Un outil pour évaluer le coût du soutien public aux énergies renouvelables

Centrale solaire photovoltaïque

Centrale photovoltaïque de Puyloubier au pied de la montagne Sainte Victoire, près d'Aix en Provence. (©EDF-Xavier Popy)

L’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) et le think tank allemand Agora Energiewende ont mis en ligne le 22 octobre un outil visant à évaluer le coût en France du soutien public aux filières renouvelables (EnR) électriques d’ici 2040.

Un pic entre 6,5 et 8,5 milliards d’euros par an à l’horizon 2025-2030

Le coût futur du soutien public aux EnR électriques fait l’objet de « vifs débats » en raison des incertitudes sur l'évolution de nombreuses variables : coûts de production des EnR, prix de marché de l’électricité, tarification des émissions de CO2, part des énergies renouvelables variables dans le mix de production électrique, etc.

L’outil développé par l’Iddri et Agora Energiewende(1) a vocation à « apporter de la transparence » sur le montant envisageable de ce soutien public d'ici 2040, explique Nicolas Berghmans, chercheur à l’Iddri spécialiste du secteur électrique. Cet outil se concentre sur le soutien apporté aux filières solaire photovoltaïque et éolienne (terrestre et offshore) et propose 3 grands scénarios (le cas de référence envisage une part d’environ 60% pour l'ensemble des EnR dans le mix électrique français en 2040)(2).

Dans les 3 scénarios présentés, le financement public associé au développement des EnR électriques « augmente jusqu’en 2025-2030, avec un pic qui s’établit entre 6,5 et 8,5 milliards d’euros courants (par an), avant de baisser rapidement par la suite ». Dans le scénario de référence, le besoin de financement public « avoisinant 6,5 milliards d’euros en 2025, décroîtrait à 4,4 milliards d’euros en 2032 et à 1,6 milliard d’euros en 2040 », selon l’Iddri(3).

Il est rappelé que « l’essentiel des dépenses à venir correspond à des engagements passés (sur 20 ans) pour des projets déjà en opération ou qui le seront prochainement, en particulier les 6 premiers parcs éoliens en mer qui ont été attribués entre 2011 et 2013 » (pas encore en service), dont les tarifs d’achat ont pourtant été renégociés à la baisse en 2018(4)(5).

En accès libre, l’outil de simulation de l’Iddri et Agora Energiewende peut être téléchargé ici (les hypothèses de base y sont précisées).

Un mode « expert » de l'outil de simulation permet aux utilisateurs de faire varier de nombreux paramètres : coûts des EnR, évolution des capacités de production, prix de marché estimés, etc. Le calculateur ne permet toutefois pas de « s'assurer de la cohérence entre les évolutions du mix énergétique et le niveau du prix de marché et des rémunérations par filière, ce mode s'adresse donc à un utilisateur avisé », indique Nicolas Berghmans.

Précisons par ailleurs que cet outil prend en compte les évolutions des coûts de production des ENR et les besoins de rémunération complémentaire mais pas « les coûts dits d’intégration (qui recouvrent trois composantes : les coûts de réseau(6), les coûts d’équilibrage et les coûts liés à l’impact des ENR sur l’utilisation des centrales conventionnelles) ». Ces coûts d’intégration doivent faire l’objet d’analyses complémentaires détaillées mais devraient rester « mesurés » dans le cas de la France selon l'Iddri et Agora Energiewende(7).

Un soutien public encore nécessaire. Et demain ?

Malgré les fortes baisses de coûts annoncées, les filières renouvelables « ne sont pas encore en mesure de couvrir leurs coûts par les revenus tirés du marché » et « un soutien public reste pour l'heure nécessaire pour assurer leur développement », indiquent l’Iddri et Agora Energiewende.

Dans le scénario de référence retenu par les deux organisations, il est estimé que « le solaire PV au sol pourrait se financer uniquement par les rémunérations de marché dès 2030 ». Toutefois, les contrats de long terme avec la puissance publique resteront « probablement un montage attractif pour les développeurs de projet » car ils diminuent « le coût de financement (avec la réduction du risque de marché) et donc le coût du kWh des projets avec un engagement faible de dépenses publiques »(8).

Du côté des pouvoirs publics, « une approche pragmatique passerait, à terme, par un raccourcissement progressif de la durée des contrats garantis ou la limitation du soutien à certains volumes de production ».

Pour encourager le développement des énergies renouvelables avec un soutien public réduit, l'Iddri et Agora Energiewende indiquent que celui-ci doit s'articuler avec une réduction du parc nucléaire, pour une raison qui sera là encore très débattue : « un mix électrique à forte dominance nucléaire et renouvelable conduit à baisser les prix sur le marché en raison du faible coût variable de production de ces technologies et donc à augmenter les besoins de financement hors marché électrique des producteurs renouvelables pour couvrir leurs coûts d’investissements ».

Rappels sur le soutien public aux EnR électriques en France

Pour rappel, les énergies renouvelables ont compté pour 21,3% de la production d’électricité en France métropolitaine en 2018, dont 12,5% pour la seule hydroélectricité, filière renouvelable « historique ». Le développement des autres filières renouvelables (en particulier l’éolien et le solaire photovoltaïque) a été soutenu à partir du début des années 2000 par le système d’obligation d’achat. Celui-ci a pour principe que « tout kilowattheure injecté sur le réseau public est acheté par un acheteur obligé à un tarif d’achat, fixé à l’avance » (supérieur aux prix de marché, pour une durée de 15 à 20 ans), rappelle la Commission de régulation de l’énergie (CRE)(9).

Un autre dispositif de soutien public (introduit par la loi de transition énergétique pour la croissance verte) a été mis en œuvre depuis 2016 pour les installations renouvelables de grande puissance(10) : le complément de rémunération, qui prévoit que « les producteurs commercialisent leur énergie directement sur les marchés, une prime venant compenser l’écart entre les revenus tirés de cette vente et un niveau de rémunération de référence(11) ». Ce nouveau dispositif est censé « exposer les producteurs aux signaux des prix de marché de court terme, tout en leur garantissant une rémunération raisonnable », précise la CRE(12).

En France, l’Iddri et Agora Energiewende estiment les financements publics en faveur des EnR électriques à près de 5 milliards d’euros par an pour les années 2018 à 2020. À titre de comparaison, ils rappellent que ce surcoût atteint aujourd’hui « environ 24,7 milliards d’euros par an en Allemagne, pour une production annuelle ENR hors hydraulique de 205 TWh » (contre environ 48 TWh en France en 2018).

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Sources / Notes

  1. Avec le soutien de la société Artelys.
  2. Le scénario de référence est basé sur la PPE et le scénario Ampère de RTE. Les deux autres scénarios envisagent une prolongation de l’exploitation d’une partie plus ou moins importante du parc nucléaire en service.
  3. L’accélération du développement des énergies renouvelables en France survient dans un contexte de baisse importante de leurs coûts de production. « Ce contexte permettrait à la France d’atteindre une part d’électricité éolienne et solaire couvrant 35% de la production électrique en 2035 (soit 220 TWh), pour un soutien public atteignant cette année-là seulement 3,1 milliards d’euros dans le scénario de référence. Cela correspondrait à un soutien moyen à la production renouvelable de seulement 1,4 c€/kWh en 2035 contre 9,6 c€/kWh aujourd’hui ».
  4. La renégociation en 2018 a porté les tarifs d’achat pour ces parcs « à 14 c€/kWh (contre 21 c€/kWh auparavant). Ces projets (environ 3 GW), qui devraient entrer en service à partir de 2021, nécessitent un financement public d’environ 700 millions à 1,1 milliard d’euros par an sur 20 ans selon le scénario ». Il est par ailleurs précisé que les tarifs de rachat attribués pour l’électricité d’origine solaire photovoltaïque étaient encore fixés en 2010 à 314 €/MWh pour les installations au sol et entre 500 et 580 €/MWh pour celles sur toiture
  5. Près d’une décennie plus tard, les appels d’offres sur des grandes centrales débouchent sur des prix d’achats garantis proches de 50 à 60 €/MWh pour le solaire PV ainsi que l’éolien terrestre, rappelle l’étude.
  6. « Pour la France, Réseau de transport d’électricité (RTE) a évalué le coût de renforcement sur le réseau haute tension à 0,3 à 0,4 c€/kWh ENR pour les énergies renouvelables terrestres et à 2 c€/kWh ENR pour l’éolien en mer, pour atteindre les objectifs français de diversification du mix électrique en 2030 », rappellent en particulier Agora Energiewende et l’Iddri.
  7. De l’ordre de 20 €/MWh d’électricité renouvelable intermittente dans le cas de « systèmes interconnectés intégrant environ 50% d’électricité renouvelable variable solaire PV et éolien terrestre, c’est-à-dire deux fois plus que les objectifs visés par la France en 2030 ».
  8. Pour des filières dont 80 à 90 % du coût de production proviennent de l’investissement initial.
  9. Dispositifs de soutien aux EnR, Commission de régulation de l’énergie.
  10. Sont concernées les installations de puissance supérieure à 500 kW, ou 3 MW ou 3 unités de production pour la filière éolienne, à partir du 1er janvier 2016.
  11. Le montant de cette rémunération est « fixé selon le type d’installations par la puissance publique dans le cadre d’un arrêté tarifaire ou par le producteur dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence ». Ce dispositif « vise à exposer les producteurs aux signaux des prix de marché de court terme, tout en leur garantissant une rémunération raisonnable », rappelle la CRE.
  12. « Si le prix de vente de la production renouvelable dépasse le prix garanti, cas de figure qui pourrait se présenter plus fréquemment avec la baisse des coûts des énergies renouvelable et une hausse possible des prix de marché de l’électricité, le producteur devra reverser la différence entre le prix de l’électricité sur le marché et le prix garanti. Pour l’éolien terrestre, ce remboursement se fera uniquement à concurrence des montants perçus antérieurement au titre du complément de rémunération ».

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