitter 36 milliards d'euros net entre 2021 et 2024 au titre des multiples dispositifs de soutien aux consommateurs.
Les recettes des renouvelables pour l'Etat
Du fait même du mécanisme de complément de rémunération des énergies renouvelables, les prix élevés sur les marchés ont permis au secteur des énergies renouvelables de générer d'énormes recettes... qu'il va devoir reverser en partie à l'État. De quoi financer en partie le bouclier tarifaire sur l'électricité et sur le gaz.
Il s'agit d'un retournement inédit. L'Etat a pris à sa charge le risque des investissements dans les renouveables pendant plus d'une décennie, en compensant la rémunération des producteurs afin qu'elle atteigne le niveau du prix de rachat quand le prix de marché est inférieur. En contrepartie, quand quand le prix de vente sur les marchés est plus élevé que le prix de rachat fixé par l'Etat, celui-ci encaisse la différence.
Soutien des EnR en hexagone - Source : CRE - Graphique : Selectra
Notons que certains producteurs n'ont pas joué le jeu et ont décidé de se désengager et rompre les contrats d'achat à prix fixes garantis par l'État, pour ne pas avoir à lui reverser de l'argent.
Critiques
Certains experts soulignent l'importance du "signal prix" pour inciter à la sobriété énergétique. Ils jugent qu'un prix faussé par l'intervention de l'État engendre une surconsommation, au lieu de concentrer les subventions sur l'aide à la régulation et rénovation thermiques.
Plutôt que de subventionner à prix fortdes énergies fossiles comme le gaz et le pétrole, émetteurs de gaz à effet de serre, d'avantage d'investissements auraient pu être faits dans des énergies renouvelables.
D'autant plus que la demande d'énergie partiellement importée de l'étrangera contribué à creuser la balance énergétique du pays, et donc le déficit commercial de la France.
Enfin, pour les éventuelles crises énergétiques à venir, des économistes préconisent un dispositif semblable à celui mis en place en Allemagne, basé sur la prise en charge de l'équivalent d'une partie d'une partie de la consommation passée des ménages, avec un plafonnement. Car le système de limitation de prix pour tous aide davantage les plus gros consommateurs, que l'on sait être les ménages les plus riches.