Agrivoltaïsme en France : de quoi s'agit-il et que change le décret d'avril 2024 ?

Installation agrivoltaïque

Photomontage d'une installation agrivoltaïque, associant culture de luzerne et production photovoltaïque. (©GLHD)

Une étude publiée dans la revue Nature estime que si 1% de la surface utilisée pour l’agriculture était combinée à la production photovoltaïque(1), la totalité de la demande mondiale en électricité serait couverte. L’Ademe recense environ 200 projets en cours pour la France.

De quoi parle-t-on exactement ?

L'agrivoltaïsme désigne une pratique consistant à associer sur un même site une production agricole (maraîchage, élevage, vigne, etc.) et, de manière secondaire, une production d’électricité par des panneaux solaires photovoltaïques.

Une installation agrivoltaïque est une installation de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole.

Elle ne doit induire ni dégradation importante de la production agricole ni diminution des revenus de cette production ; il s’agit aussi de soutenir l’adaptation des systèmes de culture aux changements climatiques (protection ou atténuation des aléas comme la grêle, la chaleur, la sécheresse ou encore amélioration du bien-être animal).

Les termes « agrivoltaïque », « agrophotovoltaïque » ou encore « solar sharing » en anglais sont également employés pour désigner ce concept.

Définition issue de la loi no 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.

Les différents types de projets agrivoltaïques

Il existe des types variés de systèmes agrivoltaïques :

  • des structures composées de rangées de panneaux solaires à proximité du sol, avec des espaces cultivables entre les rangées pour accueillir le matériel agricole ; 
  • des structures photovoltaïques proches du sol, associées à de l’élevage ou de l’aquaculture (avec des panneaux flottants) ; 
  • des structures surélevées permettant l’accès aux engins agricoles sous les centrales photovoltaïques (configuration la plus onéreuse, mais aussi la plus adéquate pour limiter l’impact sur la production agricole).

Notons que les serres agricoles équipées de panneaux photovoltaïques ont, par extension, parfois été qualifiés de systèmes agrovoltaïques.

Avantages et défis

Un système agrivoltaïque est censé évite les conflits d’usage des sols, tout en permettant une synergie entre les deux productions agricole et solaire(2).

Impact sur le rendement et le bien-être animal

L’installation de systèmes agrivoltaïques influe sur les radiations solaires, la température et l’humidité du sol situé sous les panneaux. La diminution du rayonnement reçu semble être le facteur majeur impactant les performances des cultures agricoles, étant en moyenne 30% inférieur sous les centrales agrivoltaïques(3).

De manière générale, on peut dire que les cultures annuelles héliophiles (céréales en tête) implantées sous installation agrivoltaïque présentent des rendements altérés(4), mais une croissance favorisée en période de forte chaleur(5).

Le rendement de certaines cultures (céréales) a tendance à diminuer tandis que d’autres (légumineuses, framboises) ont un meilleur potentiel de rendement grâce à ces conditions ombragées(6).

Abraham Escobar-Gutierrez, président du centre Nouvelle-Aquitaine-Poitiers de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), qui teste une structure agrivoltaïque sur un vignoble en Gironde, "part sur une hypothèse que les vignes souffriront plus du changement climatique sans les panneaux que sous les panneaux". L'installation permet notamment de protéger les vignes de la grêle, sans les priver du soleil et de la pluie.

Des panneaux photovoltaïques installés au-dessus de terrains occupés par du bétail (par exemple ovin ou bovin) peuvent entre autres être inclinés de façon à apporter une exposition au soleil optimale (les animaux bénéficiant de zones d’ombrage) et à protéger contre des intempéries.

Les sols fertiles, avec des potentiels de rendement élevés (comme les sols profonds riches en limon des plateaux et vallées du nord-ouest de l’Europe), ne seraient pas les plus appropriés pour l’installation de centrales photovoltaïques, puisqu’elles pourraient induire une baisse de production de cultures nécessitant un besoin important de lumière. L’enjeu est donc à la fois d’identifier les meilleures associations cultures-panneaux photovoltaïques et de définir les systèmes de culture et les territoires (au regard de leurs sols et de leur climat) les plus appropriés pour l’agrivoltaïsme.

Une nouvelle source de rémunération pour les agriculteurs

Une installation agrivoltaïque doit permettre d'apporter une rémunération complémentaire, stable et « dérisqué » aux agriculteurs.

Une étude économique des systèmes agrivoltaïques(7) a ainsi montré que la valeur de l’électricité produite par l’énergie solaire, couplée à la production de cultures tolérantes à l’ombre, génère une augmentation de plus de 30% par rapport aux exploitations agricoles conventionnelles.

Comparé aux cultures dédiées à la production de biocarburants (colza, betteraves), il s’avère plus productif (x 10(8) en termes d’énergie produite par hectare(9)) et impactant dans la réduction des émissions de GES, les cultures bioénergétiques requérant des apports en fertilisants chimiques de synthèse (100 à 200 unités d’azote par hectare) et plusieurs étapes de transformation.

L’agrivoltaïsme constituerait en outre une opportunité pour les exploitations, davantage consommatrices d’énergie électrique et émettrices de GES(10).

La partage de la valeur entre porteur du projet, agriculteur et propriétaire du terrain doit toutefois encore fait l'objet d'une harmonisation. Compte tenu de l'adoption récente d'un cadre pour l'agrivoltaïsme et de la variété des projets, les données disponibles sur la rentabilité des projets sont actuellement limitées.

Aussi, le loyer versé par les énergéticiens en contrepartie d’installations solaires peut être dix fois plus élevé que ce que peut rapporter la location des terres à un exploitant (le fermage) : le producteur d'électricité reverse un loyer au propriétaire des terres (1.000 à 1.500 euros par an l'hectare en moyenne). Cette attractivité peut inciter une spéculation et engendrer une augmentation de la valeur des terres et/ou de l’exploitation agricole. La réduction de ce risque, récemment encadré par la loi AER, passe par la définition d’un mode organisationnel entre l’investisseur, le propriétaire et l’agriculteur. La Confédération paysanne dénonce des projets si bien rétribués qu'ils poussent les agriculteurs à délaisser leurs cultures ou leurs élevages au profit d'un argent "facile".

Réglementation relative à l'agrivoltaïsme en France

En France, des précisions ont été apportées sur l'agrivoltaïsme en 2023 (concept bien plus ancien(12)) dans la loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables.

Un « service » à l'activité agricole

Outre la définition mentionnée précédemment, il est indiqué qu'une installation de production électrique installée sur une parcelle agricole doit, pour être considérée comme « agrivoltaïque », apporter un des services suivants à l'activité agricole : 

  • amélioration du potentiel et de l’impact agronomiques ;
  • adaptation au changement climatique ;
  • protection contre les aléas ;
  • amélioration du bien-être animal.

Il est spécifié que la production agricole doit rester « l'activité principale de la parcelle agricole ».

Que dit le décret publié en avril 2024 ?

Le décret encadrant le développement de l'agrivoltaïsme a été publié le 9 avril 2024 au Journal officiel après de longues négociations entre les différentes parties prenantes, avec l'ambition d'apporter un cadre plus consensuel à cette pratique, faisant l'objet de nombreuses attentions et inquiétudes.

Consulter le Décret no 2024-318 du 8 avril 2024 relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers.

Le décret prévoit entre autres que la baisse de rendement induite par la production d'électricité à partir de panneaux photovoltaïques implantés sur une installation agricole doit être inférieure à 10% par rapport à « la moyenne du rendement » observé sur une parcelle témoin (appréciation hors élevage).

Pour garantir que la production agricole est bien l’activité principale dans un projet agrivoltaïque, la superficie du terrain couverte de panneaux solaires ne doit par excéder 40%, « sauf pour les projets qui ont déjà largement fait leurs preuves ».

Autre point important : le revenu issu de la production agricole est considéré comme « durable lorsque la moyenne des revenus issus de la vente des productions végétales et animales de l’exploitation agricole après l’implantation de l’installation agrivoltaïque n’est pas inférieure à la moyenne des revenus issus de la vente des productions végétales et animales de l’exploitation agricole avant l’implantation de l’installation agrivoltaïque ».

L'agrivoltaïsme apporte un revenu stable sur des durées longues, un contrat étant de 25 ans. Toutefois, le décret ne règle pas la question du partage de la valeur engendrée par la production d'énergie, entre le propriétaire foncier, l'agriculteur qui exploite le champ et le porteur de projet agrivoltaïque.

Enfin, le décret prévoit une déclinaison territoriale permettant aux élus et professionnels du secteur de décider des projets qui répondront le mieux à leurs problématiques locales.

Précisons qu'un bilan des effets du décret d'avril 2024 est prévu dans un an.

Développement de l'agrivoltaïsme en France

En France, l’INRA, l’IRSTEA et la société Sun’R ont lancé dès 2009 un programme de recherche baptisé « Sun’Agri » consacré à l'agrivoltaïsme. Avant le décret d'avril 2024, des projets agrivoltaïques sont apparus dans les appels d'offres de la CRE consacrés aux « installations de production d’électricité innovantes à partir de l’énergie solaire »(12) avec un nombre croissant d’acteurs(13) travaillant sur ce type de systèmes.

Le décret d'avril 2024 doit permettre un suivi plus précis des projets agrivoltaïques, qui doivent être distingués des projets sur des terrains délaissés qui peuvent offrir du foncier « non agricole » pour accélérer le développement du photovoltaïque.

Il va "être la pierre angulaire de la filière", souligne l'association professionnelle France Agrivoltaïsme, et va "structurer le marché", estime-t-on également chez EDF Renouvelables, qui a environ 70 projets dans ses cartons, notamment en Haute-Vienne avec des éleveurs ovins pour 82 mégawatts de puissance.

Pour rappel, la France s'est fixé pour objectif de déployer 100 GW photovoltaïques d'ici à 2035, les projets agrivoltaïques devant contribuer à cette ambition (sans qu'un objectif particulier pour ces projets soit défini).

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