L'activité aérienne a connu un arrêt particulièrement brutal dans le contexte de l'épidémie de Covid-19. (©Pixabay)
La société française Khimod a annoncé le 4 mai avoir produit du kérosène de synthèse à partir de CO2 et d’hydrogène avec une efficacité « proche du maximum théorique ». Une solution prometteuse alors que les moyens de réduire l’empreinte carbone du secteur aérien sont aujourd’hui particulièrement débattus, notamment dans le contexte du soutien public apporté à Air France(1).
Du CO2 capté dans l’air pour produire du kérosène de synthèse ?
La production de kérosène de synthèse par Khimod repose sur un procédé dit « Fischer-Tropsch » (du nom de deux chercheurs allemands ayant déposé un brevet dédié en 1923). Celui-ci consiste à convertir, à l’aide de catalyseurs, du monoxyde de carbone (CO) avec de l’hydrogène (H2) en différents hydrocarbures(2).
Lors d’une campagne de tests menée à partir du printemps 2019 avec le CEA Liten à Grenoble, Khimod s’est concentrée sur la production d’un « premier brut d’hydrocarbures à forte teneur en composés carbonés C10-C12 caractéristique du kérosène ». La société indique avoir atteint à cette occasion un taux de conversion du CO en kérosène de l’ordre de 45% (le maximum théorique étant estimé à près de 50% pour un seul passage dans un réacteur).
L’une des difficultés de cette conversion catalytique réside dans le contrôle de la température de la réaction (afin de consommer le catalyseur de façon optimale). C’est l’un des critères majeurs sur lesquels le procédé de Khimod se distingue aujourd’hui d’autres projets de production de kérosène de synthèse : « le design du réacteur-échangeur, avec ses canaux réactifs milli-structurés très compact et sa capacité de refroidissement hors norme par rapport aux réacteurs classiques permet un parfait contrôle de la température dans le lit catalytique avec une montée en température observée de 3°C maximum ».
Une autre originalité du projet de Khimod est de valoriser du CO2 pour générer le CO nécessaire à la réaction. Ce gaz à effet de serre a vocation à être capté au niveau de sites industriels ou d’installations de méthanisation, ou même directement dans l’air ambiant (Khimod a déjà produit en 2018 du méthane de synthèse à partir de CO2 « aspiré » dans l’air, dans le cadre du projet Store&Go avec la société suisse Climeworks(3)). L’hydrogène utilisé par Khimod sera quant à lui être produit par électrolyse de l’eau(4) en ayant recours à de l’électricité décarbonée.
Une industrialisation d’ici à 5 ans ?
Les recherches de Khimod s’inscrivent dans le cadre du projet Heat-to-Fuel soutenu par la Commission européenne(5). La société poursuit ses tests avec le CEA Liten sur son réacteur-échangeur « en vue d’optimiser les échanges thermiques et les conditions opératoires ». D’ici à fin 2020, un réacteur de plus grande échelle doit être fourni à un site de gazéification en Autriche pour une campagne d’essais d’au moins 12 mois.
Khimod estime pouvoir potentiellement produire à grande échelle son kérosène de synthèse d’ici à 5 ans. Cet horizon de temps part du principe d’un engagement - volontaire ou contraint - du secteur aérien pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. La compétitivité de ce kérosène de synthèse dépendra en particulier d’une taxation carbone à la hauteur des enjeux climatiques. À titre indicatif, Khimod produit par ailleurs avec son réacteur-échangeur du méthane de synthèse, compétitif avec le méthane d’origine fossile « avec une taxe carbone de l’ordre de 120 à 150 €/t CO2 et un prix de l’électricité basé sur les coûts de production de l’ARENH ».
Dans un premier temps, le kérosène de synthèse pourrait être incorporé dans les carburants actuellement utilisés dans des proportions de 10 à 50% (il pourrait théoriquement être utilisé comme carburant « pur » mais cela nécessiterait des adaptations des moteurs d’avions).
Pour rappel, l’aviation civile aurait émis près de 915 millions de tonnes de CO2 en 2019 selon l’Air Transport Action Group (ATAG)(6) qui représente le secteur. Cela constitue près de 12% des émissions annuelles de CO2 liées aux transports dans le monde (et plus de 2% de l’ensemble des émissions mondiales de CO2). Outre la réduction du trafic aérien (improbable au vu des projections actuelles(7)), le recours aux biocarburants a longtemps été la piste privilégiée pour réduire les émissions du secteur mais celle-ci se heurte aujourd’hui à d’importants conflits d’usage avec l’alimentation.