La centrale de Cordemais en Loire-Atlantique est composée de 2 tranches au charbon et de 2 tranches au fioul. (©EDF-Yves Soulabaille)
Un « prix plancher » du carbone est censé être introduit dans le secteur électrique français en 2017. Dans une étude publiée le 22 juin dernier(1), la Chaire Économie du Climat attire toutefois l’attention sur les effets inattendus que pourrait avoir cette mesure.
Un prix plancher fixé « unilatéralement », une fausse bonne idée ?
C’est lors de la dernière Conférence environnementale fin avril 2016 que François Hollande a annoncé la mise en place d’un prix plancher du carbone dans le secteur électrique en insistant sur le fait que celui-ci serait fixé « unilatéralement » pour « montrer l’exemple »(2). Le but annoncé étant de donner une plus grande visibilité aux investisseurs et d’améliorer la compétitivité des centrales au gaz par rapport à celles au charbon.
Pour Christian de Perthuis, Boris Solier et Raphaël Trotignon, auteurs de l’étude de la Chaire Économie du Climat, un prix plancher du CO2 de 30 euros par tonne tel qu’envisagé aurait surtout pour effet de réduire l’utilisation des centrales thermiques françaises au profit d’unités de production étrangères et donc d’augmenter les importations nettes d’électricité (le niveau de ces dernières variant en fonction des contraintes en matière d’interconnexions et de la disponibilité des centrales étrangères).
Le prix plancher changerait bien l’ordre d’appel des centrales françaises (dit « merit order ») en modifiant leurs coûts relatifs : les centrales au charbon seraient ainsi plus pénalisées que les centrales à gaz moins émettrices de CO2. Mais dès lors qu’il s’applique « unilatéralement » en France, l’électricité produite par les voisins européens devient plus compétitive, y compris celle provenant de centrales fortement émettrices.
En définitive, la mise en œuvre du prix plancher français pourrait diminuer la production électrique nationale de 9,3 TWh à 14,5 TWh par an, deux tiers de cette baisse affectant les centrales à gaz. Les émissions de CO2 de la France baisseraient de 3,5 à 10 Mt (en fonction des prix relatifs du charbon et du gaz) selon cette étude mais celles liées aux importations augmenteraient dans le même temps de 3,7 à 6,2 Mt. Pour rappel, les émissions françaises de CO2 se sont élevées à 318,5 Mt en 2013, selon les dernières données du ministère en charge de l’énergie(3).
La logique de « merit order » consiste à faire appel aux différentes unités de production, au fur et à mesure, en fonction de leurs coûts marginaux croissants. (©Chaire Économie du Climat)
Quel impact sur les émissions européennes ?
Au niveau européen, le marché de quotas d’émissions de CO2 pâtirait de l’introduction du prix plancher français. A niveau de plafond inchangé sur ce marché européen, les installations électriques françaises « libéreraient » en effet des quotas qui pourraient être utilisés par d’autres acteurs du marché non soumis au prix plancher. On assisterait in fine à un transfert d’émissions entre secteurs, comme cela a été le cas à la suite de l’introduction d’un prix plancher similaire sur le secteur électrique britannique, ce qui annulerait le bénéfice environnemental d’ensemble.
Selon la Chaire Économie du Climat, le prix plancher français est susceptible de faire baisser le prix de la tonne de CO2 d’environ 0,7 € la première année par rapport à un scénario de référence (sans prix plancher) sur le marché de quotas européen et de 0,22 € la quatrième année. A titre indicatif, le prix de la tonne est descendue ces jours-ci en dessous de 5 €(4).
Pour que le prix plancher français « génère un bénéfice environnemental, il faudrait que le plafond des quotas soit abaissé du montant des réductions d’émission du secteur électrique », précise l’étude.
Qu’en serait-il si le prix plancher était européen ?
Les pouvoirs publics français ont présenté le prix plancher français comme une première étape vers « un corridor de prix sur le marché européen du carbone » (un dispositif qu’ont notamment contesté l’Allemagne et la Finlande lors du dernier Conseil environnement du 20 juin 2016(5)). Dans le cas d’un hypothétique prix plancher introduit au niveau de l’ensemble du secteur électrique européen, la Chaire Économie du Climat précise que les unités de production françaises verraient leur compétitivité-prix s’accroître. Le taux d’utilisation des centrales à gaz françaises pourrait notamment augmenter de 14%.
Avec un prix plancher de 30 €/tonne de CO2, le prix moyen de l’électricité sur le marché de gros européen pourrait atteindre(6) 44,8 €/MWh, soit près de 35% de plus que le prix moyen envisagé dans un scénario de référence(7) (alors que la hausse de ce prix de gros serait limitée à 2,6 à 3,4 €/MWh dans le cas du seul prix plancher français).
Au total, le secteur électrique européen pourrait réduire ses émissions de 124 Mt CO2 par an entre 2017 et 2020. Les quotas libérés ne seraient toutefois que « marginalement absorbés » par la réserve de stabilité(8) (qui permet de réduire le nombre de quotas « en circulation » en cas d’excédent sur le marché). En définitive, le prix de la tonne de CO2 sur le marché d’échange de quotas européen chuterait à zéro et la réduction nette des émissions à l’échelle européenne serait réduite à 50 Mt CO2 par an entre 2017 et 2020.
Se pose alors la question d’inclure les émissions de l’industrie, plus directement exposée à la concurrence internationale, dans le dispositif dudit prix plancher. Ce dernier se substituerait alors totalement au marché européen de quotas actuel.
Rappelons que la France s’est déjà dotée en 2014 d’une « composante carbone » qui s’applique à l’utilisation des énergies fossiles dans les secteurs non couverts par le système européen des quotas de CO2. Atteignant 22 €/t CO2 en 2016, cette taxe fait l’objet d’une révision à la hausse chaque année, qui a jusqu’ici été indolore pour les consommateurs français dans le contexte de baisse des prix des carburants et du gaz naturel.