Aile d'avion dans le ciel

L'aviation est entre autres à l'origine de près de 2% des émissions mondiales de CO2. (©Pixabay)

Définition, composition et types

Les biokérosènes sont des carburants liquides issus de la transformation de la biomasse(1), directement incorporables (drop-in) au kérosène fossile (Jet A/Jet A-1) utilisé par les avions (sans adaptation de leur usage, de leur maintenance et de la logistique d’approvisionnement associée).

Le kérosène fossile reste la référence est composé principalement d’alkanes et de cycloalkanes de C10 à C16, aboutissant à un PCI (pouvoir calorifique inférieur) de 43,15 MJ/kg.

Les carburants issus de la biomasse déjà développés pour le transport routier intègrent des alcools non chimiquement transformés (éthanol, méthanol, butanol) ou des esters (esters méthyliques issus de lipides). Ces voies n’ont pas de sens pour l’aviation pour des raisons opérationnelles et de sécurité : volatilité, contenu énergétique en volume notablement plus faible, stabilité thermique, compatibilité avec les matériaux utilisés dans les circuits carburant, etc.

Procédés chimiques de production du biokérosène

Les procédés thermochimiques procèdent soit par liquéfaction de la biomasse avec ou sans ajout d’hydrogène, avec ou sans catalyseur, et éventuellement en présence d’eau ou de solvants (voie directe), soit par gazéification avec production de gaz de synthèse CO + H2 via gazéification (voie indirecte). Ces procédés généralement également du bionaphta et du biodiesel à côté du biokérosène, la coproduction de ce bionaphta et de ce biodiesel étant inéluctable dans une logique d’écologie industrielle.

Les procédés biotechnologiques procèdent par fermentation suivie d’étapes de déshydratation / oligomérisation / hydrotraitement pour aboutir à des molécules drop-in. Deux voies directes existent conduisant à une polyoléfine en C15 (Amyris-Total) ou une iso-paraffine en C12 par trimérisation-hydrogénisation du bio-isobutène (Global Bioenergy).

Les différents procédés ont atteint des niveaux de développement technologique très variables, certaines voies étant proches de l’industrialisation, la plupart encore au stade de pilotes de petite et moyenne taille. Les procédés thermochimiques bénéficient d’un savoir-faire acquis sur les ressources fossiles.

En mars 2018, cinq procédés sont complétement certifiés selon la norme ASTM D4054(2). Les biokérosènes aujourd’hui certifiés sont décrits par leurs structures chimiques et propriétés (viscosité, température de distillation) et ne sont autorisés qu’en mélange avec du Jet A/Jet A1, à hauteur de 10% à 50% maximum en volume, selon le type considéré.

Trois procédés sont fondés sur la thermochimie, avec des limites d’incorporation allant jusqu’à 50% :

  • le Procédé FT-SPK / Fischer Tropsch - Synthesized Paraffinic Kerosene (2009) fondé sur un mélange de n-paraffines et d’iso-paraffines par gazéification (puis synthèse Fischer Tropsch). Il a donné lieu à une extension avec le procédé Synthesized Paraffinic Kerosene with Aromatics (2015), par addition d’une coupe mono-aromatique issue de l’alkylation d’une coupe de synthèse riche en benzène avec des oléfines légères issues de la liquéfaction de charbon. Sa composition chimique est très proche de celles d’un carburéacteur fossile ;
  • le procédé HEFA-SPK / Hydroprocessed Esters of Fatty Acids - Synthesized Paraffinic Kerosene (2011) qui se différencie par un hydrotraitement isomérisant d’huiles végétales (HVO), d’huiles usées et graisses animales. 

Les procédés biotechnologiques, plus récents en certification, comportent tous une phase finale de chimie. En fait, la sélectivité des technologies de fermentation conduit à des produits souvent unimoléculaires, plus compliqués pour se substituer à des fractions de distillation, d’où des limites d’incorporation plus basses :

  • le procédé SIP / Synthetic Iso-Paraffin (2014), fondé sur la production d’une iso-paraffine, le farnesane (2,6,10-trimethyldodecane, formule chimique C15H32), hydrogénée ensuite en farnesane, avec une seuil d’incorporation de 10% ;
  • le procédé ATJ-SPK / Alcohol to Jet - Synthesized Paraffinic Kerosene (2016), dont la particularité est de partir d’isobutanol produit par fermentation, puis déshydratation de l’alcool en oléfine correspondante, oligomérisation de cette oléfine, suivi d’un hydrotraitement pour aboutir à un mélange d’iso-paraffines en C12 et C16 essentiellement. Ce mélange est aujourd’hui certifié pour une incorporation allant jusqu’à 30% en volume.

Dans cet ensemble de cinq procédés certifiés, seul le biokérosène HEFA-SPK produit par Altair en Californie est commercialisé et distribué (en mars 2018) en mélange à 30% avec du JetA/A1 à l’aéroport de Los Angeles depuis mars 2016. De nombreux projets industriels sont en construction, principalement autour de la technologie HVO, en Europe et aux États-Unis. En France, le programme« Lab’line for the future » d’Air France illustre cette ambition pour prouver l’efficacité de biocarburants lors de vols commerciaux.

Onze autres procédés sont en cours de certification, avec le recours à des lipides et à la lignocellulose. Ils résultent aussi d’hybridations entre des procédés de raffinage de pétrole et des bioraffineries.

À plus long terme, des briques technologiques avec les microalgues et des cyanobactéries offrent des perspectives intéressantes. Elles se trouvent toutefois encore à des degrés de maturité technologiques trop bas pour être considérées dans des procédés. La biologie de synthèse apporte des ruptures technologiques (Global Bioenergies : isobutène ; Amyris : voie des isoprénoides) jusqu’à la production in vivo d’alcanes. Toutes les biotechnologies souffrent des étapes de séparation et de purification après fermentation (down stream processing) qui obèrent les bilans énergétiques des procédés.

Ressources et industrialisation pour la filière aéronautique

Les ressources disponibles

Tous les procédés de production de biokérosènes se différencient entre autres par la nature de la charge d’entrée : lipides (huiles et graisses), saccharose et amidons, lignocellulose, avec en corollaire la problématique de l’approvisionnement des usines.

La canne à sucre et la betterave sucrière sont d’excellentes sources de saccharose, avec des performances agronomiques et environnementales excellentes. L’huile de palme, malgré des caractéristiques équivalentes,  souffre des effets de la déforestation en Malaisie et en Indonésie, au profit de l’extension des palmeraies, suscitant de multiples controverses(6).

La lignocellulose ne présente aucun conflit d’usage avec l’alimentation avec un faible risque de changement d’usage des sols. La variabilité compositionnelle et structurale de la biomasse nécessite des essais technologiques pour s’assurer de l’adéquation des procédés à chaque type de biomasse : contenus en matières minérales, structure des polysaccharides constitutifs. Son principal facteur limitant aujourd’hui est sa mobilisation à raisonner aux échelles territoriales. La place de la forêt dans les visions bioéconomiques est très différente selon les pays.

L’établissement d’une grille d’analyse des ressources permettrait d’aborder chaque situation géographiquement, avec trois variables majeures : surfaces disponibles et usages actuels et à venir, stock de carbone des sols et ressources en eaux. Il serait alors possible de sortir des controverses sur la gestion éco-responsable des forêts et la labellisation environnementale(7) au profit de réflexions sur les itinéraires techniques et l’insertion dans les systèmes de cultures au niveau d’un bassin et non d’une parcelle, échelle insuffisante.

Les conditions de l’industrialisation

L’obtention de biokérosène est réalisable technologiquement. L’industrialisation comprend plusieurs défis, le premier étant la réduction du coût de production (procédé et matière première) avec un rapprochement de celui du carburant fossile. La recherche étant de plus en plus coûteuse lorsqu’on monte en TRL (niveau de maturité technologique), la mutualisation d’unités de démonstration (Pomacle) permettrait de disposer de données solides sur les rendements, les coûts CAPEX et OPEX. Un accompagnement par les politiques publiques est systématiquement requis sous réserve que l’atout environnemental soit significatif.

Les installations industrielles envisagées sont de grandes dimensions, ce qui pose la question du bassin d’approvisionnement. Les infrastructures de collecte et de transport, y compris fluvial, sont alors des facteurs de compétitivité. La bioraffinerie territoriale présente l’avantage de créer une solidarité des acteurs de production et transformation avec des garanties d’approvisionnement. À l’inverse, la bioraffinerie portuaire (exemple de Rotterdam) facilite l’accès aux meilleures opportunités de marché, avec un risque certain sur la certification environnementale.

Perspectives présentes et futures pour l'aviation et la planète

Origine du kérosène

En 1846, Abraham Gesner obtient un pétrole blanc (appelé ainsi à cause de sa transparence) dénommé « kerosen » par distillation. Celui-ci remplace progressivement l’huile extraite de la tête des cachalots (spermaceti). Un dessin paru le 20 avril 1861 dans Vanity Fair représente un grand bal donné par les baleines en l’honneur de la découverte des puits de pétrole de Pennsylvanie. Les caractéristiques de haut point d’inflammation, de lubrifiant, de fluide caloporteur et de réfrigérant du kérosène sont des atouts pour les moteurs d’avion, ce qui l’impose comparativement aux autres carburants. 

Usages actuels

Entre 2011 et fin 2017, plus de 45 000 vols commerciaux(9) d'une vingtaine de compagnies aériennes ont utilisé de manière expérimentale du biokérosène.

En 2015, la consommation européenne (UE28) de kérosène s’est élevée à 41,6 Mtep, soit 8,6% des produits pétroliers. A titre de comparaison, la consommation de biofuels (éthanol et biodiesel) dans l’UE28 a atteint 14,2 Mtep en 2015.

Aujourd’hui, aucun triplet système de culture – matière première - procédé ne se distingue, expliquant la multiplicité des procédés de production de biokérosènes, chacun visant à être générique pour une famille de matière première : lipides, saccharose-amidon, lignocellulose. La (ou les) solution(s) choisie(s) sera(ont) donc inévitablement spécifiques(s) à chaque site.

Les acteurs industriels sont d’abord les principaux avionneurs (Airbus, Boeing et Embraer), les compagnies aériennes regroupées dans différents collectifs, et enfin les producteurs de biokéroséne (Honeywell UOP, Neste Oil pour l’HEFA, Total-Amyris pour la voie SIP, Gevo, Lanzatech, Sasol et Shell pour la voie SKP).

Coûts

Les performances de tout kérosène sont rigoureusement contrôlées pour garantir un « alignement » sur le kérosène fossile, avec le respect des propriétés et besoins en performances exigés par les fabricants de moteurs et d’aéronefs.

Ces carburants doivent être approuvés par les autorités de sureté aérienne (Federal Aviation Administration aux États-Unis, EASA(8) en Europe). Ce processus d’approbation de tout nouveau carburant aéronautique est fiable mais lourd, coûteux (jusqu’à 10 millions de dollars) et long (3 à 6 ans).

La réduction de l’impact carbone de l’aviation

En 2016, l’ATAG (Air Transport Action Group) représentant l’ensemble des industriels du secteur a abouti à un accord global comprenant 3 grands objectifs :

  • un objectif d’amélioration de l’efficacité énergétique de 1,5% par an jusqu’en 2020 ;
  • un objectif « Carbon Neutral Growth 2020 » de plafonnement des émissions nettes de CO2 du transport aérien à partir de 2020 ;
  • une réduction globale des émissions de CO2 de 50% en 2050 par rapport à leur niveau de 2005.

En l’absence de changement majeur attendu dans les technologies des moteurs, et compte tenu de la durée de vie des avions (environ 25 ans), les biokérosènes représentent une solution pour atteindre ces objectifs ambitieux. L’absence de données solides sur le « contenu GES » (gaz à effet de serre) des biokérosènes ne permet toutefois pas aujourd’hui d’estimer la contribution potentielle de ces derniers pour atteindre les objectifs chiffrés de réduction des émissions à l’horizon 2050 (par rapport à un scenario business as usual).

Les pouvoirs publics privilégient des objectifs d’incorporation dans les carburants « traditionnels ». En 2011, la Commission européenne a lancé le projet European Advanced Biofuel FlightPath qui visait à atteindre une incorporation de 2 Mt de biojet à horizon 2020, soit 4% de la consommation européenne. Dans son Livre Blanc pour le Transport de 2011(3), la Commission européenne envisage un objectif d’incorporation de 40% de carburants à faibles émissions dans l’aviation à l’horizon 2050.

La directive européenne sur l’énergie (2009) fixe un objectif d’au moins 10% d’énergies renouvelables dans les transports en 2020. En 2016, la Commission européenne a publié une proposition de nouvelle directive Énergies Renouvelables (RED II)(4), contenant la notion de « carburants avancés » : ceux-ci doivent présenter une réduction des émissions de GES d’au moins 60% par rapport à l’équivalent fossile (93,3 gCO2eq/MJ pour l’essence pétrosourcée; 95,1 gCO2eq/MJ pour le diesel).

Les carburants « avancés » bénéficient d’un facteur 1,2 lors de leur comptabilisation dans les mandats d’incorporation, pour favoriser leur développement. Ce mécanisme a toutefois fait preuve à ce jour d’une faible efficacité dans le transport routier.

Aux États-Unis, les spécifications des biocarburants dans la réglementation (2007)(5) reposent sur des seuils différents : au moins 20% de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour la première génération (1G ; huiles, sucre, amidon), 50% pour les carburants avancés et 60% pour les carburants lignocellulosiques (2G). Le programme Farm to Fly 2.0 de la Federal Aviation Administration (FAA) et de l’USDA a pour objectif la consommation de 3,7 Gl de jet alternatif en 2018, ce qui correspond à un taux d’incorporation de 5% de biocarburants dans la consommation des compagnies aériennes américaines.

Aujourd’hui, la réglementations RED II en Europe et Renewable Fuel Standard (RFS) aux États-Unis visent essentiellement le transport routier. Cependant, les biokérosènes sont comptabilisables dans les objectifs de biocarburants diesel et essence, sans doute pour augmenter la visibilité de l’augmentation des biocarburants.

Les biokérosènes ne seront légitimes pour incorporation dans les kérosènes que s’ils procurent une réduction des émissions de GES. Peu de données sont publiées sur cette caractéristique, surtout à l’échelle du démonstrateur. Cette évaluation doit intégrer les changements d’usage des sols. On peut déjà s’inspirer des résultats obtenus sur les biocarburants pour les moteurs thermiques des véhicules terrestres.

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