Directeur général d'Energy Observer
Se rendre au Spitzberg, en Arctique, sans aucune énergie fossile était un véritable défi technologique que s’étaient lancés les ingénieurs et les marins de notre bateau laboratoire Energy Observer. « Cette navigation avec des eaux et des températures extrêmement basses nous a permis de tout tester, du stockage à la production d’ENR… », témoigne Victorien Erussard, capitaine et fondateur d’Energy Observer.
Panneaux photovoltaïques, « OceanWings » et hydrogène
Pour rappel, Energy Observer est équipé de panneaux photovoltaïques déployés sur une surface de 168 m2 (28 kWc de puissance cumulée). Il dispose par ailleurs d’un système de production décarbonée d’hydrogène (par électrolyse) et d’ailes dites « OceanWings », propulseur éolien qui permet de démultiplier les performances du navire : en accélérant sa vitesse en complément des moteurs électriques et en réduisant les dépenses énergétiques lorsqu’elles viennent soulager ces moteurs qui peuvent alors être convertis en hydrogénérateurs (produisant de l’électricité à partir du flux d’eau lors du déplacement du bateau).
Le bilan technique des 5 700 km parcourus depuis Saint Pétersbourg jusqu’à Longyearbyen met en évidence que cette mixité énergétique est incontournable pour pallier l’intermittence des sources renouvelables : allier solaire, éolien et hydrogénération de façon optimale a permis à Energy Observer de disposer d’une autonomie énergétique complète, en ayant recours à l’hydrogène – produit grâce aux énergies renouvelables – lorsqu’il n’y avait ni vent, ni soleil. Les panneaux photovoltaïques et les Oceanwings ont respectivement fourni 52% et 42% de l’énergie nécessaire à cette traversée, les 6% restants provenant du vecteur hydrogène.
Dès lors qu’Energy Observer était ralenti par une tempête ou un arrêt technique, l’électricité non utilisée pour la propulsion du navire était consacrée à la production d’hydrogène, plus aisément stockable. Comme à terre, l’hydrogène a donc parfaitement rempli son rôle irremplaçable de « catalyseur » des énergies renouvelables.
L’immense travail effectué sur l’automatisation des OceanWings a vraiment apporté une nouvelle dimension à la navigation d’Energy Observer (ces ailes ont remplacé des éoliennes à axe verticale, initialement intégrées au navire). Elles ont permis d’économiser beaucoup d’énergie et vont permettre de révolutionner l’exploitation du vent.
Nous pouvons utiliser les moteurs électriques du navire pour stabiliser le flux d’air sur les ailes (en accélérant lorsque le vent baisse et inversement), et cela nous permet d’augmenter leur rendement global de façon significative : c’est toute la stratégie de gestion de la propulsion qui est renouvelée.
Les ailes d'Energy Observer, dites « OceanWings », ont une surface de 31,5 m2 chacune et tournent à 360°. (©Energy Observer-Amélie Conty)
La consommation d’énergie à bord
La vie à bord (chauffage, éclairage, cuisson, etc.) pour la dizaine de personnes composant l’équipage d’Energy Observer a compté pour 41% de la consommation totale d’énergie de la traversée (la vie à bord représente souvent plus de la moitié de la consommation d’énergie d’un voilier d’expédition ou même de plaisance), le reste étant consacré à la propulsion et aux appareils de navigation.
Les automates d’Energy Observer sont notamment toujours d’importants consommateurs mais indispensables pour traiter les plus de 1 800 données en temps réel et tous les systèmes intelligents embarqués qui font de ce bateau une véritable smart grid flottant !
Grâce à l’automatisation couplée de tous les systèmes embarqués, Victorien Erussard témoigne avoir assuré seul un quart de veille de 4 heures en pleine nuit lors du louvoyage vers Longyearbyen, avec plus de 40 nœuds de vent dans un air glacé.
L'équipage d'Energy Observer est constitué d'une dizaine de personnes. Ici, l'intérieur du navire. (©Energy Observer-Jérémy Bidon)
Réduire l’impact environnemental du transport maritime
Toutes les expéditions, même sur des voiliers, ont toujours été gourmandes en énergies fossiles. Au début du XXe siècle, l’expédition Nimrod en Antarctique(1) de Sir Ernest Shackleton consommait tellement de charbon qu’il fallait un second navire dédié au transport de ce combustible. Le gasoil a aujourd’hui remplacé la houille dans les cales des voiliers. Au Spitzberg, les voiliers de voyage ont le pont souvent bien encombré de réservoirs…
L’installation d’OceanWings à bord de navires constituerait une première étape pour réduire l’impact environnemental du transport maritime mondial. D’après des simulations réalisées sur un panel très large de bateaux, les résultats sont extrêmement prometteurs : ces ailes permettraient de réduire de 18 à 42% les dépenses énergétiques des navires. Cette perspective pourrait avoir des conséquences majeures, sachant que 90% du commerce mondial transite par la mer.
Dès cet hiver, les ingénieurs dépouilleront les milliers de données d’Energy Observer et dresseront un bilan énergétique plus exhaustif de cette campagne dans le nord de l’Europe, aux conditions radicalement opposées à celles de la Méditerranée où Energy Observer a navigué en 2018.
Mais désormais, l’équipage sait qu’il peut s’aventurer n’importe où, même dans les conditions les plus difficiles, avec un confort et une sécurité inédits… tout en disposant du plus propre des bateaux d’expédition.
Energy Observer est arrivé le 10 août dans l’archipel du Svalbard, après une navigation de 5 700 km. (©Energy Observer)
Sources / Notes
- Expédition britannique en Antarctique menée entre 1907 et 1909.
Crédit photo du portrait de Louis-Noël Viviès : ©Energy Observer Productions – Marta Sostres.