Le salon européen dédié aux énergies marines Thetis EMR (énergies marines renouvelables) s’est tenu les 9 et 10 avril 2014 à Cherbourg. Les questions d’acceptabilité et de coût de ces filières ont notamment été abordées par les professionnels à cette occasion. Connaissance des Énergies a interrogé Yann-Hervé De Roeck, directeur général de l’institut France Énergies Marines (FEM)(1).
1) Quelles sont les énergies marines renouvelables (EMR) les plus prometteuses, outre l’éolien offshore ?
Après l’éolien offshore, l’hydrolien sera le prochain segment de la filière des EMR à atteindre le stade commercial à court terme, c’est-à-dire dans moins de 10 ans. Des fermes de plusieurs unités seront déployées dans les toutes prochaines années afin de démontrer l’exploitation d’un parc homogène, cellule de base de l’investissement pour un énergéticien. En France, l’État a décidé d’implanter des fermes pilotes sur deux sites : le Raz Blanchard en Normandie et le passage du Fromveur en Bretagne.
L’éolien offshore dans sa version flottante doit être mentionné comme devant franchir, quasiment en parallèle de l’hydrolien, les étapes conduisant à la maturité industrielle. Les prototypes testés à ce jour se comptent sur les doigts d’une main mais les sauts technologiques envisagés devraient être rapides à franchir, en associant les savoir-faire de l’éolien offshore posé et de l’offshore pétrolier. L’objectif de ce secteur consiste à pouvoir, dans dix ans, compléter l’offre de l’éolien posé, en termes de coûts d’installation et de maintenance, mais aussi de potentiel de déploiement en permettant l’implantation à plus de 55 m de fond, limite actuelle de la technologie éolienne posée.
Le houlomoteur dispose quant à lui d’un historique plus long mais aussi plus lent. Quelques dizaines de prototypes ont été testés mais on ne constate pas de convergence vers une technologie particulière. En Europe, les pays de la façade atlantique forment pourtant de bons espoirs d’exploiter cette énergie très abondante, tout particulièrement l’Irlande qui dispose d’un très large plateau continental fortement exposé. L’exploitation de l’énergie thermique des mers est permise en zone inter-tropicale où le coût actuellement envisagé rend cette solution compétitive pour alimenter de manière continue des communautés insulaires.
2) Où les projets d’énergies marines sont-ils les plus avancés ?
En premier lieu au Royaume-Uni, et tout particulièrement en Écosse. On y trouve non seulement un potentiel naturel indéniable pour l’hydrolien, l’éolien offshore et le houlomoteur, mais aussi une très forte volonté publique d’exploiter ces ressources pour assurer une indépendance énergétique basée sur les renouvelables tout en acquérant une avance technologique au niveau mondial. D’autre pays d’Europe comme l’Irlande, ou bien l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas souhaiteraient adopter une démarche analogue.
La France brigue la deuxième place en Europe grâce à ses ressources en vent et en courants, son potentiel en outre-mer, mais aussi grâce à l’élan industriel que suscite la filière comme en témoignent l’intérêt porté par de grands groupes (Alstom, Areva, DCNS, STX, Technip) et l’investissement consenti par les énergéticiens (EDF, GDF-Suez).
Les formes de soutien public à la filière diffèrent entre États européens. Les tarifs préférentiels de rachat, très favorables en Écosse, semblent se tarir au profit d’appels d’offres et d’aides à la R&D qui entrent davantage dans la ligne politique européenne. Néanmoins, en Asie, en Amérique, on constate des taux de soutien parfois plus élevés, ce qui pour l’instant n’empêche pas l’Europe de conserver, secteur par secteur, le premier rang mondial au niveau du déploiement des EMR et des investissements qui y sont consentis.
Vue de l’hydrolienne pilote d’EDF sur sa barge à quai au port de Brest (©EDF-Valery Wallace)
3) Quels sont les défis techniques auxquels sont aujourd’hui confrontées ces filières ?
La fiabilité reste la préoccupation première de ces systèmes destinés à fonctionner 20 ans dans le milieu marin. Il s’agit d’un milieu hostile dans la durée pour les questions de fatigue, de corrosion ou de bio-fouling, mais aussi d’un milieu éprouvant confrontant les unités de production à des événements extrêmes, tout particulièrement pour les structures flottantes ou émergées.
La filière devra parvenir à un taux de défaut exemplaire, compatible avec ces durées de fonctionnement, mais la compétition entre les différentes formes de production de l’énergie impose une stricte maîtrise des coûts : des solutions économes sont par conséquent recherchées dans tous les domaines, dont les opérations d’installation et de maintenance. Sans la fiabilité, l’équation sera impossible à résoudre, de par le niveau des assurances ou des conditions financières…
Dans un secteur qui souffre de peu d’externalités économiques (pas de consommation de matières premières), les considérations suivantes priment : coût des fondations et ancrages, rapidité des procédures d’installations et de maintenance, industrialisation des procédés de fabrication et de montage, etc. Il faudra en effet également tabler sur les effets d’échelle pour réduire les coûts. Le rapatriement de l’énergie vers le continent pose en outre les défis de l’électrotechnique sous-marine à haute puissance, là encore en maîtrisant très fortement les postes de dépense.
4) Quel coût de production peut-on attendre de ces énergies marines ?
Même s’il existe des marchés de niche pour les milieux insulaires (80 pays confrontés à des conditions similaires à celles de l’outre-mer français) ou continentaux non raccordés (Nord Canadien, Amazonie, etc.), l’objectif à atteindre est celui de la parité réseau, dans un marché globalisé.
Les engagements pris par les pays soucieux d’un développement durable conduisent inéluctablement à renchérir ce niveau de parité par rapport à l’état actuel, par ailleurs variable au sein même de l’Europe. Il est visé un coût de production (qui comprend l’amortissement des installations et leur fonctionnement) de 130 €/MWh à horizon 2025 ou 2030 pour chacun des secteurs de la filière.
La diversité des degrés de maturité induira des dates échelonnées. L’essentiel pour l’instant consiste à n’abandonner aucune des facettes du mix énergétique offert par les EMR en profitant de la diversité naturelle des ressources. Les inconvénients liés à l’intermittence sont lissés (vent, houle, courant se complètent) et des minima de production sont assurés. Le déphasage du courant de marée dans la Manche permettrait par exemple d’assurer une production de sécurité, de même que Montréal vient de se doter d’hydroliennes dans le Saint-Laurent pour garantir un approvisionnement de secours pour la mégapole.
5) Les conséquences environnementales de ces énergies sont-elles clairement identifiées aujourd’hui ?
Les conséquences environnementales doivent bien entendu être évaluées. Elles sont objectivement limitées en comparaison des impacts d’autres modes de production d’énergie. Avant d’étudier d’éventuels effets sur le vivant (du plancton au mammifère en passant par les crustacés, les poissons et les oiseaux marins), il faut débuter par l’estimation des effets physiques liés à la captation d’énergie : variations dans le transport sédimentaire, phénomènes locaux ou distants relatifs à l’érosion ou à l’accrétion, etc.
Les conséquences environnementales sont à observer au fond de l’océan, lieu d’implantation des fondations ou des ancrages, mais aussi dans la colonne d’eau, à la surface de la mer, voire dans les airs pour l’éolien offshore. Les dommages peuvent se produire durant les phases d’installation ou d’exploitation et se traduire par des effets très différents : altération temporaire du milieu (turbidité par exemple) ou modification durable mais locale (bloc en milieu sédimentaire), rayonnements acoustiques ou électromagnétiques, risques de collision, etc. Il existe ainsi des grilles d’analyse des pressions que peuvent faire peser les systèmes EMR sur le milieu et des procédures se mettent en place afin d’analyser un état initial et des modalités de suivi. Par ailleurs, le démantèlement des installations est systématiquement prévu.
L’acceptabilité sociale des EMR semble également meilleure que pour d’autres formes de production d’énergie, y compris les autres énergies renouvelables. La mer est un espace qui n’appartient à personne autant qu’à tous et la compatibilité des usages du domaine maritime doit être assurée. Ces questions, lorsqu’elles sont abordées très en amont de l’implantation des projets, peuvent être débattues et conduire à un agrément profitable aux communautés. Par exemple, les pêcheurs, attentifs à la viabilité de leur secteur d’activité, réaffirment régulièrement qu’ils ne sont pas hostiles au développement des EMR tant qu’une cohabitation est organisée sans exclusion. On constate que les systèmes immergés bénéficient généralement d’un meilleur accueil que s’ils sont flottants ou émergés, mais même les questions paysagères, cordes sensibles du tourisme, sont susceptibles d’évoluer rapidement face à la nécessité d’un développement durable.