Professeur émérite à CentraleSupélec, Université Paris-Saclay
Membre du Laboratoire de Génie Industriel (LGI), du groupe de recherche Sustainable Economy et de l’AEE (Association des économistes de l’énergie)
Dans un contexte international particulièrement difficile marqué par la guerre en Ukraine, les prix de l’énergie s’envolent, alors que les cours ont déjà fortement augmenté depuis l’automne dernier. De plus, les marchés anticipent actuellement un risque de difficultés d’approvisionnement. La question de l’impact sur notre dynamique de croissance économique en France est posée, de même que sur le pouvoir d’achat des consommateurs.
Notre politique énergétique nous confère une place à part parmi les pays occidentaux et cette spécificité française mérite d’être soulignée pour comprendre comment nous faisons face à la volatilité des prix de l’énergie. Il est avant tout nécessaire de différencier les prix des énergies fossiles (pétrole, gaz) et ceux de l’électricité, en comprenant notre système de taxation.
Cette année est tout à fait exceptionnelle puisque l'Assemblée nationale a adopté le « bouclier tarifaire » sur le gaz et l'électricité dans le budget 2022. Et le système de régulation de l’énergie choisi par la France fonctionne et, de facto protège le pouvoir d’achat des ménages.
Concernant les prix de l’électricité, les hausses des tarifs réglementés de vente (TRV) ont été limitées à 4% TTC(1). La taxation concernant le coût de l’électricité est d’environ 30%. L’une des taxes appliquées à l’électricité, la TICFE, également appelée CSPE, a été diminuée à 1 € par mégawattheure (1 000 kWh) pour les ménages et à 0,5 €/MWh pour les entreprises, contre 25 €/MWh au 1er janvier 2022. Malgré cette baisse fiscale, la hausse du prix de l’électricité aurait été de 20% pour les particuliers sans bouclier tarifaire.
Concernant les prix du gaz naturel (dont le niveau moyen de taxation avoisine 40%), les tarifs réglementés de vente ont été bloqués jusqu’au 30 juin 2022(2). La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a publié les barèmes qui auraient dû être appliqués pour ces TRV s’il n’y avait pas eu de blocage : avec application de la formule tarifaire du barème, le niveau moyen des tarifs réglementés en 2022 aurait été, sans blocage, supérieur de 66,5% par rapport au niveau en vigueur depuis le 1er octobre.
Concernant les carburants, le prix du gazole et de l’essence sont au plus haut depuis 2012. La taxation qui est en débat en France est de l’ordre d’environ 60% sur le prix à la pompe(3). La TVA à 20% n’est pas la taxe principale, puisque la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) représente à elle seule 40% du prix payé par les automobilistes, et contient notamment la taxe carbone destinée à réduire les émissions de CO2. Contrairement à une idée reçue, la France n’est pas le pays qui taxe le plus les carburants en Europe (elle est toutefois le 3e État membre sur 27 où la part des taxes est la plus élevée pour le diesel(4), et le 4e pour le sans-plomb).
La hausse des prix des carburants est-elle une opportunité pour inciter les automobilistes à changer de mode de déplacement et à choisir un véhicule électrique ? Si la tendance des ventes de voitures électriques se confirme à la hausse depuis peu, avec 160 000 immatriculations - soit 1 voiture sur 5 - en France pour l’année 2021 (croissance de 46% par rapport à 2020), quel est le coût de la recharge pour un ménage ?
Il faut prendre en compte au moins trois facteurs : le prix de la recharge, le lieu de la charge et sa rapidité.
Le prix de la recharge d’une voiture électrique à la maison est sans doute le plus compétitif et le plus simple puisqu’il se fait par l’intermédiaire d’une prise domestique. L’électricité destinée à alimenter une voiture électrique ne coûtera pas plus cher que celle utilisée pour faire fonctionner un four ou une machine à laver. Pour calculer le prix d’une recharge à la maison, il suffit ainsi de se baser sur la consommation d’une voiture électrique qui s’étale en moyenne entre 12 et 20 kWh/100 km, et de la multiplier par le tarif au kilowattheure du fournisseur d’énergie. En prenant une valeur médiane de 0,146 €/kWh en heures pleines et 0,125 €/kWh en heures creuses, on parvient aux valeurs indicatives du tableau ci-dessous(5).
Consommation moyenne | Heures pleines | Heures creuses |
---|---|---|
12 kWh/100 km | 1,75 €/100 km | 1,50 €/100 km |
15 kWh/100 km | 2,20 €/100 km | 1,90 €/100 km |
20 kWh/100 km | 2,90 €/100 km | 2,50 €/100 km |
Le prix global d’une recharge classique se situe donc approximativement entre 8 et 11 € (pour une autonomie avoisinant 400 km). Pour comparer avec une voiture thermique, un plein d’essence ou de gazole coûte actuellement environ 110/130 € pour effectuer entre 650 et 850 km. Pour parcourir cette distance, un véhicule électrique d’une autonomie de 400 km est contraint d’effectuer une recharge à mi-parcours (avec un coût total d’environ 16 € pour la charge au départ du trajet et celle au milieu du parcours). Soulignons ici la tendance des automobilistes à privilégier au maximum les bornes « gratuites » proposées par certains réseaux tels leurs entreprises, les supermarchés, les bornes publiques des parkings, etc.
Qu’en est-il des charges rapides ? L’exemple de Tesla est intéressant car le constructeur annonce environ 520 km d’autonomie pour son Modèle 3, mais au prix le plus élevé en coût de recharge. En effet, différents opérateurs dont Tesla proposent une charge rapide grâce à l’installation de super chargeurs dont le prix se situe entre 0,30 et 0,45 €/kWh en France. Concrètement, en moins d’une heure(6), une recharge rapide et complète coûte environ 20 € pour un trajet de 500 km.
Si le prix de la recharge électrique sera sans doute sensiblement plus élevé dans les mois qui viennent, il reste imbattable vis-à-vis du tarif d’un plein d’essence ou de diesel. Comment appréhender notre avenir énergétique dans ce contexte d’incertitudes et de complexité ? Les prospectives du marché de l’énergie laissent entrevoir une tendance baissière des cours du pétrole, mais qui se fera lentement eu égard aux rigidités du marché. La voiture thermique ne devient-elle pas un « luxe » pour les ménages si l’on tient compte des coûts d’achat et d’usage ? Le prix des carburants, malgré leur hausse, ne représentent qu’environ 20 à 30% (selon l’usage) du prix global d’un véhicule thermique(7).
Le gaz et l’électricité vont-ils dominer la demande du marché d’énergie dans les années à venir ? À court terme, la suppression des tarifs réglementés de vente de gaz naturel aura lieu le 1er juillet 2023 pour les particuliers. Les contrats indexés sur les marchés ne bénéficient pas de ce blocage, ce qui signifie une augmentation probable rapide du prix du gaz et une inquiétude sur l’offre et la volumétrie. Pour l’électricité, la situation est différente avec des perspectives plus favorables pour la France qui assure, grâce à son parc nucléaire, l'essentiel de la demande intérieure. De plus, le choix d’une indépendance énergétique dans ce domaine permet une meilleure maitrise des anticipations du marché et des prix.
Cependant, dans un contexte inflationniste, le niveau de taxation de l’électricité sera probablement relevé. Il est évident que la dette de l’État sera compensée par des recettes fiscales plus élevées pour faire face à la baisse de recettes liées aux carburants fossiles et à la conversion du parc de véhicules thermiques à l’électromobilité.
Sources / Notes
- Arrêté du 28 janvier 2022 relatif aux tarifs réglementés de vente de l’électricité applicables aux consommateurs résidentiels en France métropolitaine continentale.
- Décret n° 2021-1380 du 23 octobre 2021 a acté du blocage des tarifs réglementés gaz du 1er novembre 2021 au 30 juin 2022 au niveau des tarifs d’octobre 2021.
- Pour un litre de gazole, 58% du prix payé à la pompe part dans les caisses de l’État, et 60% pour un litre de sans-plomb 95.
- Les premiers du classement sont les Pays-Bas et l’Allemagne pour le gazole.
- Données issues du site automobile-propre.com.
- 80% de la charge est réalisée en 32 minutes.
- Donnée du bureau d’études ADETEC.