Directeur de recherche à l’INRA
Avec une consommation mondiale d’environ 363 milliards de litres (Gl) par an, l’aviation(1) contribue entre autres à près de 2% des émissions de CO2. À l’instar de toutes les activités humaines, la maîtrise de ces émissions est une préoccupation centrale. Les perspectives de croissance de l’aviation, estimées à 5% par an jusqu’en 2050, posent ainsi la problématique de la diversification de ses sources d’approvisionnement.
En 2016, l’ATAG (Air Transport Action Group) représentant l’ensemble des industriels du secteur a abouti à un unique accord global comprenant 3 objectifs :
- un objectif d’amélioration de l’efficacité énergétique de 1,5% par an jusqu’en 2020 ;
- un objectif « Carbon Neutral Growth 2020 » de plafonnement des émissions nettes de CO2 du transport aérien à partir de 2020 ;
- une réduction globale des émissions de CO2 de 50% en 2050 par rapport à leur niveau de 2005.
En l’absence de changement majeur attendu dans les technologies des moteurs, et compte tenu de la durée de vie des avions (environ 25 ans), les biokérosènes représentent une solution pour atteindre ces objectifs ambitieux. Rappelons que ce sont des carburants liquides issus de la transformation de la biomasse, directement incorporables (drop-in) au kérosène fossile, le Jet A/A1, sans adaptation au niveau des avions de son usage, de la logistique d’approvisionnement associée ou de la maintenance.
Quelle contribution des biokérosènes ?
L’absence de données solides sur le « contenu GES » des biokérosènes ne permet toutefois pas aujourd’hui d’estimer la contribution potentielle de ces biokérosènes pour atteindre les objectifs chiffrés de réduction des émissions à l’horizon 2050 (par rapport à un scenario business as usual).
Aussi les ambitions politiques chiffrent plutôt des objectifs d’incorporation. En 2011, la Commission européenne a lancé le projet European Advanced Biofuel FlightPath qui visait à atteindre une incorporation de 2 Mt de biojet à horizon 2020, soit 4% de la consommation européenne. Dans son Livre Blanc pour le Transport de 2011(2), la Commission européenne envisage un objectif d’incorporation de 40% de carburants à faibles émissions dans l’aviation à l’horizon 2050.
Aux États-Unis, le programme Farm to Fly 2.0 de la Federal Aviation Administration (FAA) et de l’USDA a pour objectif la consommation de 3,7 Gl de jet alternatif en 2018, ce qui correspond à un taux d’incorporation de 5% de biocarburants dans la consommation des compagnies aériennes américaines.
5 procédés de production certifiés
L’approbation de tout nouveau carburant aéronautique est un processus fiable mais lourd, coûteux (jusqu’à 10 millions de dollars) et long (3 à 6 ans). A l’heure actuelle, cinq procédés de production de biokérosènes sont complétement certifiés selon la norme ASTM D4054(3). Ces biokérosènes aujourd’hui certifiés, décrits par leurs structures chimiques et propriétés (viscosité, température de distillation), ne sont autorisés qu’en mélange avec du Jet A/Jet A1, à hauteur de 10% à 50% maximum en volume, selon le type considéré.
Entre 2011 et fin 2017, plus de 45 000 vols commerciaux ont eu lieu à partir de lots expérimentaux de biokérosène.
Seul un des cinq procédés certifiés (le biokérosène HEFA-SPK(4)), produit par Altair en Californie, est actuellement commercialisé et distribué, en mélange à 30% avec du JetA/A1 à l’aéroport de Los Angeles depuis mars 2016. De nombreux projets industriels sont par ailleurs en construction en Europe et aux États-Unis. Entre 2011 et fin 2017, plus de 45 000 vols commerciaux(5), impliquant une vingtaine de compagnies aériennes ont eu lieu à partir de lots expérimentaux de biokérosène. En France, le programme« Lab’line for the future » d’Air France illustre cette nécessaire démonstration d’utilisation de biocarburants lors de vols commerciaux.
Onze autres procédés sont en cours de certification, avec le recours à des lipides et à la lignocellulose. Ils résultent aussi d’hybridation entre des procédés de raffinage de pétrole et des bioraffineries. À plus long terme, des briques technologiques avec les microalgues et des cyanobactéries offrent des perspectives intéressantes, mais sont encore à des degrés de maturité technologiques trop bas pour être considérées dans des procédés.
Les défis de l’industrialisation
L’obtention de biokérosène est réalisable technologiquement. L’industrialisation comprend toutefois plusieurs défis, le premier d’entre eux étant la réduction du coût de production (procédés et matière première) avec un rapprochement de celui du carburant fossile. La recherche étant de plus en plus coûteuse lorsqu’on monte en TRL (niveau de maturité technologique), la mutualisation d’unités de démonstration (Pomacle) permettrait de disposer de données solides sur les rendements, les coûts CAPEX et OPEX. Un accompagnement par les politiques publiques est systématiquement requis sous réserve que l’atout environnemental soit significatif.
En 2015, la consommation européenne (UE28) de kérosène s’est élevée à 41,6 Mtep, soit 8,6% des produits pétroliers.
Le développement commercial du biokéroséne doit être ramené au dimensionnement des marchés régionaux visés. En 2015, la consommation européenne (UE28) de kérosène s’est élevée à 41,6 Mtep, soit 8,6% des produits pétroliers. Comparativement, la consommation de biofuels (éthanol et biodiesel) pour les transports terrestres était de 14,2 Mtep dans l’UE28 en 2015. Ces deux marchés « biokérosène à 50% d’incorporation » et « biocarburants pour les transports terrestres » ont ainsi des volumes comparables, conduisant à des concurrences d’usage de la biomasse en fonction des opportunités de marché.
Les biokérosènes ne seront légitimes pour incorporation dans les kérosènes que s’ils procurent une réduction des émissions de GES. Or, peu de données sont publiées sur cette caractéristique à l’heure actuelle, surtout à l’échelle du démonstrateur. Cette évaluation doit intégrer les changements d’usage des sols. On peut s’inspirer des résultats obtenus sur les biocarburants pour les moteurs thermiques des véhicules terrestres. L’apport de données sur le contenu « GES » des biokérosènes constitue ainsi bien une condition centrale de leur développement, en l’absence d’autres réelles alternatives pour décarboner l’aviation à grande échelle.
Sources / Notes
- EIA International Energy Statistics.
- White Paper for Transport - Roadmap to a Single European Transport Area.
- Standard Practice for Qualification and Approval of New Aviation Turbine Fuels and Fuel Additives, ASTM International.
- Le procédé HEFA-SPK / Hydroprocessed Esters of Fatty Acids - Synthesized Paraffinic Kerosene (2011) est un procédé fondé sur la thermochimie qui se différencie par un hydrotraitement isomérisant d’huiles végétales (HVO), d’huiles usées et graisses animales.
- Base de données High Biofuel Blends in Aviation.