Contrôles de diagnostics à l'intérieur de la chambre d'expérience de l'installation prototype du futur Laser Mégajoule (©P.Stroppa/CEA)
Définition et principes
La « fusion nucléaire » aussi appelée « fusion thermonucléaire » est la réunion de deux noyaux atomiques légers pour former un noyau unique plus lourd et plus stable. Au cours de cette réaction de fusion, la masse du noyau produit est inférieure à la somme des masses des noyaux légers d'origine. Or, en vertu de la célèbre relation établie par Albert Einstein « E=mc2 », la différence de masse est convertie en énergie.
Le phénomène de fusion nucléaire se différencie donc de celui de la fission nucléaire dans lequel un atome lourd se scinde en deux atomes plus légers avec un dégagement d’énergie nettement inférieur.
La fusion nucléaire dans les étoiles
On peut notamment observer ce phénomène de fusion au sein des étoiles dans lesquelles une énergie colossale est libérée.
Le processus de fusion nucléaire ne peut avoir lieu que dans des conditions de température et de pression particulières. A titre d’exemple, au cœur du Soleil, la pression est égale à 200 milliards de fois la pression atmosphérique terrestre et la température centrale atteint environ 15 millions de degrés. Dans ces conditions, les noyaux légers d’hydrogène (75% de la composition du Soleil) fusionnent en noyaux d’hélium (24%) approximativement deux fois plus lourds, créant ainsi la lumière et la chaleur que nous recevons. Selon les calculs, chaque seconde, 620 millions de tonnes d'hydrogène y sont transformées en 615,7 millions de tonnes d'hélium(1).
La fusion nucléaire sur Terre
De très grandes quantités d’énergie sont libérées par le processus de fusion nucléaire. Pouvoir reproduire ce phénomène sur Terre permettrait en théorie de satisfaire définitivement les besoins énergétiques de l’humanité.
C’est précisément l’enjeu majeur de la recherche sur la fusion nucléaire « contrôlée ».
Les combustibles nécessaires à la fusion sont deux isotopes de l’hydrogène :
- le deutérium, disponible en quantités pratiquement illimitées dans l’eau des mers : avec 33 g de deutérium par mètre cube d’eau de mer, les ressources excéderaient 10 milliards d'années de consommation annuelle mondiale d’énergie (référence : année 2000). Un gramme de deutérium, combiné à du tritium, pourrait fournir autant d’électricité que 3 tonnes de pétrole(10).
- le tritium, que l’on produit à partir du lithium relativement abondant dans l’écorce terrestre : le tritium est un matériau radioactif à courte durée de vie (12 ans). Il est obtenu à partir de lithium. La teneur moyenne de lithium dans l'écorce terrestre est d'environ 20 parties par million (ppm). Le lithium peut aussi être tiré de l'eau de mer (0,18g/m3) ce qui représente une réserve potentielle de 230 milliards de tonnes supplémentaires.
La bombe thermonucléaire – couramment appelée bombe H – constitue aujourd’hui la seule application pratique de la fusion nucléaire. Celle-ci a été testée pour la première fois en 1952 aux États-Unis dans la foulée de la maitrise de la bombe A (à fission nucléaire). Les armes thermonucléaires ont joué un rôle clé dans l’équilibre dissuasif entre les deux blocs pendant la guerre froide.
Des efforts de recherche sont menés depuis plus de 50 ans pour recréer les conditions de la fusion nucléaire au sein d’un réacteur. Toutefois, la maîtrise d’un processus contrôlé de fusion n’est pas encore démontrée et les technologies et matériaux adaptés à ces températures et pressions extrêmes ne sont pas encore disponibles pour une utilisation industrielle. Recréer un processus de fusion nucléaire s’avère beaucoup plus complexe que d’exploiter la réaction de fission en chaîne.
Fondements de la recherche sur la fusion nucléaire contrôlée
Fusionner des atomes sur Terre n’est pas simple. Il faut faire fondre deux atomes et provoquer la fusion de leurs noyaux alors que leurs charges électriques respectives ont tendance à les séparer. Les noyaux doivent pour cela se trouver dans un état d’agitation thermique intense. C’est le cas lorsqu’ils sont portés à des très hautes températures de l’ordre de la centaine de millions de degrés.
La fusion deutérium-tritium
Depuis une trentaine d’années, la quasi-totalité des recherches porte sur la fusion de deux isotopes de l’hydrogène : le deutérium et de tritium.
Le premier existe à l’état naturel (présent dans l’eau de mer à hauteur de 33 g/m3) et le second peut être produit à l’intérieur d’un réacteur industriel à fusion, par interaction avec du lithium. Ce dernier est présent sur Terre à hauteur de 20 g/tonne dans la croûte terrestre et 0,18 g/m3 dans les océans(5).
La température nécessaire à la fusion de ces deux isotopes est de l’ordre de 150 millions de degrés, soit dix fois la température du cœur du Soleil(6). Il se forme alors un plasma, quatrième état de la matière dans lequel les atomes sont totalement ionisés, c'est-à-dire que leurs noyaux et électrons ne sont plus liés. La réunion des noyaux atomiques légers pour former un noyau unique plus lourd et plus stable a alors lieu. Les neutrons dégagés lors de cette réaction irradient l’enceinte du réacteur qui emmagasine de l’énergie thermique.
Il existe deux voies de développement de réacteurs à fusion nucléaire. Ces deux méthodes ont déjà permis d'obtenir de brèves réactions de fusion. Cependant, elles nécessitent pour le moment plus d’énergie qu’elles n’en créent. C’est pourquoi les axes principaux de la recherche dans les décennies à venir porteront sur l’allongement et l’optimisation du processus de fusion.
Le réacteur à confinement inertiel
Le mélange deutérium-tritium est enfermé dans des microbilles. Elles sont portées à très haute pression et température pendant un temps extrêmement court au moyen de lasers très puissants. La micro-explosion thermonucléaire obtenue produit une impulsion hyperpuissante de l’ordre du térawatt sur un laps de temps très court, environ 10 picosecondes(7).
Le Laser Mégajoule, dont l'installation doit être finalisée d'ici 2014 au centre CEA/CESTA(8), près de Bordeaux, en est un exemple. Il a pour objectif de reproduire en laboratoire des conditions physiques analogues à celles créées lors du fonctionnement des armes nucléaires. Ce Laser est essentiellement destiné à un usage scientifique et à la simulation d’explosions d’armes atomiques, tout comme son semblable américain, le NIF (National Ignition Facility) situé en Californie.
Le réacteur à confinement magnétique
Les noyaux sont portés à plus de 100 millions de degrés Celsius dans des machines d’un volume important appelées tokamaks. Puisqu’aucun matériau ne peut résister à de telles températures, le plasma renfermant le mélange peu dense de deutérium et de tritium est confiné par un champ magnétique intense généré par des bobines situées autour de la chambre et par un fort courant électrique circulant dans le plasma. La fusion s’initie dès que la température, la densité et le temps d’isolation thermique du mélange atteignent les seuils critiques d’ignition.
Il existe plusieurs prototypes de tokamak dans le monde, dont l’installation Tore Supra à Cadarache. Le réacteur ITER, en construction sur ce site, appartient à la même famille.
La température : du zéro absolu à plusieurs dizaines de millions de degrés
Dans un réacteur à fusion, la température du plasma devra atteindre 150 millions de degrés Celsius. Simultanément, la température des bobines magnétiques supraconductrices créant le champ magnétique et situées à quelques mètres du plasma doit rester aussi proche que possible du zéro absolu, c'est-à-dire la température la plus basse qui puisse exister dans l'univers (– 273,15 degrés Celsius).
Le plasma est considéré comme le 4e état de la matière après les états liquide, solide et gazeux. Quand on arrive à de très hautes températures, les constituants de l'atome se séparent, noyaux et électrons se déplacent indépendamment et forment un mélange globalement neutre : c'est un plasma. Ce quatrième état de la matière, que l'on retrouve dans les étoiles et le milieu interstellaire, constitue la majorité de notre univers (autour de 99%). Sur Terre, on ne le rencontre pas si ce n'est dans les éclairs ou les aurores boréales. On le produit toutefois artificiellement en appliquant des champs électriques suffisamment puissants pour séparer le noyau de ses électrons dans les gaz. Exemples d’applications : écrans plats des téléviseurs ou tubes à néons éclairants(12).
Les enjeux de la domestication de la fusion nucléaire
Si le principe novateur des centrales à fusion nucléaire est validé scientifiquement et technologiquement il permettra de développer une nouvelle source abondante d’énergie complémentaire de la fission nucléaire.
Les avantages écologiques
La fusion génère peu de déchets radioactifs, en plus de courte durée de vie, et pas de gaz à effet de serre.
Un procédé plus sûr
De plus, elle écarte tout risque d’emballement de la réaction nucléaire et donc toute menace d’explosion. Contrairement au procédé de fission nucléaire, la moindre perturbation au sein d’un réacteur à fusion par confinement magnétique entrainerait un refroidissement puis un arrêt spontané des réactions de fusion.
Les avantages économiques
La fusion nucléaire fait appel à des combustibles (deutérium, lithium) présents en grande quantité sur notre planète, de quoi alimenter les éventuels réacteurs à fusion pour de nombreux millénaires. Les risques de pénurie énergétique seraient donc écartés.
Quelques grammes de combustible suffiraient pour déclencher et entretenir les réactions de fusion. Une centrale à fusion de 1 000 MWe aurait ainsi besoin de 125 kg de deutérium et de 3 tonnes de lithium (contre 2,7 millions de tonnes de charbon pour une centrale thermique de même puissance) pour fonctionner toute une année(2).
Une technologie pas encore aboutie
L’état actuel des connaissances scientifiques ne permet pas aujourd'hui d’extraire suffisamment d'énergie des réactions de fusion pour produire de l'électricité. De plus, on ne sait pas encore fabriquer de matériaux pouvant résister assez longtemps au rayonnement et au flux de neutrons libérés au cours de ces réactions.
Les scientifiques estiment que les technologies nécessaires à la mise en œuvre de la fusion nucléaire contrôlée à des fins de production énergétique ne seront pas disponibles avant des décennies.
Les limites financières
Le coût financier des installations de recherche se chiffre en milliards d’euros sur plusieurs décennies. Ce coût est donc très important pour des bénéfices potentiels éloignés dans le temps.
L’investissement dans le programme ITER a par exemple été évalué initialement à 5 milliards d’euros(3). Selon les dernières estimations du programme en 2012, le coût prévisionnel de construction de la machine avoisinerait maintenant 13 milliards d’euros(4).
Par ailleurs, les coûts de production de l’énergie de fusion restent une inconnue tant que le procédé n’aura pas atteint une maturité scientifique et technologique.
Projets pour recréer les conditions de la fusion nucléaire au sein d’un réacteur
Principaux réacteurs à fusion par confinement magnétique au sein d’un tokamak
- ITER qui est en cours de construction à Cadarache. 6 pays (États-Unis, Chine, Inde, Corée du Sud, Japon, Russie) ainsi que l’Union européenne contribuent à ce projet innovant d’envergure mondiale dans le cadre de l’organisation ITER.
- KSTAR (Korean Superconducting Tokamak Advanced Research) à Daejeon.
- JET (Joint European Torus), à Culham au Royaume-Uni.
- JT-60 (Japan Torus 60) au Japon.
- Tore Supra, à Cadarache en France.
- Asdex et son amélioration Asdex-Upgrade, en Allemagne.
- Doublet et son amélioration DIII-D, aux Etats-Unis.
Principaux réacteurs à fusion par confinement inertiel par laser
- Le Centre d'Études Scientifiques et Techniques d'Aquitaine abrite les programmes Mégajoule sous la direction du Commissariat à l’Energie Atomique et le laser Pétawatt PETAL dans le cadre du projet européen HiPER.
- Le projet National Ignition Facility aux États-Unis.
Historique : de la découverte des principes physiques au développement des premiers réacteurs
Dans les années 1920, les Britanniques Francis William Aston et Arthur Eddington découvrent le phénomène de fusion nucléaire qui a lieu au sein du Soleil. En 1946, un brevet est déposé au Royaume-Uni par Thomson et Blackman pour un réacteur. En 1952, les États-Unis font exploser la première bombe H, réalisant ainsi la première réaction de fusion thermonucléaire humaine. Celle-ci a démontré la supériorité énergétique du processus de fusion nucléaire sur celui de fission.
En laboratoire, les scientifiques russes sont les premiers à obtenir des résultats concluants dans la quête pour la maîtrise de l’énergie de fusion. En 1968, ils parviennent à faire fusionner des atomes d’hydrogène en produisant un plasma d’une dizaine de millions de degrés dans un réacteur à fusion appelé « Tokamak ». C’est avec cette machine que la technique du confinement magnétique a été mise au point. Le plasma est créé grâce à une décharge électrique, et de puissants champs magnétiques permettent de l’isoler des parois de la machine, l’empêchant ainsi de se refroidir.
Dans les années 1980, plusieurs pays se lancent dans la construction de tokamaks. En Europe, sous l’égide de l’association Euratom-CEA, Tore Supra est lancé en 1988 sur le centre du CEA/Cadarache, le seul tokamak au monde doté d’aimants supraconducteurs capable de produire des plasmas de longue durée. Quant au JET (Joint European Torus)(9) en Angleterre, il détient le record mondial de puissance de fusion (16 MW pendant une seconde) depuis 1997. Le précédent record avait été obtenu aux Etats-Unis avec TFTR, implanté à Princeton, qui avait produit une puissance d’environ 10 MW en 1991. Le Japon a également enregistré de bonnes performances avec JT-60, similaires à celles du JET dans le domaine de la physique des plasmas.
Le réacteur ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) est actuellement en construction sur le site de Cadarache. Il a pour but de prouver la faisabilité technique de la production d’énergie à partir d’un réacteur de fusion nucléaire à confinement magnétique. Il est d’une taille nettement supérieure à celle de ses prédécesseurs.
La production d'électricité par fusion nucléaire : pour quand ?
Les différentes étapes prévues par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) pour le siècle à venir dans le cadre de la fusion par confinement magnétique(11) sont :
- 2020 :
- Mise en fonctionnement d’ITER avec l'obtention d'un premier plasma afin de démontrer la faisabilité scientifique et technologique de l'énergie de fusion. Le lancement des opérations deutérium-tritium est prévu en 2027.
- Le réacteur est actuellement en construction. En tant que réacteur de recherche, ITER ne produira pas d’électricité, seulement de la chaleur et de la vapeur.
- Au-delà de 2050 :
- Premier réacteur de démonstration : DEMO
- Recherches et optimisation du rendement énergétique et des matériaux utilisés. Ce démonstrateur génèrera quelques centaines de mégawatts.
- Puis :
- Test du prototype industriel
- La puissance de ce prototype devrait avoisiner les 1 500 mégawatts soit autant que le réacteur EPR (à fission).
- Enfin :
- Déploiement des réacteurs industriels
- Production à grande échelle d’énergie issue de la fusion nucléaire contrôlée.