Durant la navigation de Saint-Pétersbourg à l'archipel du Svalbard, « l’hydrogène a de nouveau joué son rôle clef pour pallier l’intermittence des ENR » à bord d'Energy Observer. (©Energy Observer-Antoine Drance)
Le navire Energy Observer a atteint mi-août l'archipel du Svalbard dans l'océan Arctique, après près de 5 700 km de navigation depuis Saint-Pétersbourg. Les membres du projet soulignent « l'urgence d'une mobilisation générale » dans la lutte contre le changement climatique alors que le G7 se réunit du 24 au 26 août à Biarritz.
Un navire transformé en 2019
Avant d'atteindre l'île du Spitzberg, le catamaran Energy Observer a effectué une quarantaine d'escales depuis sa mise à l'eau en 2017, d'abord en France, puis dans toute la Méditerranée en 2018 et enfin en Europe du Nord au cours des derniers mois. Pour rappel, l'équipage de ce navire de 30,5 m de long et 12,8 m de large a pour objectif de réaliser un tour du monde en 6 ans « en autonomie énergétique totale », en ayant uniquement recours aux énergies renouvelables et au vecteur hydrogène(1).
Le catamaran est ainsi recouvert de panneaux photovoltaïques dits « bifaciaux », c'est à-dire « capables de récolter les rayons solaires par le dessus, mais également le dessous grâce à la réverbération de la lumière sur les surfaces blanches du navire et de la mer »(2). Avant le début de la navigation en Europe du Nord, la surface de cellules photovoltaïques intégrés à Energy Observer a été augmentée afin de compenser la perte d'ensoleillement par rapport à la Méditerranée(3) : elle atteint désormais 168 m2, avec une puissance crête totale de 28,5 kWc(4).
Les ailes « Oceanwings » ont chacune une surface de 31,5 m2. (©Energy Observer-Antoine Drancey)
L'hydrogène à bord d'Energy Observer est par ailleurs produit par électrolyse de l'eau : de l'eau de mer est dessalinisée par osmose inverse, puis traitée pour être utilisée par un électrolyseur embarqué (« 1 L d'eau douce permet de produire 100 g d'H2 » selon l'équipage). En 2018, cet électrolyseur a « fonctionné 1 469 heures pour produire un total de 488 kg d’hydrogène, avec un rendement de 42% », fournissant « 60% de l'énergie nécessaire aux navigations du navire »(5). Une pile à combustible de 20 kW permet de reconvertir cet hydrogène en électricité en fonction des besoins à bord(6).
Energy Observer dispose d'un « double stockage » d'énergie : d'une part des batteries lithium-ion (un parc de batteries pouvant stocker 112 kWh alimente les moteurs électriques et un autre parc pouvant stocker 18 kWh est dédié aux équipements de vie à bord) pour le stockage court terme et d'autre part 8 réservoirs d'hydrogène de 332 L (pouvant stocker 62 kg d'hydrogène à 350 bars, « soit l'équivalent en énergie de 230 litres d'essence » selon Energy Observer) pour le stockage long terme(7).
Le catamaran Energy Observer était initialement également équipé de 2 éoliennes à axe vertical et d'une aile de traction. Celles-ci ont été remplacées en avril 2019 par des « ailes rigides de propulsion » (Oceanwings) de 12 mètres d'envergure, entièrement automatisées et tournant à 360°. Celles-ci ont vocation à accélérer la vitesse du navire, à réduire la consommation d'énergie en se substituant en partie aux moteurs électriques, l'électricité issue des panneaux photovoltaïques pouvant ainsi être davantage consacrée à la production d'hydrogène par électrolyse(8).
Une « course contre les énergies fossiles »
Pour Energy Observer, la navigation dans l'océan Arctique constituait un nouveau défi, permettant de tester en conditions extrêmes (eaux à 5°C) les équipements embarqués. Qualifiant cette étape de « véritable course contre les énergies fossiles », l'équipage indique que « la mixité énergétique s’est montrée particulièrement efficace ». Le recours à des énergies décarbonées en Arctique a une forte portée symbolique alors que « les expéditions polaires ont historiquement été de grosses consommatrices d’énergies fossiles, depuis Sir Shackleton, dont le Nimrod était suivi par un autre bateau rempli de charbon, jusqu’aux voiliers modernes aux cales débordantes de gasoil », soulignent les membres d'Energy Observer.
Cette étape constitue également une occasion d'alerter la communauté internationale sur cette zone très impactée par le changement climatique : « c'est l'endroit où l'on mesure le mieux l'impact de l'homme sur le climat, c'est un laboratoire ouvert, qui permet de prédire ce qui va se passer sur la planète », avertit le chef d'expédition Jérôme Delafosse à l'AFP.
« En moins de 20 ans, l’Arctique a perdu 1,6 million de kilomètres carrés de glace », déplore l'équipage. (©Energy Observer)
L'archipel du Svalbard a en outre « toujours été une terre d’extraction de l’énergie, de l’huile de baleine jusqu’aux mines de charbon, et demain les hydrocarbures arctiques. Ces dernières éveillent les convoitises des grandes puissances, de la Chine (premier constructeur de brise-glaces aujourd’hui) à la Russie (toujours présente au Spitzberg), aux États-Unis (aux ambitions arctiques déclarées) ou au Canada, qui se préparent à exploiter la fonte des glaces pour forer et extraire toujours plus d’énergies fossiles ».
À l'heure du G7, Energy Observer alerte enfin sur les énormes quantité de méthane susceptibles d'être libérées avec la fonte du permafrost(9).