Les émissions mondiales de CO2 liées à l’énergie et aux procédés industriels ont atteint 36,8 milliards de tonnes en 2022, un nouveau record historique. (©Pixabay)
L’association Équilibre des Énergies(1) publie ce 14 avril un rapport consacré au procédé de captage, stockage et valorisation du CO2 (couramment qualifié de « CCUS » en anglais), dans lequel elle appelle à une meilleure intégration de ce sujet dans la prochaine stratégie énergie-climat.
État des lieux
Le concept du captage du CO2, qui consiste à piéger les molécules de CO2 afin d’éviter sa libération dans l’atmosphère, n'est pas nouveau (dès 1972 pour le site de Terrell aux États-Unis), en particulier dans certains secteurs « historiques » (traitement du gaz naturel et engrais). À partir de 1996, du CO2 qui était en quantité excessive dans le gaz naturel extrait sur la plateforme de Sleipner en mer du Nord était notamment déjà réinjecté dans des grès poreux à 900 m de profondeur. Mais, malgré l'enthousiasme autour de ces techniques au début des années 2000, « la plupart des projets alors envisagés n’ont pas eu de suite », rappelle Équilibre des Énergies.
En 2022, 44 Mt de CO2 ont été captés dans le monde par 35 sites en exploitation, soit « à peu près un millième des émissions totales annuelles de CO2 d’origine humaine recensées sur la planète ». Et ces projets sont « pour la plupart orientés vers la récupération assistée du pétrole et seuls six d’entre eux correspondent à un véritable stockage géologique ».
Un niveau très éloigné de celui jugé nécessaire pour que le CCUS joue un rôle important dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le think tank Energy Transitions Commission estimait notamment en juillet 2022 que le monde pourrait avoir besoin de stocker entre 7 et 10 milliards de tonnes de CO2 par an à l’horizon 2050 (soit l’équivalent de 18 à 25% des émissions annuelles à l’heure actuelle) pour espérer atteindre la neutralité carbone (zéro émissions nettes de CO2 en 2050)(2).
Vers un « retour en grâce du CCUS »
Les conditions d'un retour en grâce des dispositifs CCUS « évoluent » favorablement, souligne Équilibre des Énergies : coûts plus maîtrisés du transport de CO2 par pipeline ou par bateau avec des « techniques matures », augmentation du prix du CO2 sur le marché européen qui améliore la rentabilité des projets, progrès des techniques de captage et enfin hausse des objectifs de réduction des émissions de CO2 qui « rendent nécessaire d’avoir recours à ces techniques ».
Dans ce contexte plus favorable, l'AIE recense désormais 200 projets susceptibles de capter 220 Mt de CO2 en 2030 (dont le projet Northern Lights en mer du Nord). En Europe, de nouveaux cadres viennent soutenir le développement du CCUS (Innovation Fund, Connecting Europe Facility, programme Horizon Europe), la Commission européenne estimant qu’il faudrait capter 330 à 550 Mt de CO2 en 2050 dans le cadre d'un scénario « + 1,5°C ». Et la Commission doit publier une communication sur une vision stratégique du captage du carbone en Europe au printemps 2023(3).
En France, la politique est à l'heure actuelle « plus hésitante », la stratégie nationale bas carbone de 2020 (qui doit être révisée cette année) prévoyant seulement 5 Mt de CO2 captés annuellement dans l’industrie à l'horizon 2050 grâce au CCUS (une stratégie nationale dédiée pourrait toutefois être présentée au cours de l’année 2023, souligne Équilibre des Énergies).
Un modèle « hubs and clusters »
Les filières et la chaîne de valeurs du CCUS évoluent également avec un nouveau modèle qualifié de « hubs and clusters » par Équilibre des Énergies : « alors que l’on raisonnait jusqu’à présent en filières intégrées allant de la source émettrice au site de stockage, la chaîne de valeur du CCUS tend à se décomposer, au moins en Europe, en deux éléments successifs : d’une part, la partie amont qui consiste à acheminer par pipeline vers des hubs, généralement situés en bordure des côtes, le CO2 récupéré dans leur hinterland auprès d’installations industrielles regroupées en clusters, telles que des aciéries, des cimenteries, des industries chimiques, des usines d’incinération des déchets [...] d’autre part, la partie aval, assurée par des opérateurs – généralement des compagnies pétrolières telles que TotalEnergies, BP, Shell, Eni, Equinor – qui prennent en charge le CO2 au niveau des hubs portuaires (CO2 as a service) pour l’expédier par bateau vers des sites de stockage en mer ».
Cette « scission de la chaîne du CCUS en deux étages successifs s’accompagne d’une diversification des sources susceptibles de l’alimenter » : production d'électricité carbonée, ciment, sidérurgie, chimie, pétrochimie, récupération directe dans l'air (« hypothèse quasiment farfelue » il y a peu jugée pas « hors de portée aujourd’hui »), etc.
En Europe, Équilibre des Énergies juge prioritaire de « définir et promouvoir une infrastructure de transport et de stockage du CO2 paneuropéenne fédérant les projets de hubs de CO2 qui ont vu le jour au cours des dernières années ». Pour permettre aux dispositifs CCUS d'atteindre la rentabilité, l'association juge qu’il faudrait par ailleurs que le prix du CO2 sur le marché carbone européen atteigne 160 €/t (dans le cas d'un captage de CO2 lors de la production d’hydrogène par vaporeformage de combustibles fossiles).
Équilibre des Énergies mentionne également d'autres freins à lever au développement du CCUS, soulignant notamment la nécessité d'une ratification « par tous les pays concernés » de l’amendement de 2006 à la Convention de Londres de 1976 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’exportation de déchets « afin que le CO2 cesse d’être considéré comme un déchet »(4).