Journaliste spécialisé dans les questions liées au développement durable
Co-fondateur de l'association Climat Energie Humanité Médias et des Entretiens de Combloux.
L’annonce par Air France d’une offensive commerciale pour concurrencer la SNCF dans l’hexagone montre que, décidément, la route sera encore très longue avant de voir intégrées les thématiques du climat et de l’énergie dans les objectifs de croissance et de gouvernance. À quelques mois de la Conférence Climat de Paris, médias et décideurs n’ont toujours rien compris. C’est consternant !
À un jour près, on aurait pu croire à un poisson, trop gros pour être vrai! Mais voilà, c’était… le 2 avril ! Résumons ce poisson avec une question : « comment, en France, émettre 30 fois plus de CO2 dans le secteur des transports alors que l’objectif est de diviser le total des émissions du pays par 4 avant 2050 ? » Deux entreprises, vieilles habituées des tutelles publiques, sont les acteurs majeurs de cette improbable farce.
De quoi s’agit-il donc ? C’est tout simple : Air France déclare la guerre des prix à la SNCF sur tout ce qui est liaisons intérieures. Notre chère compagnie aérienne invite les usagers-clients à la rejoindre en délaissant le train. Il faut dire que sa filiale baptisée « Hop », comme pour mieux symboliser la profondeur de la réflexion, propose des prix défiant toute concurrence ferroviaire ! L’ordre de grandeur moyen, c’est bien trois fois moins cher par les airs ! Rappelons que ces prix très bas sont possibles parce que le kérosène est le seul carburant qui n’est pas taxé.
Trois fois moins cher, c’est bien le seul chiffre que retiennent les médias, y compris ceux qui sont censés éclairer la chose économique. Dans le traitement médiatique qui a suivi la conférence de presse fort fréquentée d’Air France-Hop, il n’a jamais été question d’énergie ou de climat. Jamais ! Nulle part ! C’est un silence qui en dit long. Paris va accueillir en décembre la Conférence Climat présentée comme étant la toute dernière chance de contenir le réchauffement climatique dans des limites gérables.
Toutes les entreprises françaises se mobilisent pour affirmer qu’elles détiennent des solutions dans tous les domaines. Des livres, des documentaires, des éditions spéciales vont nous envahir dans les mois qui viennent. L’appareil de l’État est tout autant mobilisé, et à tous les étages. Les collectivités locales rivalisent d’annonces et de colloques. Tout cela est bien sûr positif mais ces initiatives auront une influence dérisoire sur la COP21 elle-même.
Un voyage en avion à l’intérieur de l’hexagone émet 30 fois plus de CO2 qu’un voyage en TGV...
Espérons en tous cas que cette histoire de transport et de CO2 ne franchira pas les frontières. Quel est le problème en fait ? Une entreprise, Air France, encore détenue par l’Etat à hauteur de 16%, veut prendre des parts de marché à une autre entreprise, la SNCF, 100% publique. Bel exemple de tentative de redressement de compte en creusant les déficits des voisins ! En plus, Air France s’attaque clairement au TGV, en grande difficulté, et qui au passage a été largement financé par l’État et les collectivités, autrement dit les contribuables.
Y a-t-il quelque part un ministre des transports, de l’économie ou de l’énergie, sans parler des finances évidemment, qui pourrait juste poser une question concernant l’énergie et le climat ? Y a-t-il, quelque part, un expert, un service de l’État, qui pourrait rappeler quelques données chiffrées ? Selon une étude commandée par la SNCF au cabinet spécialisé Carbone 4 et validée par l’Ademe, un voyage en avion à l’intérieur de l’hexagone émet 30 fois plus de CO2 qu’un voyage en TGV.
Exemple : pour deux personnes, un Paris-Nice, c’est 7 kilos et demi de CO2 en train, mais 206 en avion ! Air France a contesté ces chiffres mais a du mal à prouver le contraire. De plus, les voyages court et moyen-courriers sont les plus émetteurs de CO2 au kilomètre par voyageur en raison du très fort besoin d’énergie pour le décollage. Et même si le rapport n’était pas de 1 à 30 mais de 1 à 20 ou 10, l’énormité serait toujours là.
Pas un seul responsable politique, pas un seul média, pas un seul décideur économique n’a donc émis la moindre critique ou la moindre question sur cette affaire. Si l’on veut faire un succès de la Conférence de Paris, il va falloir vraiment commencer à regarder plus loin que le bout de son fuselage…
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