Expert associé énergie et climat à l'Institut Montaigne
Les carburants pétroliers constituent la première source d’énergie finale consommée en France. Or, les alertes quant à une perspective de pénurie mondiale se multiplient. L’importance stratégique de l’accès au pétrole justifierait que ce risque soit pris en compte par la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)...
Pour rappel, la PPE est un outil servant à piloter la politique énergétique française. Le projet de PPE couvrant la période 2019-2028 est en consultation jusqu’à ce 19 février sur le site du Ministère de la transition écologique et solidaire(1). Ce document de 395 pages couvre de nombreuses questions gravitant autour de la stratégie énergétique française : réduction des émissions de gaz à effet de serre, objectifs sectoriels d’efficacité énergétique et de baisse des consommations de combustibles fossiles, objectifs de développement des énergies dites « renouvelables », bouquets électriques sectoriels et… sécurité d’approvisionnement.
L’énergie abondante est le sang qui irrigue nos sociétés : mobilité, chauffage, production industrielle, usages électriques… La pérennité de d’adéquation entre demande et accès à l’énergie est donc essentielle. Cette sécurité d’approvisionnement comprend deux volets :
- anticiper, se prémunir et gérer une éventuelle rupture d’approvisionnement (qui peut par exemple être causée par des grèves ou attentats visant des infrastructures de transformation ou de transport d’énergie) ;
- anticiper une éventuelle pénurie régionale ou mondiale de combustibles à même d’affecter la France.
Dans le cas des carburants liquides – issus essentiellement du pétrole – si le risque d’une éventuelle rupture d’approvisionnement est plutôt bien pris en compte, la question de l’adéquation offre-demande de pétrole à l’horizon de la PPE n’est pas mentionnée. Pourtant, la réponse à cette question ne va pas de soi et l’enjeu est de taille, les carburants issus du pétrole étant la première source d’énergie finale en France.
L’hypothèse d’une pénurie de pétrole ne peut pas être exclue
Ces dernières années, nombreux sont les acteurs du pétrole à tirer la sonnette d’alarme quant à un risque de pénurie d’ici à l’horizon 2025. Pour rappeler le contexte, le maximum mondial d’extraction de pétrole dit « conventionnel » a été atteint en 2008 selon l’Agence internationale de l’énergie(2). En entraînant une forte hausse du prix du baril – lequel a atteint plus de 140 $ en mai 2008 – le passage du « pic conventionnel » mondial a probablement été à l’origine de la crise financière de 2008.
L’explosion du prix du brut a permis le boom des pétroles non conventionnels aux États-Unis, dont l’extraction par fracturation hydraulique est particulièrement onéreuse et, aujourd’hui encore, non rentable. C’est pourtant ce pétrole qui permet depuis une dizaine d’années de répondre à la hausse de la demande mondiale.
Du fait de particularités liées à l’extraction du pétrole « de schiste », ainsi que de la faiblesse des investissements découlant d’un baril revenu à une soixantaine de dollars, l’Agence internationale de l’énergie signale un risque de pénurie à horizon 2025(3). Ce risque a été confirmé par une étude scientifique publiée en décembre dernier dans la revue à comité de lecture de l’Institut français du pétrole énergies nouvelles (IFPEN), et rejoint plusieurs déclarations de pétroliers : Total(3), Saudi Aramco(4), etc.
Le raisonnement qui précède concerne l’échelle mondiale. En pratique, la situation est contrastée au niveau régional. Pour l’Union européenne, les craintes qui précèdent sont d’autant plus fondées que 27% du pétrole consommé provient de Russie(5), un pays qui s’attend à voir ses extractions de brut décliner dans les prochaines années(6). La Norvège, second fournisseur de l’UE, a quant à elle déjà passé son pic en 2001. La mise en exploitation du gisement Johan Sverdrup en 2019 devrait permettre de stopper le déclin des extractions pour quelques années, mais il ne changera pas fondamentalement la donne.
Un risque n’est – par définition – pas une certitude. Cependant, nulle stratégie solide ne peut se concevoir sans évaluation et prise en compte des risques. Quand un enfant joue en haut d’un escalier, on n’attend pas de voir si le risque de chute se réalise pour agir a posteriori. Dans le cas qui nous intéresse, la crédibilité et la multiplicité des acteurs qui le relaient devraient nous inciter à le prendre en compte de manière bien plus sérieuse qu’on le fait actuellement.
Une pénurie pétrolière ne signifie pas une rupture d’approvisionnement
Quand on parle de pénurie pétrolière, le film Mad Max peut venir à l’esprit, avec des stations-service à sec et des véhicules arrêtés sur le bord de la route. La réalité serait très différente. L’émergence d’un écart entre la demande et l’offre de pétrole se manifestera par une hausse du prix du baril qui, au-delà d’un certain seuil, affectera l’économie. En retour, la destruction d’activité économique occasionnée par l’augmentation du prix du brut limitera sa hausse voire le fera redescendre.
Il est donc probable que le prix du pétrole à la pompe augmente, mais là n’est pas le cœur du problème. Il faut surtout s’attendre aux conséquences d’une crise économique : éclatement de bulles spéculatives, chômage, récession, coupes budgétaires, etc.
Ce n’est pas parce que la France n’a la main ni sur l’offre ni sur la demande mondiale de pétrole qu’elle ne doit pas évaluer les risques pesant sur leur adéquation. Nous disposons d’outils permettant d’améliorer notre résilience face à une pénurie. Ceux-ci passent par des mesures d'économie et de substitution du pétrole par d’autres sources d’énergie.
De telles actions serviraient la lutte contre le changement climatique et permettraient de rééquilibrer la balance commerciale française – les produits pétroliers coûtant quelques dizaines de milliards d’euros par an à l’Hexagone. Enfin, agir dès à présent nous donnerait un avantage compétitif face aux autre États refusant, comme nous le faisons aujourd’hui, d’anticiper ces difficultés.
Sources / Notes
- Projet de PPE pour consultation, janvier 2020.
- World Energy Outlook, AIE, 2018.
- Patrick Pouyanné, PDG de Total : « Après 2020, on risque de manquer de pétrole », J.-M. Bezat and N. Wakim, Le Monde, 6 février 2018.
- Saudi Aramco chief warns of oil supply crunch, A. Raval, The Financial Times, 9 juillet 2018.
- Valeur pour l’année 2017, Commission européenne.
- Russia is Only 3 Years Away From Peak Oil, Energy Minister Warns, The Moscow Times, 19 septembre 2018.
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