Journaliste spécialisé dans les questions liées au développement durable
Co-fondateur de l'association Climat Energie Humanité Médias et des Entretiens de Combloux.
Le réchauffement climatique ne cesse de s’intensifier mais peu importe pour les fadas des gros cubes. La 47e édition du rallye Dakar est en cours sur les pistes ensablées de l’Arabie Saoudite. Pathétique !
En ce jeudi 2 janvier 2025, un énorme titre barre la Une du quotidien L’Équipe : « À la conquête du désert ». Carrément enthousiasment sauf que les héros programmés ne descendent ni de Lawrence d’Arabie et encore moins de Théodore Monod.
Les trois quinquagénaires en photo, dont le Français Sébastien Loeb, posent fièrement devant les dunes qu’ils sont donc appelés à dompter sans avoir rien demandé à personne et surtout pas à quelques scientifiques qui auraient pu leur ouvrir les yeux. Mais peuvent-ils ignorer les alertes sur l’utilisation des énergies fossiles et la dégradation du climat de la planète ? Certainement pas. Conclusion qui plombe le moral : ils savent mais n’en ont rien à faire. Rien !
Idem pour les organisateurs, ASO, les télés et radios qui diffusent. Incroyable de constater que France Télévision a couvert l’épreuve pendant quelques dizaines d’années et a donc donné aux indispensables sponsors l’assurance d’une couverture télé d’envergure et un gage global de respectabilité. Le syndicat SNJ-CGT a tenté de faire bouger les lignes en évoquant « une faute politique et une hérésie écologique »(1), mais sans aucun succès.
ASO ne communique pas sur le budget de l’épreuve mais on connaît quelques chiffres : 45 000 euros pour les droits d’inscription d’un camion, 30 000 pour une auto et 18 000 pour une moto. C’est une course de riches (60 000 au total pour un motard) et pour les pros comme pour les amateurs, rien ne serait possible sans les sponsors qui réclament légitimement une couverture télé pour être visibles. C’est vrai au niveau national mais en région, chaînes, radios et médias écrits se disputent la présence du champion local. C’est une aubaine dans cette période de l’année assez calme en info. Et c’est comme cela que le Dakar est partout dans les médias qui ne se posent plus la question de la pertinence d’une telle « conquête ».
Le Dakar résiste à tout. À la menace terroriste d’abord. En 2000, un pont aérien a été organisé entre Niamey et Sebha en Libye pour éviter au rallye de traverser le Niger. Trois Antonov AN-124 ont été mobilisés pour transporter toute la caravane. En 2008, en raison des alertes sérieuses provenant de Mauritanie, le Dakar avait été annulé au dernier moment.
Le Dakar résiste aussi à la mort. Deux personnes sont décédées en moyenne chaque années depuis 1978, dont des enfants, ce qui avait provoqué de gros appels au boycott qui n’ont pas été entendus. En janvier 1986, un accident d’hélicoptère avait tué le créateur de l’épreuve, Thierry Sabine, le chanteur Daniel Balavoine en mission humanitaire et trois autres personnes.
Le Dakar a également résisté aux déménagements. Après avoir sillonné l’Afrique de 1978 à 2008, le rallye-raid s’est déporté en Amérique du Sud de 2009 à 2019 et a atterri enfin en Arabie Saoudite malgré les condamnations de plusieurs ONG qui dénoncent les droits de l’homme bafoués. Le Dakar est resté le Dakar malgré les protestations de nombreux Sénégalais condamnant cette « forme de néocolonialisme ».
Enfin, le Dakar résiste très mollement à la menace environnementale. Quelques initiatives ont tout de même été prises pour trier les déchets accumulés dans le bivouac qui accueille environ 2 000 personnes. Une initiative a été lancée pour tenter de privilégier les « véhicules propres » à partir de 2030 grâce à l’hydrogène ou l’électricité. Pourquoi pas ! On verra.
Certes, l'empreinte carbone du Dakar est bien moindre que celle d'autres grands événements sportifs : en 2010, le cabinet Espère évaluait à 42 800 tonnes de CO2 l'impact du Dakar, contre les 156 000 tonnes de Roland Garros et près de 2,7 millions de tonnes pour la Coupe du monde de football en Afrique du Sud cette année-là (principalement en raison des déplacements de spectateurs)... Certes, le Dakar communique sur sa « compensation carbone »(2) mais la compensation, c’est la bonne conscience d’un statu quo alors qu’il faut diminuer considérablement notre empreinte carbone.
Au-delà de la quantité de CO2, c’est bien l’image transmise qui cause des dégâts difficilement mesurables. Le message transmis est dramatique : continuons à privilégier nos petits plaisirs personnels, le reste peut attendre. Et bien non !
Les historiens du climat souligneront sans doute en 2050 qu’en 2025, on continuait à brûler du pétrole pour faire des rallyes. Nous serons ridicules. Soyons lucides : si on n’arrive même pas à supprimer ou au moins limiter les courses de bagnoles, inutile de s’engager dans la transition et attendons les trois degrés en regardant le Dakar à la télé.
Sources / Notes
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