Le nombre de navires marchands augmente rapidement chaque année et de nouvelles réglementations voient le jour pour limiter leurs émissions de polluants et de gaz à effet de serre. (©Pixabay)
Une nouvelle réglementation de l’Organisation maritime internationale (OMI) va entrer en vigueur en 2020 pour réduire significativement les émissions d’oxydes de soufre (SOx) des navires. État des lieux.
Quel est l’objectif de la nouvelle réglementation ?
Le transport maritime consomme chaque année « grossièrement 200 millions de tonnes (Mt) de fioul lourd (soit 45% de la consommation mondiale annuelle) et 30 Mt de gasoil (5% de la consommation mondiale annuelle) » selon Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime (ISEMAR)(1). La combustion du fioul lourd bon marché s’accompagne d’importantes émissions d’oxydes de soufre, d’azote ainsi que de particules fines.
Pour limiter ces émissions et la pollution de l’air associée, l’OMI(2) a adopté en 2008 et confirmé en octobre 2016(3) une réglementation abaissant le futur plafond autorisé de la teneur en soufre dans les carburants marins de l’ensemble des navires marchands : à partir du 1er janvier 2020, ce plafond sera de 0,5% de teneur en soufre, contre 3,5% actuellement(4). Précisons qu’un plafond plus bas de 0,1% est déjà en vigueur dans certaines zones dites d’émissions contrôlées ou « ECA »(5).
Dans une étude soumise en 2016 au Comité de la protection du milieu marin (MEPC) de l’OMI, il est estimé qu’en l’absence d’une réduction des émissions de SOx, la pollution atmosphérique liée au trafic maritime pourrait être à l’origine de plus de 570 000 décès prématurés dans le monde entre 2020 et 2025(6).
Les oxydes de soufre se sont ainsi imposés comme la question environnementale centrale du secteur et le transport maritime a été jusqu’ici « relativement épargné par la question du CO2 (compte tenu de ses faibles émissions par km), qui était renvoyée vers le transport routier et aérien »(7) explique Paul Tourret. L’OMI a toutefois signé en avril 2018 un accord visant à réduire d’au moins 50% les émissions mondiales de gaz à effet de serre du transport maritime d’ici à 2050, par rapport au niveau de 2008.
Comment les armateurs vont-ils s’adapter ?
Pour respecter la nouvelle réglementation, les navires pourront à l’avenir avoir recours pour leur propulsion à différents carburants :
- du fioul lourd « peu soufré » (« LSFO » en anglais), issu de la distillation d’un pétrole brut à faible teneur en soufre (ou de la distillation d’un pétrole à haute teneur en soufre suivie ensuite d’une désulfuration en raffinerie) ;
- du fioul plus léger comme le gasoil marin (« MDO » ou « MGO ») ;
- un carburant alternatif comme le gaz naturel liquéfié (GNL).
Les navires pourront également conserver un carburant à haute teneur en soufre (« HSFO »), sous réserve d’être équipés de dispositifs de traitement de fumées, dits « scrubbers »(8). Ces équipements, conçus spécifiquement pour réduire les émissions d’oxyde de soufre (mais pas d’oxydes d’azote et de gaz à effet de serre), nécessitent toutefois un important investissement (5 à 10 millions de dollars) et leur développement reste actuellement limité (autour de 2 000 unités selon Paul Tourret).
Pour se conformer à la nouvelle réglementation, « le choix d'une technologie plutôt qu'une autre n'est pas simple », résume l’ISEMAR. Ce choix dépend en effet de nombreux facteurs : type et âge du navire, taux de présence dans les « ECA », ports d'approvisionnement en carburants à faible émissions, caractéristiques techniques du navire, etc. L’évolution des prix respectifs des carburants à haute et basse teneur en soufre et du gasoil marin orientera également les décisions des armateurs, sachant que « le fioul désoufré et le gasoil sont grossièrement plus chers de 35% » que le fioul lourd à l’heure actuelle selon Paul Tourret.
À ce jour, « de nombreux armateurs français ont fait le choix du fioul à très faible teneur en soufre pour leurs navires existants », selon Armateurs de France qui représente les entreprises françaises de transport et de services maritimes. L’organisation professionnelle s’interroge toutefois sur « la disponibilité et la qualité de carburants conformes dans toutes les parties du globe ».
En cas de forte hausse des prix des carburants marins, les vaisseaux pourraient par ailleurs être davantage incités à réduire leur vitesse, une pratique dite « slow steaming » déjà développée dans les années 1970 par les navires pétroliers (à la suite des chocs pétroliers). Dans un communiqué publié le 4 avril 2019, le ministère français en charge de l’énergie indique à ce sujet vouloir déposer un projet auprès de l’OMI pour réguler la vitesse des navires(9). Il y rappelle qu’ « un pétrolier réduisant par exemple sa vitesse de 12 nœuds à 11 nœuds réduit sa consommation de 18% et de 30% à 10 nœuds »(10).
Quel impact pour les marchés pétroliers ?
Les carburants utilisés par les navires résultent de mélanges de plusieurs coupes pétrolières du bas de la colonne de raffinage. Ces mélanges vont devoir changer avec la nouvelle réglementation, ce qui impliquera des adaptations dans certaines raffineries. Selon l’ISEMAR, l'échéance 2020 « semble courte » pour les installations devant s'adapter et investir en capacités de désulfuration : « la durée de construction de ce type de projets et leur nombre réduit rendent probable un défaut de carburant à faible émission de soufre ».
Paul Tourret note à ce titre l'intérêt du fioul lourd qui « n’a que deux usages (navires et centrales thermiques) » et juge « que le transport maritime brûle ce qui est difficile à utiliser, et donc que l’épuration vertueuse (avec scrubbers) constitue un bon choix ».
Dans un rapport publié fin mars sur le sujet(11), l’EIA américaine (Energy Information Administration) estime que « la modification des limites de soufre va avoir de vastes répercussions sur les industries mondiales du raffinage ainsi que sur l'offre, la demande, les flux commerciaux et les prix du pétrole ». L’Agence américaine estime que la consommation de carburants des navires transitant par les ports américains reposera à seulement 3% sur du fioul à haute teneur en soufre en 2020, contre… 58% en 2019 (ce carburant étant principalement remplacé par du fioul à faible teneur en soufre). En 2022, cette part pourrait toutefois remonter à 24%, avec l’équipement des navires en « scrubbers ».
Des carburants issus de produits non pétroliers sont appelés à se développer, notamment le GNL. Selon l’ISEMAR, « 121 navires dans le monde (sur 50 000 en 2018) utilisaient la propulsion au GNL ou étaient gaz ready, c’est-à-dire pouvant utiliser ou non du GNL ». L’Institut estime qu’ils devraient être deux fois plus nombreux en 2025 au regard des carnets de commande des constructeurs. L’usage du GNL est privilégié pour les navires à passagers, ferries et paquebots « qui effectuent des trajets réguliers et dont l'avitaillement peut être facilement anticipé (bien que le process soit lent) ».
D’autres expérimentations sont en cours, avec « l'usage du méthanol, des énergies renouvelables, des piles à combustible » selon l’ISEMAR. Un navire 100% électrique avec une autonomie avoisinant 120 km devrait par exemple être mis en service en 2020 dans les eaux norvégiennes (Yara Birkeland).
Cette réglementation sera-t-elle efficace ?
L’OMI rappelle au sujet du nouveau plafond qu’il « incombe aux États d'en assurer l'application, le respect et le contrôle du respect ». Cette aplication de la réglementation déléguée aux juridictions nationales devra être homogène pour être efficace.
Pour Paul Tourret, « la meilleure idée serait d'effectuer des contrôles aériens avec des drones au port ou en mer, avec des sanctions exemplaires » pour ceux ne respectant pas les normes. Il s’agit « d’une question de volonté (contrôle, justice, amende) » selon le directeur de l’ISEMAR qui cite des condamnations en France et en Californie, faute de quoi le risque existe de ne voir « que les côtes des pays occidentaux véritablement propres ».