Patrice Geoffron est directeur du Centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières à Paris-Dauphine. (©photo)
Les larges domaines placés sous l’autorité de Nicolas Hulot, ministre en charge de la transition écologique et solidaire, ont été précisés par décret jeudi dernier. Le nouveau ministre sera en particulier confronté à de nombreux défis en matière d’énergie : place du nucléaire dans le mix électrique, développement des énergies renouvelables, financement de la transition énergétique et fiscalité carbone, etc. Nous avons interrogé Patrice Geoffron, directeur du Centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières (CGEMP) de l’université Paris-Dauphine, sur les priorités et enjeux énergétiques du prochain quinquennat.
1) Quel bilan tirez-vous du quinquennat de François Hollande en matière d’énergie ?
Le bilan de François Hollande en matière d’énergie m’apparaît comme positif, dans sa globalité, et la tonalité du rapport de l’OCDE consacré à la stratégie énergie-climat de la France en 2016 est d’ailleurs clairement positive. La loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) constitue un cadre ambitieux et l’Accord de Paris est un tournant dans la lutte contre le changement climatique.
Toutefois, pour apprécier ce quinquennat, il faut garder à l’esprit qu’il s’inscrit dans une trajectoire entamée avec le Grenelle de l’Environnement (et le Paquet Énergie-Climat au niveau européen), c’est-à-dire il y a une dizaine d’années.
Sur une telle période, on pouvait espérer des résultats plus tangibles, que le modus operandi pour diversifier le mix électrique soit clairement établi (l’élaboration de la PPE a été difficile), que la réduction du recours aux énergies fossiles soit plus nettement engagée (l’objectif est de -30 % en 2030, ce qui suppose en particulier un révolution dans les transports), que l’amélioration de l’efficacité thermique dans l’habitat soit plus avancée, que la précarité énergétique soit réduite (5 millions de ménages sont frappés), etc.
Mais, à dire vrai, l’appréciation d’une politique de transition est un exercice très délicat, pour lequel nous manquons d’un clair référentiel : auparavant, il s’agissait d’apprécier « simplement » des politiques énergétiques (faisant la part belle à l’indépendance) et non des transitions aussi complexes. En outre, ces dix années ont été traversées par une crise économique, ce qui n’est pas neutre lorsqu’il s’agit d’encourager des activités nouvelles mobilisant des capitaux publics. Surtout, le pilier de la stratégie européenne qu’est le marché carbone (EU ETS) a été déstabilisé du fait de la crise (et d’autres facteurs), délivrant un prix du CO2 bien trop faible pour modifier la structure productive.
2) Avec Emmanuel Macron président et Nicolas Hulot ministre d’État, la politique énergétique de la France est-elle susceptible d’évoluer sensiblement ?
Emmanuel Macron revendique de s’inscrire dans le prolongement de la LTECV. Cette position procède d’un partage de la vision sous-tendant la loi… mais également de la volonté de gagner de temps pour apporter des solutions aux contradictions internes qu’elle contient.
Ainsi, le nouveau président a déclaré qu’il ne connaissait pas le « coût complet » du nucléaire et que, dans l’attente des avis de l’ASN en 2018, la perspective d’un nucléaire à 50% en 2025 restait inchangée. Sans le dire à ce stade, le président Macron (qui est un fin connaisseur du « dossier » EDF) sait qu’il ne sera pas possible de mettre hors réseau une vingtaine de réacteurs entre 2019 et 2025.
Il faudra faire en sorte que le « point d’atterrissage » dans le temps soit plus lointain, l’enjeu étant de convaincre qu’il s’agit d’une adaptation de la stratégie et non d’un reniement. C’est pourquoi, dès le début du mandat, des appels d’offres ambitieux pour les renouvelables seront lancés.
3) Quels sont les principaux défis que Nicolas Hulot va devoir relever ?
Nicolas Hulot apporte à la fois sa popularité et son expertise sur les sujets énergie-environnement, deux atouts importants pour mettre en œuvre la LTECV (et surmonter certains de ses écueils) et peser dans les arbitrages internes au gouvernement sur la mobilisation des ressources publiques.
Cette popularité sera importante pour rendre didactiques certaines décisions (par exemple sur la fiscalité des carburants ou pour trouver une issue à Notre-Dame-des-Landes). Au-delà des grands dossiers structurants, Nicolas Hulot devra surtout avancer sur des chantiers qui seront moins à l’avant-scène (économie circulaire, biodiversité, etc.) et mettre en œuvre la coopération prônée par le nouveau Premier ministre dans des domaines de compétence partagée (la promotion d’une agriculture durable par exemple).
Dès lors que Nicolas Hulot est convaincu que la transition est un projet de société, il devra à la fois en convaincre ses concitoyens et faire partager cette vision au sein du gouvernement. Enfin, Nicolas Hulot garde dans ses compétences les négociations climatiques, dont il connaît bien les rouages, pour « veiller » sur l’Accord de Paris.
4) Emmanuel Macron a insisté durant sa campagne sur son engagement européen. Quels sont les principaux enjeux communautaires en matière d’énergie ?
Emmanuel Macron semble déterminé à réformer le marché carbone européen et à en encadrer le prix, pour redonner un effet à cet outil dans la transition. Il pourrait aussi insister pour engager de grands investissements dans l’Union européenne sur des projets liés à la transition, à la fois dans les infrastructures, mais également dans la R&D. Cette orientation trouverait logiquement une place dans les investissements d’avenir, que pourrait financer le budget pour la zone euro dont le nouveau président souhaite impulser la création.
Par ailleurs, via l’État-actionnaire, il pourrait avoir à se prononcer sur des opérations de « mécano industriel » entre utilities européennes (à l’image des réflexions en cours entre Engie et RWE). Enfin, Emmanuel Macron sera en première ligne dans le dialogue européen avec la Russie, susceptible d’ouvrir une période nouvelle … tout aussi bien que de prolonger l’actuelle « paix froide », avec une incidence en matière gazière.
5) Les négociations climatiques vous semblent-elles menacées par le désengagement possible des États-Unis ?
Concernant la mise en œuvre de l’Accord de Paris, l’élection de Trump constitue évidemment un « stress test » mais la menace pèse aussi sur les États-Unis. Certes, l’administration américaine peut engager sa sortie du processus en quelques années ou (moins spectaculairement) simplement ne pas le mettre en œuvre en ne tenant pas les engagements pris en matière de réduction des émissions (en diluant les contraintes sur la production électrique au charbon) ou de soutien au financement des efforts engagés dans les pays en développement.
Mais aux États-Unis, tout ne se joue pas au niveau fédéral, les États, les villes étant des acteurs puissants de la transition énergétique. Si Donald Trump est réellement un président pro-business, il sera conduit à considérer le potentiel en emplois des énergies renouvelables et du véhicule électrique, des smart cities, du big data énergétique, etc. Il devra composer avec des entreprises puissantes et intéressées par la transition énergétique, notamment les « GAFA »(1).
Surtout, cette tentation de repli sur le potentiel américain en énergies fossiles ferait peser un risque sur les États-Unis. L’enjeu pour un pays qui vise au leadership dans les industries d’avenir (et non pas seulement du passé) est de gagner en compétitivité dans des technologies bas carbone où la concurrence des Européens, et plus encore des Chinois, sera vive.
Aussi, cette « menace » américaine pourrait démontrer la résilience de l’Accord de Paris et, mieux que tout discours incantatoire, révéler que suffisamment d’intérêts (portés par des États, des entreprises, des collectivités, des groupements de citoyens) sont coalisés dans le sens de la transition énergétique. Cet enjeu se trouve évidemment en bonne place dans l’agenda du nouveau président français.