Vue aérienne du port et de la centrale au charbon du Havre qui a fermé en 2021. (©EDF-Didier Marc)
À l'heure actuelle, seules deux centrales à charbon continuent à être exploitées en France, à Saint-Avold (Moselle) et Cordemais (Loire-Atlantique).
Production d'électricité à base de charbon en France (en GWh) - source RTE
Les mines et les centrales à charbon en France jusqu'au début du XXIe siècle
Les mines et les centrales à charbon ont joué un rôle fondamental dans le développement industriel de la France, particulièrement à partir du XIXe siècle. Le charbon, extrait principalement des bassins miniers du Nord-Pas-de-Calais, de la Lorraine et de la Loire, était la principale source d'énergie pour alimenter les premières usines, les transports ferroviaires et les centrales thermiques. Ces infrastructures énergétiques ont été les moteurs de la révolution industrielle, soutenant l'essor économique du pays en fournissant une énergie bon marché et abondante, indispensable pour l'industrie et le développement urbain.
Au XXe siècle, l'importance des mines et des centrales à charbon a progressivement diminué en France, en raison de l'épuisement des gisements, puis de la montée des préoccupations environnementales. Après la Seconde Guerre mondiale, quelque 300 000 personnes travaillaient encore dans les mines de charbon en France. Le pays a par la suite cherché à diversifier ses sources d'énergie, favorisant l'essor de l'énergie nucléaire tout en réduisant sa dépendance au charbon.
Un « Pacte charbonnier » a été signé en 1994, permettant entre autres à la majorité des mineurs de partir à la retraite dès 45 ans (avec 25 ans d’ancienneté, en percevant 80% de leur salaire). Ce pacte permettait à l'État d'exprimer la « reconnaissance de la Nation pour une profession qui a contribué au redressement économique de la France », selon le site internet des Charbonnages de France, et définissait les conditions d'arrêt de l'exploitation en 2005, une échéance ensuite ramenée à 2004. La dernière mine de charbon en France a été fermée en avril 2004 à Creutzwald en Moselle.
23 avril 2004 : Fermeture de la dernière mine de charbon en France
La dernière mine de charbon en France a été fermée en avril 2004 à Creutzwald, après trois siècles d'exploitation dans le pays. Le gisement de la Houve était « très éloigné du puits. Tous les jours, on avait une bonne heure de transport pour aller au chantier », se souvient un employé : « C'était une ville souterraine, on se croyait dans le métro ». À Creutzwald, 20 ans après, une exposition et des animations ont permis aux habitants, qui ont « tous un père, un grand-père, un oncle qui a travaillé à la mine », de se replonger dans l'épopée du charbon, explique le maire de la commune, Jean-Luc Wozniak.
L'une des précédentes mines à fermer était située à Freyming-Merlebach, à quelques kilomètres de là. C'est cette dernière qui aurait dû sceller trois siècles d'histoire charbonnière française, mais elle a fermé plus tôt à la suite d'un coup de terrain.
Il y a eu un enjeu à l'échelle du territoire d'anticiper la fermeture et de développer d'autres industries. « On a réussi à avoir quasiment sur toute la période un maintien de l'emploi », souligne Isabelle Prianon, directrice générale des services à la communauté de communes de Warndt. De nouvelles zones d'activités ont vu le jour et l'industrie s'y est développée.
Pour les mineurs de Creutzwald, une déception demeure toutefois : du puits, tout a été rasé. Pas un chevalement ne subsiste. Comme partout dans le monde, les anciens mineurs du puits de la Houve salut un « univers à part », « hostile », mais marqué par des travailleurs « très solidaires, unis ».
Et si, avec cet attachement, la mine est « dans le cœur » de certains, elle est aussi dans les voies respiratoires d'autres ouvriers, souffrant de silicose ou de cancers. Tous n'ont pas été reconnus comme atteints de cette maladie et des actions en justice sont en cours dans certaines régions de France pour faire reconnaître la part de responsabilité de leur ancien employeur - l'État - dans ces maladies.
La fin des centrales à charbon annoncée pour 2022...
La France disposait encore en 2020 de 4 centrales à charbon en service : Cordemais (Loire-Atlantique), Gardanne (Bouches-du-Rhône), Le Havre (Seine-Maritime) et Saint-Avold (Moselle). En 2019, elles ne comptaient que que pour 0,2% de la production électrique en France métropolitaine, contre 1,1% en 2018 et 1,8% en 2017.
Promesse de campagne du candidat Macron, le gouvernement s'était engagé à fermer les dernières centrales à charbon françaises d’ici à 2022. La loi énergie-climat adoptée en novembre 2019 prévoyait ainsi de plafonner la durée de fonctionnement de ces installations afin de réduire leur rentabilité et conduire dans les faits à leur fermeture… tout en conservant la possibilité d’y avoir recours ponctuellement lors de pointes de consommation ou des baisses de production du parc nucléaire et des énergies renouvelables. En effet, la disponibilité des centrales à charbon reste un atout pour maintenir la sécurité d’approvisionnement en France. RTE rappelle que la consommation électrique française (stimulée par les nombreux chauffages électriques) est très « thermosensible » : au niveau national, chaque degré de température en moins au cœur de l’hiver entraîne un appel de puissance supplémentaire de 2 400 MW sur le réseau.
Le décret fixant ce plafond d’émissions(1) a été publié au Journal officiel fin 2019 et est entré en vigueur début 2022. Il y est précisé : « Pour les installations situées en métropole continentale, produisant de l'électricité à partir de combustibles fossiles et émettant plus de 0,55 tonne d'équivalents dioxyde de carbone par mégawattheure d'électricité produite, le plafond annuel d'émissions de gaz à effet de serre est fixé à 0,7 kilotonne d'équivalents dioxyde de carbone par mégawatt de puissance électrique installée ».
Cette baisse forcée du facteur de charge est partiellement compensée par le fait que la centrale est largement amortie (coûts de fonctionnement et de combustible pour l'essentiel) et aussi grâce au mécanisme de capacité.
Mais peut-on vraiment se passer totalement du charbon en France ?
« Quand il fait très froid, que faire s'il n'est plus possible d'utiliser les centrales à charbon - en particulier en Bretagne, le site de Cordemais étant le principal site d'alimentation en électricité de cette région ? », s'interrogeait en 2018 le PDG d'EDF Jean-Bernard Lévy, devant des parlementaires.
Le charbon a déjà quasiment disparu du mix électrique français mais reste la principale source d'électricité outre-Rhin (tous types de charbon confondus). (©Connaissance des Énergies)
Mais selon RTE, qui gère le réseau de transport d'électricité, la France était censée disposer de suffisamment de marges de manœuvre pour se passer du charbon d'ici à 2022. Sauf dans les scénarios « les plus défavorables » selon un document publié en 3 avril 2019.(1)
En novembre 2018, RTE avait estimé dans son Bilan prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité que les 5 dernières tranches au charbon en France pourraient être fermées d’ici à 2022 « tout en conservant un niveau de sécurité d’approvisionnement équivalent à aujourd’hui ». Pour ce faire, les fermetures devaient être progressives : elles débuteraient mi-2020 avec l’arrêt de 2 réacteurs et concerneraient 2 autres tranches en 2021 et la dernière en 2022.
Ce « cas de base » présenté par RTE intègre également la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim durant cette période ainsi qu’un certain nombre d’hypothèses : mise en service de nouveaux moyens de production « pilotables » (centrale à gaz de Landivisiau, EPR de Flamanville) et de nouvelles interconnexions électriques (Eleclink entre la France et le Royaume-Uni), poursuite du développement des énergies renouvelables, des effacements et des efforts de maîtrise de la consommation, etc.
En janvier 2019, le ministère de la Transition écologique et solidaire avait demandé à RTE de présenter des analyses complémentaires dans le cas de « configurations particulièrement dégradées », par exemple dans l'hypothèse de « décalages significatifs » de la mise en service de l’EPR de Flamanville (en 2023 ou 2024), de la centrale de Landivisiau (en 2022 ou 2023) ou de l’interconnexion Eleclink.
Or dans les scénarios « les plus défavorables » (« non-réalisation cumulée de plusieurs des hypothèses principales du cas de base » de RTE), le critère de sécurité d’approvisionnement électrique en France - fixé par le code de l’énergie - « pourrait ne plus être respecté en 2022 ». Le gestionnaire de réseau précise toutefois que cette situation critique se limiterait à la période hivernale et serait « transitoire (au plus tard jusqu’en 2024) » avant la mise en service de nouveaux moyens de production.
Parmi ces incertitudes figuraient notamment l’évolution de la consommation en France, le développement du reste du système électrique européen ou encore le « placement et le positionnement des visites décennales » des réacteurs du parc nucléaire français.
Dans l'hypothèse de retards de mise en service de l'EPR de Flamanville (mi-2024) et de l'interconnexion électrique Eleclink, RTE évalue entre 2 et 3 GW le manque de capacités sur le réseau électrique français par rapport aux « marges de sécurité ». (©Connaissance des Énergies, d’après RTE)
En cas de scénario défavorable menaçant la sécurité d’approvisionnement sur le réseau électrique français, RTE présentait 3 grands « leviers » permettant de dégager « des marges de manœuvre » :
- des actions de maîtrise de la demande d’électricité, comprenant des efforts d’efficacité énergétique et des appels aux gestes citoyens pour limiter la « pointe » de consommation en hiver (avec l'aide des compteurs communicants Linky dont le déploiement doit être généralisé d'ici à 2022) ;
- « l’optimisation » du placement et de la durée des arrêts des réacteurs nucléaires, RTE évoquant la possibilité de décaler certaines visites décennales(2) afin qu’elles n’interviennent pas en période hivernale ;
- le maintien en disponibilité d’une ou deux tranches de la centrale de Cordemais « fonctionnant au charbon ou converties à la biomasse » pour « quelques dizaines d’heures par an en moyenne » (250 h au maximum en cas d’hiver particulièrement froid).
RTE estimait que chacun des deux premiers leviers mentionnés pouvait permettre de « relâcher les contraintes à la pointe de 1 à 2 GW » tandis que la disponibilité des unités de Cordemais apporterait une marge supplémentaire « proche d’un gigawatt ».
Lors des visites décennales des réacteurs nucléaires français, RTE faisait état d’un dépassement moyen des durées d’arrêt prévues « supérieur à 60 jours ». (©Connaissance des Énergies, d’après RTE)
RTE soulignait par ailleurs les contraintes de réseau dans la zone du Grand Ouest de la France qui exige « une vigilance spécifique ». Le gestionnaire de réseau juge ainsi « nécessaire que la fermeture des deux groupes charbon de Cordemais intervienne seulement une fois l’EPR mis en service ».
Depuis, les problèmes de corrosion des réacteurs nucléaires français apparus en 2022 ont ébranlé la croyance en un réseau capable de soutenir efficacement la demande, même en hiver. Tous les consommateurs, particuliers comme industriels, ont dû participer à l'effort de maîtrise de la consommation. Et la fermeture des dernières centrales à charbon de France avait été repoussée.
La fin des centrales à charbon en France finalement repoussée à 2027
La centrale EDF du Havre a fermé ses portes le 1er avril 2021 et celle de Gardanne de GazelEnergie au cours de l'été 2021.
Si la fermeture de la centrale EDF de Cordomais et celle GazelEnergies de Saint-Avold avaient été actées, la décision a été repoussée à 2026 au plus tard pour la première et 2027 pour la seconde.
D'ici là, des parcs solaires et des parcs éoliens offshore doivent notamment prendre le relais pour approvisionner le réseau électrique. Votée en septembre 2019, la loi Énergie et Climat vise la neutralité carbone à l'horizon 2050. Elle prévoit notamment une baisse de 40% de la consommation d'énergies fossiles d'ici à 2030 et avait validé la fermeture en 2022 des dernières centrales à charbon, une énergie qui représente moins de 1% de la production électrique française actuelle.
Envisagée pour quelques mois au cœur de la crise de production d'électricité en France en 2022, elle a finalement été rallongée jusqu'à 2027 pour éviter tout black-out au cours des prochains hivers.
Cordemais en Loire-Atlantique
La centrale EDF de Cordemais, près de Nantes, continuera donc à fonctionner au charbon au moins jusqu'en 2024, et peut-être jusqu'en 2027, mais « à la marge », assurent les pouvoirs publics, pour soutenir une zone en tension d'approvisionnement. Pour rappel, aucune centrale nucléaire ne fonctionne en Bretagne.
Elle devait être convertie à la biomasse (des pellets de déchets de bois). Mais le premier projet de conversion, en partenariat avec Suez, a été abandonné, notamment pour des raisons de rentabilité économique.
Il a toutefois été relancé en 2023 et remporté par EDF et Paprec. Mais en septembre 2024, EDF officialisait un plan B : convertir la centrale en un site de production de tuyauteries pour ses nouveaux réacteurs EPR2.
Saint-Avold en Moselle
Le site de Saint-Avold (Moselle), propriété de GazelEnergie, filiale du groupe EPH du Tchèque Daniel Kretinsky, devait cesser son activité en mars 2022. L'activité de la centrale a finalement été poursuivie.
GazelEnergie veut y développer, avec le soutien des pouvoirs publics, un projet de production de chaleur renouvelable à partir de biomasse et un autre de production d'hydrogène vert en partenariat avec Storengy (filiale d'Engie), soit 80 emplois visés au total.
Les enjeux et difficultés de la reconversion
En parallèle, le gouvernement se retrouve confronté à une difficile équation sociale dans des régions qui, pour certaines, sont déjà fragilisées. "Il ne faut pas négliger la volonté politique qu'il faudra mettre en œuvre, même ici en France, pour fermer ces centrales", car "ça soulève des enjeux locaux", remarque Nicolas Berghmans, chercheur à l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).
Par exemple l'unité biomasse présente sur le même site de Gardanne serait "pérennisée" avec un "potentiel" de 45 à 70 emplois à terme. Mais cela représente tout de même de nombreuses pertes d'emplois.