La transition énergétique ne se fera pas sans l’adhésion des citoyens

Carine Sebi

Coordinatrice de la Chaire Energy for Society
Professeure assistante en économie, Grenoble École de Management (GEM)

La transition énergétique ne se fera pas sans l’adhésion des citoyens. Pourtant, alors que la France accuse un retard préoccupant dans le déploiement des énergies renouvelables – avec à la clé de lourdes amendes européennes – l’acceptabilité sociale de ces infrastructures reste un défi majeur.

Aujourd’hui, si notre électricité est déjà décarbonée à 95% (essentiellement grâce au nucléaire), les hydrocarbures représentent encore 60% de notre consommation d’énergie primaire. Accélérer la transition suppose donc un recours massif aux énergies renouvelables, qu’il s’agisse du solaire, de l’éolien ou de la méthanisation. Mais ces projets rencontrent des résistances croissantes : contestations locales, recours en justice, mobilisations citoyennes.

Ce phénomène ne risque pas de s’atténuer avec le temps, bien au contraire. La transition énergétique implique un bouleversement de nos territoires et de notre cadre de vie : installation de nouvelles infrastructures, transformation des paysages, logistique renforcée pour acheminer l’énergie… Alors que les centrales nucléaires et les barrages hydroélectriques font partie du paysage depuis des décennies, l’irruption de nouveaux équipements suscite des inquiétudes et des crispations.

Pourtant, renoncer aux renouvelables serait un leurre. Même avec des efforts accrus de sobriété et d’efficacité énergétique, atteindre la neutralité carbone en 2050 est quasi impossible sans leur contribution. La question est donc moins de convaincre par de nouveaux arguments que de repenser notre approche : comprendre les réticences, déconstruire les idées reçues, sortir du discours culpabilisant pour renouer avec un dialogue constructif.

C’est tout l’enjeu des travaux menés par la Chaire Energy for Society de Grenoble Ecole de Management, décrits succinctement ci-après, qui s’attache à décrypter les ressorts de l’acceptabilité sociale de l’éolien et de la méthanisation pour mieux accompagner les territoires et les porteurs de projets dans cette mutation essentielle.

Le regard des médias français sur le nucléaire et l’éolien

Le regard des médias français sur le nucléaire et l’éolien révèle une réalité contrastée qui met en lumière l’évolution de l’opinion publique sur ces enjeux énergétiques majeurs

Les médias jouent un rôle central dans la retranscription de l’opinion publique, en relayant souvent notre perception des différentes solutions énergétiques. Une analyse approfondie de plus 70 000 articles publiés dans des quotidiens nationaux et locaux entre 2005 et 2022 nous aide à mieux cerner les perceptions françaises vis-à-vis du nucléaire et de l’éolien. 

D’un côté, la perception du nucléaire semble résister aux épreuves dans le long-terme, malgré les accidents notables comme Fukushima qui, à l’époque, avait tout de même intensifié la demande d’informations, notamment sur la sécurité de nos centrales, et conduit à l’annonce en 2012 par François Hollande d’un réduction progressive la part du nucléaire à 50% du mix électrique.

En revanche, plus l’éolien se développe, plus il devient visible et suscite des oppositions locales, souvent exacerbées par une couverture médiatique qui tend à renforcer l’opposition entre ces deux formes d’énergie. Si le nucléaire reste plus présent dans les médias, l’éolien bénéficie d’une exposition croissante au fil des années, notamment dans la presse locale, qui relaie largement les oppositions et les conflits d’implantation. 

Ce traitement médiatique contribue à façonner une perception plus contestataire de l’éolien, en mettant l’accent sur ses difficultés d’implantation plutôt que sur ses bénéfices énergétiques. Les médias (surtout locaux), en se concentrant fréquemment sur les difficultés d'implantation des parcs éoliens, finissent par légitimer davantage le nucléaire, malgré la nécessité des deux pour réussir la transition énergétique.

La relation entre l'orientation politique et le soutien à l'énergie éolienne est significativement influencée par le niveau de confiance dans le gouvernement.

Ce phénomène d’opposition s'inscrit dans un contexte où les préférences sur l’éolien deviennent de plus en plus polarisées sur le plan politique. Un autre recherche questionnant 3 871 citoyens français entre 2023 et 2024 montre qu'il existe un clivage marqué entre les partisans des différentes orientations politiques. Les sympathisants des partis d'extrême droite (et de droite dans une moindre mesure) se montrent nettement plus opposés à l’éolien terrestre, tandis que ceux du centre et de la gauche expriment un soutien plus fort à ce type d’énergie.

Ce clivage ne se limite cependant pas à l’affiliation partisane. La relation entre l'orientation politique et le soutien à l'énergie éolienne est significativement influencée par le niveau de confiance dans le gouvernement. Si on exclut cette variable de l’analyse, l’écart d’opinion entre extrême droite et partis traditionnels est marqué. Si on la réintègre, les préférences sur l’éolien de la droite et de l’extrême droite sont proches : leurs préférences diffèrent parce qu’ils n’accordent pas le même niveau de confiance aux institutions.

Il est essentiel de considérer cette variable de confiance pour éviter de surestimer l'opposition au sein de certains partis de droite, comme le Rassemblement National (RN).

Dans ce contexte, la légitimité politique apparaît comme un facteur clé dans l'acceptation de la transition énergétique. Les débats actuels autour de la troisième Programmation Pluriannuelle de l'Énergie (PPE3) semblent toutefois aller à l'encontre de cette dynamique. Une approche caractérisée par des politiques fluctuantes et imprévisibles risque de freiner davantage le déploiement des énergies renouvelables, en particulier de l'éolien, en alimentant la méfiance des citoyens envers les initiatives gouvernementales.

Aller au-delà de ces clivages

Même parmi les citoyens les plus favorables à l’éolien, le soutien diminue nettement lorsqu’il s’agit d’accepter un parc éolien à proximité de chez eux. L’adhésion théorique à la transition énergétique ne garantit pas son acceptabilité locale qui est un phénomène complexe. La littérature regorge d’outils politiques pour accroitre la désirabilité locale des projets. Parmi, ces mesures nous testons la mise en place de compensations financières sur l’adhésion locale.

Le rejet reste fort pour les projets éoliens, bien que des compensations financières puissent atténuer les résistances. Toutefois, leur efficacité varie : selon notre enquête, entre 25 et 35% des riverains refusent le projet quelle que soit la somme, tandis qu'environ 10% l’acceptent sans compensation. Pour les autres, l’adhésion augmente avec le montant proposé, ce qui montre la nécessité de repenser les mécanismes de compensation pour mieux répondre aux attentes des citoyens. 

L’opinion sur l’éolien est donc fortement clivée, souvent liée à des facteurs politiques et sociaux, et relancée dans le débat public par des déclarations polarisées : « l’éolien n’est pas une source d’énergie pour l’avenir » (LR), « on veut des centrales nucléaires, pas des éoliennes » (RN), etc.

Ce clivage ne touche pas l’énergie solaire, ce qui montre que l’adhésion à l’éolien dépend largement de croyances et d’identités politiques. Pour susciter davantage de soutien, il est crucial de mettre en place des stratégies de communication adaptées.

Méthanisation : beaucoup d’espoirs, mais des résistances à vaincre

La méthanisation pèse encore peu dans le mix énergétique français. Mais l’État lui fixe des objectifs très ambitieux : les volumes de biométhane injectés dans les réseaux de gaz devraient doubler entre 2023 et 2028, à moyen terme la PPE 3 ambitionne 44 TWh injectés en 2030 (contre 9 TWh en 2023). Ces objectifs sont soutenus par des dispositifs tels que le tarif d'achat du biométhane et les appels d'offres nationaux.

La filière semble prête : fin 2024, le nombre de projets en attente dépasse celui des installations en service. Toutefois, elle doit faire face, comme l’éolien, à des résistances locales de plus en plus actives, variant fortement d’une région à l’autre. 

Par exemple, en Loire-Atlantique ou dans le Tarn, des oppositions significatives ont été observées, des acteurs locaux ont exprimé des résistances marquées. À l'inverse, des territoires comme le Béarn ou la Côte-d'Or ont accueilli favorablement de grandes unités de méthanisation, notamment grâce à des partenariats entre les collectivités locales et les acteurs de l'énergie, visant à développer la production de gaz vert et à (re)dynamiser l'économie locale. 

Les développeurs intègrent désormais ces critères régionaux dans leur sélection de territoires prioritaires pour de nouvelles implantations

Une adhésion sociale jamais acquise une fois pour toutes

L’adhésion sociale reste un enjeu tout au long de l’exploitation d’un méthaniseur. Ces installations entraînent un trafic régulier de camions pour l’approvisionnement en déchets et le transport du digestat, leur sous-produit fertilisant. À cela s’ajoutent parfois des nuisances visuelles ou olfactives, rendant leur présence particulièrement tangible pour les riverains.

Pourtant, la méthanisation présente des avantages : elle traite localement les biodéchets, offre une alternative aux engrais chimiques, crée des emplois non délocalisables et bénéficie du soutien des pouvoirs publics. Mais ces atouts ne suffisent pas toujours à lever les réticences. Se limiter au strict minimum légal en matière de concertation ne garantit pas l’acceptabilité d’un projet.

Nos travaux montrent qu’il n’existe pas de solution unique, mais que l’implication des acteurs locaux est essentielle : un projet transparent et bien intégré dans son territoire a plus de chances d’être accepté, tandis qu’un projet imposé sans concertation suscite une opposition forte.

Les motivations du porteur de projet jouent également un rôle clé. Un agriculteur utilisant ses propres intrants pour produire de l’énergie bénéficie souvent d’une meilleure acceptabilité. À l’inverse, une grande installation portée par un acteur industriel extérieur peut être perçue comme déconnectée des enjeux locaux et rencontrer plus de résistances.
Mais cette dynamique pose un dilemme : si l’adhésion locale favorise les petits projets, ceux-ci ne suffiront pas à atteindre les objectifs de neutralité carbone. Multiplier leur nombre accroîtrait aussi les conflits d’implantation.

Enfin, nos entretiens révèlent des disparités dans la gestion des projets par les services décentralisés de l’État. Pilotage, réactivité et exigences varient selon les régions, ce qui peut freiner leur développement. S’agit-il d’un problème d’adhésion ou d’un manque d’harmonisation des compétences ?

L’acceptabilité des énergies renouvelables est un enjeu clé de la transition énergétique

Cette réalité complexe, faite de tensions locales et de clivages politiques, nécessite une approche nuancée et bien pensée pour réussir à déployer efficacement les énergies renouvelables. Il ne suffit pas de vanter les bienfaits de la transition énergétique ou de multiplier les arguments en faveur du réchauffement climatique.

Il est essentiel d’adapter les projets aux réalités locales, de favoriser la transparence et de renforcer la confiance des citoyens envers les institutions et les porteurs de projets en associant les acteurs du territoire à la gouvernance, en garantissant un partage équitable des bénéfices et en construisant un discours clair sur les impacts et les engagements pris. 

Une approche cohérente, fondée sur l’information, la concertation et une juste répartition des gains, est indispensable pour surmonter les résistances et accélérer la transition énergétique. Si cette dynamique d’acceptabilité n’est pas prise en compte, il est fort à parier que la transition énergétique sera freinée, voire stoppée, avant d’avoir atteint son plein potentiel.

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Commentaire

Vincent
Ces phénomènes d'opposition sont aussi alimentés par de la désinformation. Il n'y a pas plus efficace pour l'industrie fossile que de faire en sorte de monter les citoyens contre les solutions qui permettent de s'en passer. En déclenchant par ex des débats stériles entre atténuation et adaptation, entre technologies et sobriété, entre renouvelables et nucléaire, dans le seul but de cliver la société et de permettre le business as usual sur les fossiles qui restent les grandes gagnantes du statut quo

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