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Les Etats-Unis ont mis la pression sur les Européens mardi en demandant à l'Allemagne de participer avec la France et la Grande-Bretagne à une mission de protection dans le détroit d'Ormuz, à la suite de la crise des pétroliers entre Londres et Téhéran.
"Nous avons officiellement demandé à l'Allemagne de se joindre à la France et à la Grande-Bretagne pour aider à protéger le détroit d'Ormuz et combattre l'agression iranienne", a déclaré une porte-parole de l'ambassade américaine à Berlin, Tamara Sternberg-Greller, alors que Berlin et Paris restent hésitants.
"Des membres du gouvernement allemand ont été clairs sur le fait que la liberté de navigation devait être protégée" dans le détroit d'Ormuz, a-t-elle ajouté. "Notre question est la suivante : protégée par qui ?"
Le 19 juillet, l'Iran avait saisi un pétrolier suédois battant pavillon britannique dans cette région stratégique où les tensions ne cessent de monter depuis le retrait américain, en mai 2018, de l'accord sur le nucléaire iranien, suivi du rétablissement par Washington de lourdes sanctions contre l'Iran. Cette saisie faisait suite à celle, le 4 juillet, d'un pétrolier iranien au large de Gibraltar par les autorités de ce territoire britannique assistées par l'armée britannique.
Depuis, Londres a appelé de ses voeux une "mission de protection maritime" européenne dans la région du Golfe mais le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, s'est montré réticent quant à une éventuelle participation de son pays à une telle mission, et la France exclut de déployer des moyens militaires supplémentaires.
"Nous ne prenons pas part à la stratégie américaine de +la pression maximale+", a assuré le chef de la diplomatie allemande samedi dans un entretien avec le groupe de presse régional Funke.
- Mission "européenne" -
"Notre engagement sur place doit avoir un visage européen", a-t-il ajouté, précisant que la participation de l'Allemagne ne serait décidée que lorsque les contours de cette mission auraient été dessinés.
De son côté, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a assuré que Paris, Londres et Berlin travaillaient à une "mission de suivi et d'observation de la sécurité maritime dans le Golfe".
La ministre française des Armées, Florence Parly a souligné qu'il ne s'agirait pas de déployer des moyens militaires supplémentaires. "Nous ne voulons pas contribuer à une force qui pourrait être perçue comme aggravant les tensions", a-t-elle insisté vendredi, alors que les Européens espèrent encore sauvegarder l'accord sur le nucléaire iranien conclu à Vienne en 2015.
Un responsable du parti conservateur de la chancelière allemande Angela Merkel (CDU) et spécialiste des questions étrangères, Norbert Röttgen, a également averti mardi que la réponse à cette crise devait être européenne et "définie indépendamment des demandes américaines".
Les tensions dans la région se sont intensifiées ces dernières semaines avec des attaques contre des pétroliers dans le Golfe, imputées par Washington à Téhéran, qui dément de son côté toute implication.
Dimanche, l'Iran a jugé "provocateur" un appel britannique à une mission navale européenne dans le Golfe, où est arrivé un deuxième navire de guerre britannique.
Le ministère britannique de la Défense a ordonné à la Royal Navy d'escorter les navires civils battant pavillon britannique dans le détroit d'Ormuz.
La ministre française de la Défense Florence Parly a affirmé fin août 2019 que l'Union européenne avait des réserves sur l'opération navale américaine d'escorte dans le détroit d'Ormuz et précisé que certains pays voulaient déployer des moyens européens dans la région pour assurer une "présence dissuasive".
"Nous ne voulons pas être dans un dispositif d'escorte des navires, mais nous voulons assurer une présence dissuasive", a expliqué à l'AFP Mme Parly peu avant une réunion informelle avec ses homologues européens à Helsinki.
Mme Parly a implicitement confirmé le soutien de la France à l'idée de déployer une mission européenne d'observation dans la région. Elle a toutefois souligné que le nombre de pays de l'UE prêts à s'engager se "compte sur les doigts d'une main".
"Nous allons essayer de passer à la deuxième main" au cours de la réunion d'Helsinki, a-t-elle ajouté. "Mais le dispositif se fera avec les moyens existants dont il faudra tirer le meilleur parti", a-t-elle insisté. La France maintient en permanence une frégate dans la région.
Selon le centre de réflexion allemand DGPA, une telle mission nécessiterait une flottille d'au moins cinq navires, dont un vaisseau de commandement et un porte-hélicoptères, et des moyens de reconnaissance.
La réunion s'est élargie dans l'après-midi avec la participation des ministres des Affaires étrangères.
Plusieurs d'entre-eux se sont montrés très circonspects sur cette mission européenne. "Il est très difficile de dire si une telle mission se fera", a déclaré le chef de la diplomatie finlandaise Pekka Haavisto, hôte de la réunion.
"Nous devons être très prudents et éviter toute escalade militaire", a pour sa part insisté le chef de la diplomatie letton Edgar Rincevics. "Il est important qu'une telle proposition soit sur la table", a toutefois assuré le chef de la diplomatie néerlandaise Stef Blok. "Tout ce qui peut contribuer à la désescalade est désormais utile", a pour sa part assuré le ministre allemand Heiko Maas.
"L'objectif est de garantir la libre navigation et la sécurité des navires dans cette région vitale pour le transport des hydrocarbures", a précisé Mme Parly. "Il serait malencontreux de donner le sentiment que nous nous inscrivons dans l'initiative américaine de sanctions maximales", a-t-elle souligné.
Le ministre américain de la Défense Mark Esper a annoncé mercredi le lancement de l'Operation Sentinel avec la participation du Royaume-Uni, de l'Australie et de Bahreïn.
"Le président Emmanuel Macron recherche la désescalade des tensions dans la région. Or nous sommes loin de l'objectif recherché", a déploré Florence Parly. Le président français a invité le chef de la diplomatie iranienne Mohammad Javad Zarif en marge de la réunion des dirigeants du G7 à Biarritz le week-end dernier. "Ce n'est pas parce que le président Donald Trump a laissé le président Macron pousser son initiative avec l'Iran que l'administration américaine a changé de position vis à vis de Téhéran", a-t-elle commenté.
"Nous avons entendu à Biarritz une plus grande volonté de dialogue des Etats-Unis. Il s'agit à présent de concrétiser cette volonté et de veiller à ce que chacun y contribue, y compris l'Iran", a estimé Heiko Maas.
L'objectif est d'éviter que les décisions prises par les autorités iraniennes de s'affranchir des certains engagements de l'accord sur le nucléaire deviennent irréversibles. "Elles ne le sont pas encore", a dit à l'AFP un responsable européen. "L'Iran a vendu de l'eau lourde à la Chine et a consommé une partie de ses surplus", a-t-il expliqué.
Une délégation iranienne se rendra la semaine prochaine à Paris et une réunion est envisagée prochainement avec les négociateurs européens.
Téhéran pousse les Européens, qui veulent préserver l'accord international dont se sont retirés les Etats-Unis, à prendre des mesures pour passer outre aux sanctions américaines et lui permettre de pouvoir exporter son pétrole, importante source de revenus pour le pays.