Ancien directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (2003-2007)
L’Union européenne s’est donné un objectif de pénétration ambitieux des énergies renouvelables pour deux très bonnes raisons : d’une part, le monde doit très fortement réduire ses émissions de CO2 et d’autre part, nous devons nous préparer à un monde dans lequel les énergies fossiles seront sinon épuisées, du moins raréfiées, donc renchéries. Mais les calendriers qui gouvernent les actions correspondantes sont très différents.
La réduction des émissions est une urgence absolue, comme nous le rappellent les scientifiques du monde entier par le biais du GIEC ; il n’y a pas une minute à perdre et il faut donc mettre en œuvre toutes les technologies disponibles. Les énergies renouvelables ne sont d’ailleurs pas la seule solution pour réduire ces émissions, d’autres outils existent : la sobriété, l’efficacité énergétique, le nucléaire, la capture et la séquestration du carbone (CCS). Nous pourrons aller d’autant plus loin dans la réduction des émissions que nous aurons privilégié les solutions les moins coûteuses. Le moyen d’y parvenir est connu : pénaliser les émissions par un prix du carbone émis suffisamment élevé.
La perspective de devoir abandonner la plus grande partie des énergies non renouvelables est, elle, à échéance beaucoup plus lointaine, comme le démontrent assez les découvertes récentes de pétrole et de gaz. Il faut donc s’y préparer par un effort important et soutenu de recherche et développement afin de préparer les technologies qui seront compétitives dans dix, vingt, trente ans (nous n’aborderons pas ici le cas de la fusion nucléaire, qui est au mieux une technologie du XXIIe siècle). On voit donc que deux actions politiques sont simultanément indispensables : un prix élevé du carbone pour l’immédiat, un effort de recherche accru pour préparer l’avenir. A cet égard, où en est l’Europe, où en est la France ? Disons-le clairement : elles ont tout faux…
Pour atteindre le premier objectif - donner un prix élevé au CO2 émis - l’outil imaginé était le système de permis d’émissions négociables (EU-ETS en anglais). C’est un excellent outil dans son principe, à condition qu’il soit géré activement par une autorité compétente et indépendante. Cela n’a pas été fait et l’ETS, qu’on espérait atteindre les 50 € par tonne, se traîne aux environs du dixième de ce niveau. Le marché n’est donc pas en mesure de jouer son rôle essentiel : donner un signal déclenchant les décisions d’investissement à faible émission et faible coût. On en voit l’application pratique chez nos vertueux voisins allemands qui accroissent la part du charbon dans leur production d’électricité !
On s’est donc rabattu sur un autre système, celui-là spécifique aux énergies renouvelables, éolien et photovoltaïque : le tarif d’achat garanti, payé sans qu’il en ait réellement conscience par le consommateur d’électricité. On a cru par ce moyen atteindre simultanément l’objectif de court terme et l’objectif de long terme, sans vouloir se rendre compte qu’en réalité on sabotait l’un et l’autre. Voici comment.
Le tarif de rachat, identique pour une technologie donnée, est calculé de manière à assurer une rentabilité aux installations les moins performantes…
En choisissant de privilégier à court terme et massivement les énergies renouvelables, on s’est implicitement résigné à leur faire accomplir la plus grande partie de l’effort de réduction des émissions, puisque ni l’efficacité et la sobriété, ni le nucléaire, ni la CCS ne sont rémunérés pour leur contribution à cette réduction, ce qui aurait été le cas avec un ETS efficace. On a donc accepté de soutenir les énergies renouvelables bon marché (l’éolien à terre en zone favorable, le photovoltaïque dans les régions ensoleillées du sud de l’Europe) mais aussi celles qui sont très chères comme le photovoltaïque au Nord ou l’éolien en mer. Et on l’a fait avec enthousiasme puisque le surcoût, même s’il est très élevé, est financé discrètement par l’accroissement d’une ligne peu explicite (la CSPE) dans les factures d’électricité, autrement dit par une taxe prélevée sur tous les kWh consommés mais sur laquelle aucune assemblée élue n’a eu à délibérer.
Pire, le tarif de rachat, identique pour une technologie donnée, est donc calculé de manière à assurer une rentabilité aux installations les moins performantes, procurant ainsi d’incroyables rentes de situation aux installations les mieux placées, rentes financées, faut-il le répéter, par le consommateur sans qu’il le sache. Coût pour l’Allemagne : 25 milliards d’euros par an. Coût pour la France : 7 milliards d’euros par an, en hausse constante.
On n’insistera pas sur deux autres inconvénients majeurs du système : tout d’abord l’existence de cette rente prête aux abus (prévarication, prise illégale d’intérêt) dénoncés par la Cour des Comptes ; ensuite l’afflux de quantités d’électricité soustraites aux lois du marché (puisque rémunérées à prix garanti quel que soit l’équilibre de l’offre et de la demande) a tout simplement mis le marché de l’électricité en lambeaux, lui interdisant de fournir les signaux nécessaires aux investissements de long terme en énergie non fluctuante. Les ruptures d’approvisionnement de la prochaine décennie sont inscrites dans le chaos d’aujourd’hui.
On dépense des dizaines de milliards pour installer en mer des éoliennes de technologie classique, donc non susceptibles de progrès spectaculaires, au lieu de favoriser la recherche.
A-t-on au moins permis de progresser sur l’autre objectif, la préparation d’un avenir alimenté par les seules énergies renouvelables ? En réalité, on a fait le contraire. Alors qu’il fallait intensifier les efforts de recherche pour faire émerger les technologies les plus performantes pour demain, on a cru bon de passer immédiatement à la production d’électricité à grande échelle avec les technologies d’aujourd’hui.
On dépense des dizaines de milliards pour installer en mer des éoliennes de technologie classique, donc non susceptibles de progrès spectaculaires, au lieu de favoriser la recherche sur des technologies nouvelles dont certaines (pas toutes) pourraient émerger à moyen ou long terme. Citons les nouveaux matériaux (en particulier pour l’isolation), les films photovoltaïques, le stockage de l’énergie, les réseaux intelligents, la capture et la séquestration du CO2, l’utilisation rationnelle de la biomasse. Mais pourquoi les opérateurs se fatigueraient-ils à innover puisque la garantie d’un tarif leur procure des revenus assurés à l’abri de toute concurrence ?
On nous répète à l’envi que la protection de la planète n’a pas de prix. C’est vrai. Malheureusement elle a un coût, ce qui n’est pas la même chose. C’est pour avoir oublié cette vérité que nous investissons sans sourciller dans des technologies qui coûtent 600 € par tonne de CO2 évitée alors que des technologies existent en abondance entre 50 et 100 € par tonne. Au moins saurons-nous ce qu’il faut faire pour sortir de ce terrible gâchis : remettre les coûts au centre de nos politiques énergétiques et environnementales, grâce à un prix élevé supporté par les émissions de CO2, tout en préparant l’avenir par une politique ambitieuse de recherche et de développement. Les tarifs d’achat garantis ne satisfont ni aux bonnes pratiques économiques, ni aux bonnes pratiques démocratiques. Il faut les supprimer.
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