Pierre-André Jouvet est Professeur des universités à Paris-Nanterre et Président de l’université Paris-Lumières.
Christian de Perthuis est Professeur à Paris-Dauphine et Fondateur de la Chaire Economie du Climat.
Avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, l’accord climatique de Paris va être confronté bien plus rapidement qu’on ne pouvait l’imaginer à l’épreuve du réel. La politique énergétique engagée par le Président Obama risque d’être profondément réorientée au profit du charbon et de l’exploitation des pétroles et gaz du schiste dont le pays est l’un des grands pourvoyeurs dans le monde. Or, l’accord de Paris ne comporte pas de garde-fou permettant d’empêcher cette réorientation des choix énergétiques du deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre, ce qui va singulièrement compliquer sa mise en œuvre.
La victoire de Donald Trump n’a pas été seulement obtenue dans les États de la « Rust Belt » sérieusement affectés par le déclin des industries traditionnelles. Donald Trump fait ses meilleurs scores dans les États gros pourvoyeurs d’énergie fossile comme le Wyoming ou le Dakota du Nord, où il a promis de renforcer l’exploitation des ressources en énergies fossiles très abondantes dans le sous-sol. Cette assise électorale devrait conduire le nouveau Président à remettre en cause les régulations contraignant les émissions des centrales électriques que Barack Obama a tenté d’imposer au niveau fédéral en dépit de l’opposition du Congrès (« Clean Power Plan »). Or, ce sont ces régulations qui crédibilisent la contribution déposée par les États-Unis auprès des Nations Unies, visant à réduire de 26-28 % les émissions de gaz à effet de serre entre 2005 et 2025.
Difficile de dire jusqu’où ira cette réorientation tant la donne énergétique s’est complexifiée. La baisse des coûts du gaz naturel consécutive à l’exploitation des gaz de schiste donne un avantage compétitif aux centrales thermiques à gaz. Le mouvement déjà amorcé de basculement du charbon vers le gaz devrait donc se prolonger. Mais le potentiel de production du charbon local pourra continuer d’être exploité si les projets existants d’investissement dans les infrastructures de transport (voies ferrées et terminaux d’exportation sur la côte Pacifique) sont menés à terme, malgré les oppositions qu’ils suscitent dans les États concernés (Oregon et Washington). Un enjeu moins médiatisé mais aussi crucial que celui concernant le pipeline Keystone XL devant rattacher les gisements de sables bitumineux canadien au marché américain. De plus, le nouveau Président devra composer avec les intérêts économiques des industries locales portées par la course aux nouvelles énergies vertes.
L’article 28 de l’accord indique qu’il faut quatre années pleines pour totalement se désengager : la durée du mandat présidentiel !
L’accord de Paris peut-il jouer un rôle de garde-fou, contrecarrant de telles réorientations ? Examinons d’abord la question sous l’angle juridique. L’article 28 de l’accord indique qu’il faut quatre années pleines pour totalement se désengager : la durée du mandat présidentiel ! Mais la forme juridique de cet accord, une annexe à une décision de la Conférence des Parties, fait qu’il y a une façon bien plus radicale d’en sortir en dénonçant la Convention de 1992, dénonciation qui aux termes de son article 25 devient effective dans un délai d’un an. Le même article stipule que « toute Partie qui aura dénoncé la Convention sera réputée avoir dénoncé également tout protocole auquel elle est partie ». Juridiquement, une année suffit donc aux États-Unis pour formellement quitter le cadre onusien de l’action commune face au changement climatique si le Président élu confirme ses promesses de candidats, mais aussi les attentes d’une grande partie de son électorat et sans doute de la majorité de son Congrès.
Supposons que le choix du Président élu soit de rester formellement dans le cadre onusien. Que se passerait-il ? Pas grand-chose qui puisse contrarier la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie énergétique favorisant les énergies fossiles. Le succès diplomatique de Paris a en effet été obtenu en reportant à plus tard, et notamment à 2018, la mise en place d’un cadre commun de transparence et vérification. Ajoutons que ce cadre, défini à l’article 15, écarte toute forme de sanction ou d’accusation.
L’accord de Paris ne dispose donc pas de mécanisme permettant d’inciter un pays qui s’écarte unilatéralement de la mise en œuvre de sa contribution nationale à corriger sa dérive. Reste l’argument de la perte de réputation à l’international : il n’aura guère de prise sur un Président élu sur la base du rejet des élites mondialisées au nom du « America First ».
La COP de Marrakech se trouve en 2016 dans une situation qui rappelle celle de 2001 au lendemain du rejet du protocole de Kyoto par le Président Bush.
Que les États-Unis restent ou non dans l’accord, la communauté internationale va être confrontée à une situation nouvelle : comment les parties à un accord basé sur des principes coopératifs et une course au mieux-disant en matière d’ambition climatique peuvent réagir face à la volonté assumée de non coopération du second émetteur de la planète ?
Curieusement, la COP de Marrakech se trouve en 2016 dans une situation qui rappelle celle de 2001 au lendemain du rejet du protocole de Kyoto par le Président Bush. Contre toute attente, les parties s’y étaient alors entendues pour relancer un processus de négociation. Un tel processus peut de nouveau être amorcé à la COP22, avec l’objectif de s’accorder sur un mécanisme de suivi où des règles crédibles garantissent la concrétisation des engagements de chaque partie tant en termes de réduction des émissions que de financement du développement.
Sources / Notes
Une version courte de cette tribune est parue dans les Echos du 15 novembre 2016.
Pour une analyse détaillée de l’accord de Paris, vous pouvez lire « L’accord de Paris : la négociation climatique peut commencer », une publication de la Chaire Économie du Climat parue en avril 2016.