Guy Maisonnier est ingénieur économiste, spécialiste des marchés pétroliers, au sein d’IFP Energies nouvelles. (©OPEP)
L’OPEP a conclu hier à Vienne un accord visant à limiter sa production globale de pétrole brut à un niveau de 32,5 millions de barils par jour (Mb/j) à partir du 1er janvier 2017. Cet engagement correspond à l’effort envisagé lors de la réunion d’Alger de septembre 2016 et doit permettre d’accélérer la remontée des cours du pétrole. Nous avons interrogé sur cet accord Guy Maisonnier, spécialiste des marchés pétroliers au sein d’IFP Energies nouvelles.
1) Quels sont les termes de l’accord conclu à Vienne par l’OPEP?
Les limites de production prévues par l’accord touchent 11 des 14 pays membres de l’OPEP, les trois cas spécifiques étant :
- l’Indonésie qui a suspendu son adhésion à l’OPEP pour ne pas avoir accepté une baisse de sa production ;
- le Nigéria et la Libye, deux pays dont la production a baissé récemment, compte tenu des troubles intérieurs.
Pour les autres membres de l’OPEP, la répartition apparente semble équitable puisqu’elle se fonde sur un pourcentage de réduction de l’ordre de 4,8 % de la production, soit 1,2 Mb/j au total à partir de janvier 2017. L’effort le plus important de réduction, de l’ordre de 0,5 Mb/j, est de ce fait réalisé par l’Arabie saoudite, compte tenu de son niveau de production de 10,5 Mb/j.
Mais il faut rentrer dans le cœur de l’accord pour comprendre que l’Iran a été favorisé. Pour calculer la baisse de production des différents pays membres, la référence retenue est en effet la production du mois d’octobre issue de « sources secondaires »(1) et non pas des données directes des pays. Seule l’Iran a bénéficié de la référence la plus favorable (données directes) avec un volume de 3,97 Mb/j retenu (contre un niveau de 3,69 Mb/j selon les sources secondaires). La baisse de 4,8 % aboutit donc à un plafond de production en janvier 2017 de 3,79 Mb/j, soit une baisse fictive de 0,18 Mb/j et une hausse effective de 0,1 Mb/j. Un compromis a donc été trouvé pour ce pays qui souhaitait que sa production remonte à 4 Mb/j. L’Arabie saoudite voulait absolument trouver cet accord que Téhéran présente comme une victoire.
L’Irak, qui souhaitait ne pas avoir de contrainte sur sa production, n’a pas bénéficié d’un traitement aussi favorable.
Pays membre | Niveau de production de référence (kb/j) | Évolution prévue de la production (kb/j) | Niveau de production attendu en janvier 2017 (kb/j) |
---|---|---|---|
Algérie | 1 089 | - 50 | 1 039 |
Angola | 1 751 | - 78 | 1 673 |
Arabie saoudite | 10 544 | - 486 | 10 058 |
Émirats arabes unis | 3 013 | - 139 | 2 874 |
Équateur | 548 | - 26 | 522 |
Gabon | 202 | - 9 | 193 |
Indonésie | |||
Iran | 3 975 | 90 | 3 797 |
Iraq | 4 561 | - 210 | 4 351 |
Koweït | 2 838 | - 131 | 2 707 |
Libye | |||
Nigéria | |||
Qatar | 648 | - 30 | 618 |
Venezuela | 2 067 | - 95 | 1 972 |
Plafonds de production des différents pays membres de l'OPEP fixés par l'accord du 30 novembre 2016 (en milliers de barils par jour)
2) Comment l’OPEP est-elle parvenue à cet accord malgré les dissensions internes ?
L’OPEP a réussi à définir l’accord du pragmatisme. Jusqu’à présent, l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe donnaient le ton au sein de l’OPEP. Les autres pays apparaissaient en ordre dispersé. Cette réunion a montré que les lignes avaient bougé. Les discussions ont été très difficiles et il n’était pas évident qu’elles débouchent sur un accord.
Les contraintes budgétaires ont à l’évidence pesé afin de faciliter le compromis. Dès le mois d’avril, l’Arabie saoudite avait affirmé sa volonté de ne pas être le seul à réduire sa production et de partager le fardeau. L’enjeu principal était d’inclure dans cet accord les deux autres grands producteurs, l’Irak et l’Iran, et bénéficier par ailleurs d’un soutien des producteurs non-OPEP.
Il faut souligner que l’accord conclu à Vienne est purement pétrolier, avec l’objectif de soutenir les prix du pétrole. Les enjeux géopolitiques sont ainsi mis de côté comme ce fut souvent le cas en période difficile pour l’OPEP. L’Arabie saoudite est encore parvenue à ses fins, mais avec l’aide de l’Algérie qui a fait un travail de négociation très intense. Le Comité de Haut niveau, mis en œuvre après la réunion d’Alger de septembre 2016, a notamment travaillé sur des bases techniques et a probablement permis d’aplanir les tensions.
3) Quel impact pourrait avoir cet accord sur les cours du brut ?
Suite à l’annonce de l’accord, les cours du brut sont remontés de près de 46 $ à 50 $ le baril, soit de presque 10%. La réduction de production pourrait être très importante si les pays non-OPEP se joignent à l’accord de Vienne mais cela reste incertain. Même cette seule baisse de production de 1,2 Mb/j de l’OPEP pèsera fortement pour rééquilibrer le marché en 2017.
Avant la réunion, nous anticipions pour 2017 des prix moyens de 40 à 50 $/b sans accord et de 50 à 60 $/b en cas d’accord. De nombreux aléas vont jouer mais cette deuxième fourchette est envisageable si cet accord est effectivement mis en place et respecté, sauf problème géopolitique majeur…
L’Iran et l’Irak pourraient être tentés de dépasser leurs quotas s’ils disposent d’excédents mais les conséquences en termes de prix seraient défavorables, ce qui devrait limiter ces velléités de dépassements. Il y aura une revue au bout de 6 mois pour savoir si un prolongement de l'accord de l'OPEP est envisagé.
4) Quelle réaction peut-on attendre des grands producteurs n’appartenant pas à l’OPEP ?
L’OPEP indique attendre un effort de réduction de production de 0,6 Mb/j de la part des pays hors OPEP mais il n’y a aucune garantie pour le moment. Une réunion devrait notamment réunir à ce sujet la Russie, l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan le 9 décembre prochain à Doha.
Le discours de la Russie est un peu ambigu sur la possibilité de participer à un accord. Les autorités ont évoqué un gel du niveau de production en 2017 au niveau de 2016 mais elles n’ont pas forcément les moyens d’intervenir sur leurs compagnies. La Russie y a intérêt pour des raisons budgétaires.
Pour les États-Unis, un seul critère pèse sur les décisions : la rentabilité des futurs développements. L’accord est donc favorable pour les producteurs américains s’il permet d’avoir un prix du baril supérieur à 50 $. L’incertitude sur la viabilité de l’accord est peut-être leur principale interrogation puisqu’il faut des conditions de prix durables pour investir.
La hausse de production américaine pourrait intervenir fin 2017, avec des progressions annuelles de 0,5 à 1 Mb/j, suivant le niveau de l’activité de forage. Cela pèsera à nouveau à la baisse sur les cours et les huiles de schiste américaines joueront ainsi un rôle de plafond pour les prix.
5) Quel va être l’impact de cet accord sur les pays importateurs de pétrole comme la France ?
La facture énergétique de la France liée aux importations de pétrole et de gaz pourrait passer de 32 milliards d’euros en 2016 (avec un baril à 43 $/b) à un niveau compris entre 38 et 45 milliards d’euros en 2017 (pour un prix de 50 à 60 $/b). On est encore loin des 65 milliards d’euros de 2013, mais c’est un élément défavorable pour le pouvoir d’achat. Cela devrait notamment entraîner une hausse du prix des carburants de 5 à 10 centimes d’euros par litre par rapport à 2016.
En revanche, la hausse des prix est un élément favorable pour relancer la consommation avec des anticipations de reprise de l’inflation, qui sera peut-être modérée néanmoins par les hausses des taux d’intérêt. C’est favorable également pour relancer les investissements pétroliers et éviter un choc futur. Il est d’ailleurs important de rappeler que la France compte plusieurs grands acteurs du secteur parapétrolier.
C’est favorable aussi pour l’équilibre des marchés boursiers : les compagnies pétrolières ont un poids important dans les indices boursiers et la baisse des prix pèse sur le développement des pays émergents exportateurs de pétrole. C’est favorable enfin pour les solutions alternatives au pétrole et aux fossiles en général. Tout n’est donc pas négatif dans cette hausse des prix.