Photo du golfe Persique et du détroit d'Ormuz prise en septembre 2018 par le satellite Copernicus. (©ESA)
Le détroit d’Ormuz relie le golfe Persique au golfe d’Oman. Il s’agit du plus important point de transit au monde pour le pétrole. Il se trouve ainsi naturellement au cœur des tensions entre Iran et États-Unis.
Il est parsemé d'îles désertiques ou peu habitées, mais d'une grande importance stratégique: les îles iraniennes d'Ormuz, et celles de Qeshm et de Larak, face à la rive iranienne de Bandar Abbas.
Plus de 20 millions de barils de pétrole y transitent quotidiennement
Large de près de 40 km, le détroit d’Ormuz est décrit comme la « porte de sortie » du pétrole de la région du Golfe qui compte 5 des 10 plus gros producteurs de pétrole au monde : l’Arabie saoudite , l’Iran (5e avec 4,7 Mb/j), l’Irak (6e avec 4,6 Mb/j), les Émirats arabes unis (7e avec 3,9 Mb/j) et le Koweït (9e avec 3 Mb/j).
Plus de 7 500 milliards de barils de pétrole (en incluant brut, condensats et produits pétroliers) transitent chaque année par le détroit d’Ormuz, « soit l’équivalent d’environ 21% de la consommation mondiale de liquides pétroliers » selon l'EIA. Ces volumes sont restés « relativement stables depuis 2016, année de la levée des sanctions internationales contre l’Iran », précise l’agence américaine.
En prenant en compte le transport de pétrole uniquement par voie maritime, l’EIA estime qu’« environ un tiers du total d’hydrocarbures transbordés dans le monde » transite par le détroit d’Ormuz. L’agence indique par ailleurs que plus d'un quart des échanges mondiaux de gaz naturel liquéfié (GNL) a également transité par le détroit d’Ormuz en 2018.
Selon l'EIA, 20,7 millions de barils de pétrole par jour ont transité en moyenne par le détroit d'Ormuz en 2018, dont 17,3 Mb/j de brut et de condensats. (©Connaissance des Énergies, d'après EIA)
Peu d’options pour contourner le détroit d’Ormuz
Le détroit d’Ormuz fait l’objet d’une attention particulière car il existe encore « peu d’options pour le contourner ». Pour exporter du pétrole brut hors du golfe Persique par voie terrestre, l’EIA mentionne deux oléoducs en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis (voir carte ci-dessus) dont la capacité totale de transit était limitée à 6,5 Mb/j à fin 2018 (2,7 Mb/j ont transité par ces oléoducs en 2018).
Dans une zone fortement militarisée, la situation du détroit d’Ormuz affecte de très nombreux pays. Selon les données de ClipperData, l’Arabie saoudite est de loin le pays exportant le plus de pétrole brut et de condensats par ce détroit(2).
Dans une série de tweets publiés le 24 juin, Donald Trump a pour sa part souligné la dépendance de la Chine et du Japon au pétrole transitant par le détroit d’Ormuz, en précisant que son pays n’a en revanche « même pas besoin d’être présent » dans cette zone grâce à sa production intérieure d’hydrocarbures.
China gets 91% of its Oil from the Straight, Japan 62%, & many other countries likewise. So why are we protecting the shipping lanes for other countries (many years) for zero compensation. All of these countries should be protecting their own ships on what has always been....
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) June 24, 2019
Selon l’EIA, près de 76% des volumes de pétrole brut et de condensats ayant transité par le détroit d’Ormuz en 2018 étaient destinés aux marchés asiatiques (Chine, Inde, Japon, Corée du Sud, Singapour, etc.).
Côté américain, seulement 1,4 Mb/j de pétrole brut et de condensats importé l'an dernier a transité par le détroit d’Ormuz (soit 18% des importations et 7% de la consommation américaine de liquides pétroliers l’an dernier).
Un lieu de tensions géostratégiques
Le détroit est particulièrement vulnérable en raison de sa faible largeur, 50 kilomètres environ, et de sa profondeur, qui n'excède pas 60 mètres.
L'Iran, qui se considère comme le gardien du Golfe, dénonce régulièrement la présence de forces étrangères dans la région, notamment la Ve Flotte américaine stationnée à Bahreïn. Il a menacé à plusieurs reprises de bloquer le détroit d'Ormuz en cas d'action militaire des États-Unis dans la zone. Les Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique iranienne, contrôlent les opérations navales dans le Golfe.
Une des perturbations majeures du transport pétrolier remonte à 1984, en plein conflit Iran-Irak (1980-1988), durant la "guerre des pétroliers". Plus de 500 navires avaient été détruits ou endommagés.
En juillet 1988, un Airbus A-300 de la compagnie nationale Iran Air, assurant la liaison entre Bandar-Abbas et Dubaï, avait été abattu par deux missiles d'une frégate américaine qui patrouillait dans le détroit : 290 personnes ont été tuées. L'équipage de l'USS Vincennes avait affirmé avoir pris l'Airbus pour un chasseur iranien animé d'intentions hostiles.
En 1988, l'opération "Praying Mantis" ("Mante Religieuse") lancée par l'US Navy contre des plateformes pétrolières et des bâtiments iraniens illustre ce déséquilibre des forces. En pleine guerre Iran-Irak, Téhéran avait miné des zones de passage dans le détroit d'Ormuz, que les États-Unis s'étaient, comme aujourd'hui, engagés à maintenir ouvert. Le 14 avril 1988, la frégate USS Samuel B. Roberts heurte une mine et manque de couler. Il n'y a pas eu de victimes.
En représailles, l'armée américaine a lancé une vaste offensive avec des opérations de commando, le lancement de missiles et des bombardements aériens, contre deux plateformes pétrolières qui servaient selon le Pentagone de point de départ pour les vedettes rapides iraniennes et contre des patrouilleurs et frégates iraniennes, qui ont été coulés. Dans cette bataille navale, près de 90 soldats iraniens ont été tués et quelque 300 blessés, contre deux pilotes américains tués dans la perte de leur hélicoptère.
En avril 2015, des bateaux des Gardiens de la Révolution ont arraisonné dans le détroit d'Ormuz un porte-conteneurs des îles Marshall. Le mois suivant, des patrouilleurs iraniens tiraient des coups de semonce dans une apparente tentative d'interception d'un navire commercial battant pavillon singapourien.
Ravivées par le retrait américain en mai 2018 de l'accord international sur le nucléaire iranien et le rétablissement de lourdes sanctions américaines, les tensions se sont récemment intensifiées avec des sabotages et attaques contre des pétroliers dans la région du Golfe en mai et en juin, imputées par Washington à Téhéran - qui a cependant démenti.
Le gouvernement américain, qui ne cesse d'augmenter la pression contre la République islamique, a annoncé des sanctions contre tout pays qui continuerait à acheter du pétrole iranien. Le ministre américain de la Défense Mark Esper avait annoncé le lancement de l'opération Sentinel avec la participation du Royaume-Uni, de l'Australie et de Bahreïn. Les Européens n'avaient pas suivi, malgré les demandes répétées des Américains.
"Nous pensons que l'Iran continuera à vendre son pétrole, nous continuerons à trouver des acheteurs pour notre pétrole et nous continuerons à utiliser le détroit d'Ormuz comme passage sûr pour les ventes de notre pétrole", a dit Mohammad Javad Zarif à New York, où il participait à une session de l'ONU. "Mais si les États-Unis prenaient la mesure folle de tenter de nous empêcher de faire cela, alors ils devraient se préparer aux conséquences", a-t-il ajouté.
Une dépendance à relativiser
Samuele Furfari, Professeur de géopolitique de l'énergie à l’Université libre de Bruxelles et Président de la Société européenne des Ingénieurs et Industriels, rappelle qu'en 2000, François Lamoureux, Directeur général à l’énergie de la Commission européenne, disait avec son sens de la formule : « Si le détroit d’Ormuz est bloqué, le lendemain le monde entier ira en vélo ». Même si c’était exagéré, cela avait un sens à l’époque. Aujourd’hui, c’est faux. À la suite des événements des dernières semaines, le prix du pétrole brut a un peu augmenté mais le monde n’a pas « été » en vélo.
Pour répliquer aux pressions imposées par le président des États-Unis, l’Iran aux abois a-t-il placé les bombes sur deux pétroliers qui naviguaient dans le golfe Persique ? Washington accuse, Téhéran dément. Depuis son retrait de l’accord nucléaire iranien du 14 juillet 2015, Donald Trump a exercé une pression de plus en plus forte sur l’Iran.
Téhéran est en difficulté, malgré sa menace du 8 mai 2019 d’accorder un délai de 60 jours aux autres signataires de l’accord pour maintenir leurs engagements (principalement permettre à l'Iran de pouvoir vendre son pétrole dans le monde). Cette initiative du président iranien Hassan Rohani a poussé l’UE dans les cordes, elle qui a pourtant bien tenté de contourner les sanctions de Washington en créant Instex, une entité censée servir au paiement des transactions entre les entreprises européennes et l'Iran, afin de se passer de l’incontournable dollar américain dans les transactions internationales.
Donald Trump possède une arme redoutable qui ancre sa détermination et assurera très probablement le succès de son initiative : l’abondance mondiale de pétrole et de gaz.
Instex, basé à Bercy, a été créé par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, avec un capital social de 3 000 € (même s’ils annoncent atteindre le million « prochainement »). L’Iran doit lui aussi créer un équivalent censé permettre des échanges financiers. On ne voit pas bien comment Instex pourra soulager l’Iran et c’est peut-être ce qui explique la difficulté d’obtenir des informations sérieuses et transparentes sur ce nouveau véhicule financier.
Donald Trump possède une arme redoutable qui ancre sa détermination et assurera très probablement le succès de son initiative : l’abondance mondiale de pétrole et de gaz. Comment en est-on arrivé là, et surtout comment les Américains arrivent-ils à mettre une telle pression sur le régime iranien, vu leur dépendance passée au pétrole du Moyen-Orient ?
En 1979, la Révolution iranienne (la République islamique d’Iran vient de « célébrer » ses 40 ans) jette l’Occident dans un marasme total, avec l’aide d’autres producteurs de la région : le pétrole est utilisé comme une arme de rétorsion envers ceux qui soutiennent Israël. Il fallait alors vite trouver ailleurs du pétrole, si indispensable à nos économies qui ne peuvent vivre sans transports (aujourd’hui encore, les transports dans l’Union européenne dépendent à 94% des produits pétroliers).
Au moment du second choc pétrolier, les produits pétroliers peuvent être substitués par le gaz naturel, le nucléaire ou le charbon pour la production d’électricité (l’hydroélectricité est alors déjà « en place » et ne résulte pas des chocs pétroliers) ; le gaz naturel faisant aussi l’affaire pour le chauffage. Mais il n’y a alors pas de solution pour le transport routier, aérien et maritime.
De 1974 à 1985, on a couru dans tous les sens pour trouver des solutions. En Europe, la Commission européenne finance des projets pour produire du pétrole et du gaz en mer du Nord. Aux États-Unis, le Président Jimmy Carter lance un plan pour développer les énergies renouvelables qui vise à faire reposer 20% de l’ensemble de l’énergie consommée dans le pays (pas seulement l’électricité donc) sur le solaire d’ici à l’an 2000. Observons que le solaire n’y représente aujourd’hui que 0,8% du total de cette consommation, ce qui démontre que les annonces dans le domaine de l’énergie ne sont pas nécessairement suivis de faits…
Grâce à la mise au point de nouvelles technologies de prospection et de production, on découvre du pétrole et aussi du gaz naturel dans des « nouvelles frontières », tant et si bien que les réserves prouvées de pétrole censées être épuisées en 2000 sont aujourd’hui de 50 ans. Le rapport « Golden Rules for a Golden Age of Gas » publié par l’Agence internationale de l’énergie envisage même en 2012 des réserves techniquement récupérables de gaz (en incluant les ressources non conventionnelles) pouvant dépasser 200 ans(3).
On a assisté ces dix dernières années à l’émergence du pétrole et du gaz de schiste (qu'il convient de qualifier « de roche-mère ») qui ont permis aux États-Unis de devenir le premier producteur de pétrole au monde. Avec une augmentation de leur production de 16,6% entre 2017 et 2018, et de 6,7% par an en moyenne sur les dix dernières années, les États-Unis ont produit près de 15,3 millions de barils par jour (Mb/j) d'hydrocarbures liquides en 2018, dépassant de plus de 3 Mb/j le géant historique, l’Arabie saoudite (12,3 Mb/j en 2018).
Les États-Unis sont aussi devenus un exportateur majeur de gaz naturel. Depuis le début de 2019, 35% du gaz de schiste américain - présenté par les écologistes comme une abomination environnementale - est livré dans l’UE, où il représente 13% des importations européennes de gaz. La Commission européenne salue d'ailleurs sur son site la croissance de ces importations présentées comme le fruit de la visite de son président Jean-Claude Junker faite à Donald Trump en juillet 2018(4).
L’accord du 14 juillet 2015 est présenté comme un accord nucléaire mais, étrangement, il contient 65 fois le terme « pétrole ».
Le pétrole et le gaz de schiste américains ont ainsi bouleversé la donne géopolitique mondiale. Ils permettent à Washington cette stratégie car le monde peut désormais se passer des réserves de pétrole et de gaz de l’Iran (respectivement 9% et 16% des réserves mondiales prouvées). Inversement, l’Iran ne peut pas se permettre de ne pas vendre son pétrole.
L’accord du 14 juillet 2015 est présenté comme un accord nucléaire mais, étrangement, il contient 65 fois le terme « pétrole » : en fait le régime iranien voulait, en échange du ralentissement de son programme nucléaire, revenir en force sur le marché pétrolier mondial et ainsi contrarier dans le même temps l’Arabie saoudite, son adversaire régional et religieux. Sans les revenus du pétrole, (ne parlons pas du gaz, car, malgré leur énorme gisement de South Pars, les Iraniens ne possèdent pas la technologie pour le produire), le pays est menacé d’asphyxie. Il y a longtemps que ceux qu’on appelle les « faucons » le disent à Washington.