Cheminées de centrales à charbon

Les acteurs engagés dans un système d'échange de GES doivent acheter des quotas supplémentaires s'ils polluent plus que leur plafond. (©photo)

Définitions et origines

Les marchés dits du carbone sont des marchés de négociation et d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (pas uniquement de CO2).

Ils consistent à attribuer un prix aux droits à émettre des gaz à effet de serre (GES) afin d’inciter des acteurs - États ou entreprises - à réduire leurs propres émissions en échangeant entre eux des « droits à polluer ».

Un « quota » correspond généralement à l’autorisation d’émettre une tonne d’équivalent de dioxyde de carbone (CO2e) et constitue un étalon communément accepté pour les échanges.

De nombreux marchés de quotas ont été mis en place à ce jour, les principaux historiquement étant le marché de quotas issu du protocole de Kyoto appliqué aux émissions de GES et le marché européen d’échange de quotas de CO2. Précisons toutefois que le plus grand marché de « droits à polluer » du monde est désormais le marché national chinois de CO2 entré en vigueur en février 2021.

Les mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto

Signé en 1997 et entré en vigueur en 2005, le protocole de Kyoto (prolongé en 2012) pose les bases d’un marché international, à l’aide de trois mécanismes de flexibilité destinés à aider les 38 pays les plus industrialisés du monde (pays listés dans l’annexe B(1)) à respecter leurs objectifs de réduction (objectifs individuels des pays engagés) :

  • un mécanisme international d’échange entre les pays de l’annexe B. Des UQA (Unités de Quantités Attribuées) sont distribués aux pays concernés en fonction de leurs objectifs de réduction d’émissions de GES fixé par le protocole. Les UQA sont vendables à d’autres États ;
     
  • le MDP (Mécanisme de Développement Propre) octroie des crédits d’émission de GES, dits URCE(2), aux pays investissant dans des projets réduisant les émissions de GES dans des pays en voie de développement.
     
  • la MOC (Mise en Œuvre Conjointe) permet d’obtenir des crédits, dits URE(3), grâce à l’investissement dans des projets réalisés dans un autre pays de l’annexe B.

Des systèmes d’échange régionaux et multinationaux se sont développés, afin de respecter les engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto (ex : Union européenne, Nouvelle-Zélande) ou en dehors de ce cadre (à l’échelle infranationale aux Etats-Unis).

Des marchés volontaires engageant des entreprises à réduire leurs émissions se sont également développés (comme le Chicago Climate Exchange).

Chaque marché possède des caractéristiques propres, tant du point de vue des acteurs impliqués que des objectifs de réduction d’émissions de GES.

Le marché carbone européen

Instauré en 2005 au niveau européen, le SEQE-UE (système d’échange de quotas d’émissions), ou EU ETS en anglais pour Emissions Trading Scheme, a longtemps constitué le plus important système d’échange des crédits d’émission de gaz à effet de serre. Ce système a été mis en place pour atteindre les objectifs de l’Union européenne dans le cadre du protocole de Kyoto.

Plus de 11 000 installations du secteur énergétique et de l'industrie manufacturière (ainsi que les compagnies aériennes dans l'UE et partant de Suisse et du Royaume-Uni) sont concernées par le marché carbone européen (près d'un millier en France)(4). Ces acteurs comptent pour environ 40% des émissions de l'Union européenne qui sont donc couvertes par l'EU ETS.

En mai 2024, le prix de la tonne de carbone sur le marché européen du carbone est supérieur à 85 euros.

Fonctionnement général

La conception d’un marché carbone implique d’abord de délimiter son champ d’application en définissant les gaz à effet de serre pris en considération et les participants.

L’ambition du système d’échange mis en place est définie par le niveau de plafonnement des émissions pour chaque émetteur de GES. L’existence d’un « cap » à ne pas dépasser doit créer la rareté nécessaire pour stimuler les échanges.

Le prix des quotas est déterminé par l’offre et la demande. Contrairement aux autres marchés, il n’y a pas de flexibilité de l’offre. Les différents acteurs (entreprises ou États engagés dans un processus de réduction des émissions de GES) doivent acheter des quotas supplémentaires s’ils polluent plus que leur plafond.

Les systèmes de plafonnement et d’échange des crédits de carbone prévoient généralement une distribution gratuite de permis dans un premier temps. Ils peuvent être affectés selon les taux d’émission de GES du passé (« grandfathering »), selon des facteurs de référence (benchmarks) ou encore par enchères.

Comment réaliser les transactions de quotas ?

Deux acteurs peuvent réaliser leurs transactions de trois façons :

  • négocier directement entre eux (gré à gré) ;
     
  • par le biais d’un intermédiaire financier (plus aisé pour les petits émetteurs qui connaissent mal le marché) ;
     
  • via une bourse.

Un organisme de réglementation veille au respect du plafonnement. Des registres ou journaux de transactions permettent une surveillance globale. En cas de non-respect du plafonnement, les sanctions varient : les pays engagés par le Protocole de Kyoto ne peuvent plus vendre de permis jusqu’à ce que le Comité du respect des engagements leur restitue leur droit. Des pénalités financières sont prévues dans le cadre du SCEQE.

Des standards internationaux, comme le label Gold Standard, et dispositifs nationaux (charte de compensation volontaire par l’Ademe en France) permettent d’attester la qualité et la fiabilité des unités carbone et d’encourager les bonnes pratiques.

Fonctionnement du SEQE UE (UE ETS)

Le SCEQE (Système Communautaire d'Échange de Quotas d'Émission), est le nom français du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (EU ETS - European Union Emissions Trading System). Il s'agit d'un marché carbone de référence, visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de manière rentable et efficace.

Il regroupe les 27 États Membres et trois pays voisins depuis début 2008 : l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein(5). Précisons que les installations au Royaume-Uni ne font plus partie du SEQE UE depuis 2021, à l’exception des centrales électriques en Irlande du Nord(6).

Le système fonctionne sur le principe du « cap-and-trade ». Un plafond (cap) est fixé sur la quantité totale de certains GES que peuvent émettre les installations couvertes par le système. Ce plafond est réduit progressivement pour diminuer les émissions globales.

Les entreprises reçoivent ou achètent des quotas d'émission, chaque quota représentant le droit d'émettre une tonne de CO2 ou son équivalent en autres GES. Les entreprises peuvent échanger ces quotas sur le marché. Les entreprises qui peuvent réduire leurs émissions à un coût inférieur peuvent vendre leurs quotas excédentaires à d'autres entreprises pour lesquelles la réduction des émissions est plus coûteuse. Cela crée un incitatif économique à investir dans des technologies et des pratiques moins polluantes.

Le SCEQE couvre environ 40% des émissions de GES de l'UE, et concerne actuellement près de 11 000 installations fortement émettrices de GES dans les secteurs de l’énergie, la production et la transformation des métaux ferreux, l’industrie minérale, la fabrication de pâte à papier, et la fabrication de papier et de carton. Les vols aériens de la plupart des 31 pays participant au SCEQE sont inclus dans ce marché. Des secteurs comme les bâtiments, les transports (non aérien) ou les déchets ne sont pas concernés par le SCEQE.

Un registre des transactions

Le SCEQE est un élément clé de la politique climatique de l'UE, visant à atteindre ses objectifs de réduction des émissions et à encourager la transition vers une économie à faible émission de carbone.

Chaque État membre établit un Plan National d’Allocation des Quotas (PNAQ) et le fait approuver par la Commission européenne qui peut l’amender. Les principales industries émettrices de gaz à effet de serre reçoivent alors des quotas d’émission (EUA).

Lorsqu’une entreprise produit moins de CO2 que son plafond, elle peut vendre ses surplus. Si elle dépasse ce plafond, elle peut acheter des quotas supplémentaires sur le marché ou réduire sa production.

Les transactions sont inscrites dans des registres électroniques créés par les États membres. Au niveau européen, elles sont supervisées par un administrateur central nommé par la Commission, qui traque les irrégularités. Le système de registres européens est lié à celui utilisé pour le protocole de Kyoto.

Contrairement au système de commerce du Protocole de Kyoto, le SCEQE autorise le commerce avec des entités non touchées par le plafonnement comme les banques d’investissement.

4 périodes du marché carbone européen

Le SCEQE est structuré en périodes de conformité, également appelées phases. Chaque phase a ses propres règles et objectifs de réduction des émissions.

La quatrième phase du marché carbone européen a commencé en 2021 et se poursuivra jusqu'en 2030, après une première phase pilote (janvier 2005-décembre 2007), une phase II d’apprentissage (janvier 2008-décembre 2012) et une phase III de renforcement et s’extension (janvier 2013-décembre 2020).

Cette dernière avait pour but de conférer au marché carbone une plus grande crédibilité, avec notamment l'inclusion de nouvelles installations (captage, transport et stockage de gaz à effet de serre notamment). Les plafonds d’émission nationaux acceptés entre 2008 et 2012 ont été remplacés par un plafond unique pour toute l’Union européenne. Enfin, un système de vente aux enchères des quotas s'est substitué à l’allocation gratuite qui prévalait.

Réforme de l'EU ETS

Les eurodéputés ont adopté la réforme du SEQE en avril 2023(7) une réforme du marché carbone européen pour renforcer son ambition : les émissions de GES dans les secteurs couverts par le marché carbone doivent être réduites de 62% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005. Pour atteindre cette réduction, il y aura une réduction unique de la quantité de quotas à l'échelle de l'UE de 90 Mt d'équivalents CO2 en 2024 et de 27 Mt en 2026 (avec une réduction annuelle des quotas de 4,3% à partir de 2024-2027 et de 4,4 % à partir de 2028-2030).

Les quotas gratuits aux entreprises doivent également être supprimés progressivement entre 2026 et 2034(8).

Un nouveau « SEQE II » autonome, relatif au transport routier et aux bâtiments doit par ailleurs fixer un prix sur les émissions de gaz à effet de serre de ces secteurs en 2027 (ou 2028 si les prix de l’énergie sont exceptionnellement élevés).

Enjeux environnementaux et économiques

Les enjeux des marché du carbone sont avant tout climatiques, ceux-ci contribuant à l'objectif de limiter la hausse moyenne de la température mondiale et à réduire les émissions de GES dans cette optique.

Le protocole de Kyoto impose des obligations chiffrées (Annexe B) aux pays signataires afin de mettre en œuvre la CCNUCC. L’Union européenne et ses États membres se sont ainsi historiquement engagés à réduire leurs émissions de GES de 8% au cours de la période 2008-2012 et de 20% au cours de la période 2013-2020(9), par rapport aux niveaux de 1990.

En l’absence d’une taxation carbone au niveau européen, le SEQE constitue le seul outil économique mis en place par l’UE afin d’aider les pays européens à respecter leurs engagements nationaux.

L’intérêt est également d’ordre économique selon la Commission européenne : puisque les quotas sont échangeables, les réductions d’émissions se font là où elles sont les moins coûteuses. Le SEQE part du principe que la solution la plus rentable pour réduire les émissions de GES est d’attribuer un prix au carbone.

Les systèmes d’échange locaux et marchés volontaires non contraints par Kyoto peuvent résulter de deux types de considérations :

  • faire de la « pré-compliance » : anticiper que son activité va être intégrée plus tard dans un système de prix du carbone ;
     
  • réduire volontairement son empreinte carbone pour des raisons citoyennes ou d’image.

Le recours au marché pour défendre le bien commun que constitue l’environnement fait cependant l’objet de critiques : le commerce des droits à émettre des tonnes d’équivalent CO2 constitue un outil de gestion des émissions et non de réduction intrinsèque des émissions. Le développement de produits dérivés sur le marché et la spéculation pesant sur les cours inquiètent.

Le montant des pénalités pour non respect des quotas est également jugé trop faible par plusieurs ONG pour exercer un effet dissuasif sur les grands groupes.

Prix du carbone

Le signal-prix du carbone (prix obtenu à l’aide de diverses actions comme les subventions, la fiscalité ou d’autres formes de règlementations) doit être suffisamment élevé et robuste sur le marché pour orienter les comportements des acteurs économiques.

Malgré son statut de référence, le marché des échanges européens a connu plusieurs chocs successifs, entraînant une variation importante des cours du prix du carbone :

  • avril 2006 : chute très importante des cours suite à l’annonce de surévaluation de l’offre de quotas par rapport à la demande ;
     
  • 2009 : grande fraude à la TVA (ayant fait l'objet de plusieurs livres et productions cinématographiques comme la série « D'argent et de sang » en 2023) qui nécessite une adaptation du régime fiscal adaptable au système des quotas ;
     
  • mars 2010 : confiance des marchés mise à mal avec l’arrivée de crédits internationaux inutilisables ;
     
  • janvier 2011 : suspension du marché suite au vol de milliers de permis d’émissions dans 14 pays ;
     
  • juillet 2013 : gel des quotas de CO2 (backloading) suite à un vote du Parlement européen ;
     
  • novembre 2017 : réforme structurelle du SCEQE adoptée pour la période 2021-2030, incluant la création de la Réserve de stabilité du marché (MSR) pour réduire le surplus de quotas ;
     
  • mai 2018 : révision de la directive ETS pour intégrer l'aviation dans le système et préparer l'extension à d'autres secteurs comme le transport maritime ;
     
  • janvier 2021 : début de la phase 4 du SCEQE, avec des règles plus strictes pour la réduction des émissions et une augmentation du taux de réduction annuel des quotas (facteur de réduction linéaire) ;
     
  • février 2022 : mise en œuvre des mesures visant à aligner le SCEQE sur les objectifs du Pacte vert pour l'Europe, visant une réduction de 55 % des émissions de GES d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 ;
     
  • mars 2023 : introduction de nouvelles règles pour prévenir la spéculation excessive sur le marché des quotas, avec des mécanismes de transparence renforcés et une surveillance accrue ;
     
  • mai 2024 : augmentation significative du prix du quota de CO2, dépassant les 85 euros par tonne, reflétant l'augmentation de la demande et la réduction progressive des quotas disponibles.

Ces chocs des cours du prix du carbone ont pu nourrir dans le passé une certaine suspicion vis-à-vis du marché européen du carbone, d’autant plus qu’il interagit avec les autres marchés.

Autres systèmes de par le monde

D’autres systèmes se sont développés à l’échelle nationale ou locale sans qu’ils soient contraints par un objectif de réduction dans le cadre du protocole de Kyoto. C’est le cas de la RGGI (Regional Greenhouse Gas Initiative) qui réunit sept États du nord-est des États-Unis.

De nombreux pays se sont ainsi engagés dans la constitution de marchés nationaux ou régionaux du carbone au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Japon, au Mexique et en Chine qui dispose désormais du plus grand marché carbone au monde. Des discussions existent entre les partenaires internationaux pour éviter des modèles de régulation trop différents entre les différents marchés.

« La fragmentation entre les systèmes d'échange de quotas reste totale. Un industriel responsable d'émissions en Europe ne peut pas utiliser un quotas émis sur le marché chinois ou le marché californien pour sa conformité », précise à Connaissance des Énergies Christian de Perthuis, fondateur de la Chaire Économie du climat.

« De plus, les marchés de crédits de compensation restent très fragmentés, l'article 6.4 de l'Accord de Paris, destinés à fournir un cadre commun sous l'égide des Nations unies, n'ayant pas encore eu de traduction opérationnelle. Dans ce contexte, il y a très peu de connexions entre le marché des crédits volontaires et les marchés de quotas. Par exemple, il n'est plus possible pour un industriel européen d'utiliser de crédits issus des mécanismes de compensation pour sa conformité. »

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