Alexandre Andlauer est analyste chez AlphaValue. (©Apache Corporation)
Ce 20 janvier 2017 a lieu à Washington la cérémonie d’investiture de Donald Trump comme 45e Président des États-Unis. Le milliardaire américain se présente comme un fervent défenseur des énergies fossiles et son élection a été accueillie très favorablement par l’industrie pétrolière. Mais que peut concrètement attendre cette dernière de Donald Trump ? Nous avons interrogé sur ce sujet Alexandre Andlauer, analyste chez AlphaValue spécialiste du marché nord-américain.
1) Dans quelle situation se trouve aujourd’hui l’industrie pétrolière américaine et quelles sont ses attentes vis-à-vis de Donald Trump ?
L’industrie américaine a beaucoup souffert de la baisse des prix et a supprimé des milliers d’emplois depuis deux ans. La production de pétrole brut des États-Unis atteint actuellement près de 8,95 millions de barils par jour (Mb/j) contre 9,6 Mb/j début juin 2015 d’après les données de l’EIA(1). En 2016, le nombre de plateformes de forage en activité dans le pays a atteint son plus bas niveau depuis 10 ans, avec un « point bas » d’environ 400 plateformes contre plus de 1 900 à l’automne 2014.
Avec la hausse des cours, plus de 650 plateformes sont toutefois à nouveau en activité à mi-janvier 2017(2) et leur nombre augmente plus rapidement que lorsque le cours du baril atteignait 100 $. Il n’y a plus aucun doute sur une forte reprise même si le marché semble encore sous-estimer la croissance des huiles de schiste, comme lors de la période 2012/2014.
L’arrivée de Donald Trump à la maison Blanche est perçue aujourd’hui comme une très bonne nouvelle par l’industrie pétrolière. Les acteurs pétroliers craignaient surtout d’être touchés par un flot de nouvelles réglementations sous Hillary Clinton, dont l’élection aurait été synonyme d’une moindre rentabilité pour la filière.
Les propositions du 45e Président américain durant sa campagne électorale étaient au contraire proches d’une liste de souhaits des pétroliers : lever de certaines restrictions environnementales sur l'extraction de pétrole et de gaz naturel, autorisations des constructions de pipelines (Keystone XL et Dakota Access), ouverture de davantage de terres fédérales au forage, remise en question de certains points de l’accord sur le climat, etc.
2) Quelles sont les premières mesures annoncées par Donald Trump depuis son élection ?
Donald Trump a pour le moment peu précisé ses mesures concernant l’industrie pétrolière et gazière, comme c’est d’ailleurs le cas pour l’ensemble de son programme. Mais il y a peu de doute sur son fort soutien à cette industrie, comme le témoignent ses différentes nominations de grands promoteurs des combustibles fossiles qui affichent un déni marqué face aux changements climatiques.
La plus importante de ces nominations est bien sûr celle de l’ancien patron d’ExxonMobil, Rex Tillerson, en tant que secrétaire d’État. Ce russophile sera responsable de la politique étrangère, ce qui inclut la négociation des accords internationaux sur le changement climatique.
La nomination d’un climatosceptique, Scott Pruitt, à la tête de l’EPA (Environnent Protection Agency)(3) est tout aussi radicale. Ministre de la Justice en Oklahoma (État dans lequel 50 % de revenus viennent du pétrole), il a tenté à de nombreuses reprises d’infléchir la réglementation liée à l’extraction d’énergies fossiles. Enfin, Ryan Zinke, fervent partisan de l’exploitation du charbon et ancien militaire, occupera le poste de secrétaire d’État à l’intérieur et assurera la supervision de plus de 15% des terres fédérales du pays.
3) Que peut concrètement changer Donald Trump pour l’industrie pétrolière américaine ?
Dans la mesure où son prédécesseur a mis en application de nombreuses règles environnementales par décrets présidentiels, il ne sera pas très compliqué pour le nouveau Président de les annuler sans devoir passer par le Congrès. Rappelons d’ailleurs que les divergences d’opinions entre Donald Trump et les Républicains sont bien moins nombreuses en matière d’énergie que dans d’autres domaines…
Parmi les changements pouvant être mis très rapidement en œuvre figure la construction de nouveaux pipelines. Les sociétés comme TransCanada sont invitées à déposer à nouveau leurs demandes sans que celles-ci soient soumises à l’approbation du Congrès. L’autorisation de Keystone XL pourrait toutefois prendre un peu plus de temps car il faut relancer l’ensemble de la procédure.
L’intervention de Donald Trump pourrait notamment avoir une influence majeure dans le Dakota du Nord où le pétrole est actuellement transporté à un coût élevé par camion ou par train. En raison du manque d’infrastructures, le « North Dakota Light Sweet » se vend actuellement à 42 $, soit environ 10 $ moins cher que le West Texas Intermediate (WTI), brut de référence en Amérique du Nord. Avec les pipelines, le prix du brut pourrait remonter de 7 $ dans cet État et la production du Dakota du Nord pourrait augmenter de 200 000 à 300 000 barils par jour dès le deuxième semestre 2018. Avec un prix du baril avoisinant 50 $, l’exploitation de pétrole devient très rentable dans cette zone.
L’effet combiné d’une diminution de la réglementation, du regain de confiance de l’industrie pétrolière, de meilleures infrastructures et de la baisse des impôts améliorera ainsi sans aucun doute les perspectives des sociétés américaines sous le mandat de Donald Trump. Ce dernier avait également évoqué durant sa campagne une taxe sur le pétrole importé pour favoriser le WTI mais il ne semble plus en être question, suite aux protestations des raffineurs. Il y a par ailleurs une volonté de délivrer plus vite des permis pétroliers concernant des réserves fédérales. Jusqu’ici, les services délivrant ces permis mettaient beaucoup de temps à traiter les demandes en raison de sous-effectifs, un frein qui devrait être résorbé par de nouveaux emplois.
Il reste cependant quelques zones d’ombres pour les fossiliers. La nouvelle administration américaine pourra par exemple difficilement soutenir le gaz et le charbon, une meilleure production gazière pouvant accélérer le déclin du charbon. De même, la volonté de limiter l’immigration pourrait être néfaste pour l’industrie pétrolière en plein redémarrage qui nécessite beaucoup de main d’œuvre (300 personnes par puits au moment de sa mise en production) alors que le taux de chômage dans le pays est très faible.
4) Au niveau international, quel peut être l’impact du mandat de Donald Trump sur les marchés pétroliers ?
De toute évidence, les acteurs pétroliers américains continueront à répondre à une logique économique qui sera elle-même influencée par la géopolitique. Les variations du prix du pétrole et les avancées technologiques auront bien plus d’impact que les mesures intérieures de la nouvelle administration Trump affectant le secteur pétrolier.
C’est sur la scène géopolitique et au sujet de tous les effets en cascades que l’incertitude est la plus grande. Les tensions avérées avec la Chine (importations d’équipements pétroliers chinois), le changement de ton vis-à-vis de l’Iran (reprise des sanctions ?) et le probable rapprochement avec la Russie pourraient avoir des impacts significatifs à terme sur les marchés pétroliers.
En Russie, pays détenant les plus importantes ressources d’huiles de schiste au monde, les sanctions pourraient être levées sur l’accès aux nouvelles technologies de forage. La mise en place d’une industrie russe du schiste, qui prendrait plusieurs années et se prolongerait donc au-delà du mandat de Donald Trump, aurait un impact baissier sur les cours du pétrole.
5) Donald Trump va-t-il supprimer toutes les politiques environnementales et revenir sur les engagements climatiques d’Obama au profit de l’industrie pétrolière ?
Je ne pense pas qu’il puisse vraiment faire marche arrière mais il ne va pas alourdir les règles. Le respect de l’Accord de Paris est une des grandes interrogations de la nouvelle administration américaine. Décrié tout au long de sa campagne, sans doute pour des motivations purement politiques, l’accord de la COP21 pourrait être revu afin de laisser plus de flexibilité aux acteurs américains.
Donald Trump pourrait notamment vouloir donner davantage de marges aux constructeurs automobiles américains en matière de normes d’émissions. En somme, cette élection ne va sans doute pas remettre fondamentalement en question les acquis de la COP21 mais pourrait en revanche ralentir le processus côté américain. L’enjeu n’est pas nul pour les autres pays, puisque les États-Unis sont le deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre (14% à 15 % des émissions mondiales).