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Usine marémotrice de la Rance

Occupant l’estuaire de la Rance sur 750 m de large, la seule centrale marémotrice française est constituée de 24 turbines Kaplan de 10 MW de puissance chacune. (©EDF-Yannick Le Gal)

Définition

L’énergie marémotrice consiste à utiliser le marnage(1) dans des zones littorales pour produire de l’électricité en exploitant la différence de hauteur entre deux bassins séparés par un barrage, selon la marée haute et la marée basse se succédant.

C'est une énergie intermittente, mais très prédictible : le phénomène de marée est induit par l’effet gravitationnel sur l’océan de deux astres à proximité de notre planète : la Lune et le Soleil.

En conjuguant turbinage et pompage, une centrale marémotrice peut constituer un moyen de stockage d'électricité.

Le potentiel de l’énergie marémotrice dans le monde est estimé à près de 380 TWh/an, soit 1,5% à 2% de la production électrique mondiale annuelle.

L'usine de la Rance en Bretagne a été la première grande centrale marémotrice dans le monde et longtemps la plus puissante avec une capacité installée de 240 MW.

Fonctionnement

Rappel sur les marées

Le rythme semi-diurne (deux marées par jour) du phénomène des marées provient de la rotation de la Terre sur elle-même. L’alternance entre grandes marées et mortes eaux provient quant à lui des positions relatives de la Lune et du Soleil au cours du mois lunaire(2). La Lune, moins massive mais plus proche que le Soleil, produit l’effet le plus important sur les marées terrestres.

Tous ces mouvements astraux peuvent être calculés sur des milliers d’années, ce qui permet d’obtenir une prédiction des marées à très long terme en horaire et en amplitude.

Principe de fonctionnement d’une usine marémotrice

Un bras de mer ou un estuaire en zone de fort marnage est équipé d’une infrastructure qui met en œuvre des turbines de basse chute actionnées par le flux d’eau de mer entre les deux bassins (situés à des niveaux différents).

Les conditions naturelles favorables(3) à l’implantation de sites marémoteurs sont :

  • un marnage supérieur à 5 mètres, idéalement entre 10 et 15 mètres ;
  • une profondeur de 10 à 25 mètres sous la basse mer ;
  • un substrat rocheux (ou sablo-graveleux) pour fixer les fondations de l’infrastructure.

Il est courant de distinguer deux grands types d’infrastructures marémotrices(4) : le simple bassin et le double bassin.

Simple bassin

Le simple bassin consiste à barrer un bras de mer par un ouvrage capable de retenir un important volume d’eau. Le barrage délimitant le bassin est percé d’ouvertures, certaines étant dotées de vannes simples, d’autres étant dotées de vannes munies de turbines.

Par exemple, la centrale de la Rance est composée de 24 travées contenant autant de turbines et d’un barrage mobile constitué de 6 vannes (de 15 x 10 m).

Il existe alors trois techniques de production d’énergie électrique :

  • le « simple effet au vidage » : le bassin de retenue est « clôturé » à marée haute (en fermant les vannes). Puis on ouvre les vannes lorsque le niveau de la mer est redescendu suffisamment bas pour faire fonctionner les turbines (ou « bulbes ») connectées à des alternateurs ;
Marémoteur simple bassin au vidage

Schéma de fonctionnement d'une centrale marémotrice avec simple bassin : effet au vidage (©Connaissance des Énergies)

  • le « simple effet au remplissage » : à l’inverse, on isole le bassin de retenue à marée basse afin d’obtenir une différence de hauteur au fur et à mesure de la marée montante. Lorsque la marée est haute, on ouvre les vannes et l’eau pénétrant dans le bassin de retenue par les vannes fait tourner les turbines. Cette méthode nécessite de conserver un niveau bas dans le bras de mer (côté bassin de retenue) sur une longue durée et peut poser des problèmes environnementaux et d’usages pour la navigation ;
Marémoteur simple bassin au remplissage

Schéma de fonctionnement d'une centrale marémotrice avec simple bassin : effet au remplissage (©Connaissance des Énergies)

  • le « double effet » : on fait tourner les turbines à la fois lors du remplissage et lors du vidage, ce qui offre une plage de production plus longue (exemple de la Rance). Des pompages complémentaires permettent d’optimiser les différences de niveau tout en préservant le bilan énergétique.

Double bassin

Le double bassin consiste à rajouter un bassin artificiel, situé plus bas que le niveau de la mer (y compris à marée basse). Compte tenu du décalage quotidien de l’heure de la marée, la production électrique est disponible certains jours à l’heure de pointe et d’autre jour en période de faible consommation.

Un bassin supplémentaire permet l’exploitation d’une différence de potentiel quelle que soit la hauteur d’eau de la mer (il est également possible de « sur-remplir » le bassin de la vallée de la Rance et de turbiner au moment le plus opportun).

Il constitue un moyen de stockage (comme une STEP) pour une meilleure maîtrise de la production en conjuguant turbinage et pompage. Ce dispositif offre des plages de production plus longues mais nécessite une infrastructure plus complexe et plus coûteuse.

Les usines marémotrices présentes dans le monde

La récupération d’énergie renouvelable grâce à la marée sur le littoral existe depuis très longtemps. Les moulins à marée construits sur les côtes de l’ouest de la France au Moyen-Âge en témoignent.

La Rance, une première mondiale

L’estuaire de la Rance présente une amplitude de marées parmi les plus élevées au monde (13,5 mètres).

Au début des années 1960, un programme industriel volontariste a permis de concevoir et d’installer la première usine marémotrice du monde (mise en service en 1966, après 6 ans de travaux), à l’embouchure de la Rance en Bretagne entre Dinard et Saint-Malo. 

Cet équipement de 240 MW de puissance, opéré par EDF, produit depuis cette époque plus de 500 GWh par an (soit l’équivalent de 0,1% de la production électrique française) et contribue au désenclavement énergétique de cette région (comptant pour 8% de la production électrique de la Bretagne selon l'exploitant, soit l’équivalent de la consommation d'environ 225 000 habitants comme la ville de Rennes(5)). 

Ce site est resté pendant plus de 40 ans unique au monde de par sa dimension et reste aujourd'hui la 2e centrale marémotrice au monde.

L'usine marémotrice de la Rance en chiffres

  • débit maximum turbiné : 6 600 m3/s ;
  • longueur totale du site : 750 m.
  • dimensions de l'usine sous-marine : 390 m de long et 33 m de large ;
  • barrage mobile : 115 m de long ; équipé de 6 vannes de type « wagon » d’une hauteur de levée de 10 m et d’une largeur de 15 m ;
  • longueur de la digue en enrochement : 163 m ;
  • retenue d'eau (La Rance maritime : du barrage à l'écluse du Chatelier) : 20 km de long et 184 M m3 d’eau ; 
  • trafic sur la route départementale 168 passant sur le barrage de la Rance : 30 000 véhicules/jour en moyenne et jusqu'à 60 000 par jour en été.
Infographie de La Rance

Infographie d'EDF sur son usine de La Rance (©EDF)

Un vrai potentiel mais peu de projets

Après La Rance, des réalisations modestes ont eu lieu pour la filière en Russie (Kislaya Guba d'une puissance de 1,7 MW, mise en service en 1968), en Chine (Jiangxia d'une puissance de 3,2 MW, 1980) et au Canada (Annapolis Royal d'une puissance de 20 MW, 1985).

Depuis 2000, 2 centrales marémotrices ont été mises en service en Corée du Sud (dont celle de Sihwa en 2011) et une autre au Royaume-Uni.

Usine marémotrice de Sihwa Lake en Corée du Sud

Inaugurée en 2012, l’usine marémotrice sud-coréenne de Sihwa présente une puissance installée du même ordre de grandeur que la Rance (puissance de 254 MW pour une production estimée à 550 GWh/an). 

La Corée du Sud dispose de projets de centrales marémotrices encore plus grands : à Incheon (jusqu'à 1 320 MW) et dans la baie de Garorim (520 MW).

Potentiel de déploiement

La Corée du Sud et le Royaume-Uni sont les principaux pays envisageant actuellement un développement significatif de l’énergie marémotrice. La France possède également un potentiel important.

Le Royaume-Uni procède à des études de faisabilité mais l’acceptabilité de tels projets reste problématique. En mars 2015, le gouvernement britannique a annoncé vouloir construire un lagon artificiel pour installer une centrale marémotrice dans la baie de Swansea (côte du Pays de Galles). Le pays dispose de nombreux sites propices à l’implantation de centrales marémotrices (leur potentiel en puissance est estimé à 6 000 MW, soit environ 25 fois la capacité installée de la centrale de la Rance) mais des projets hydroliens de plus petite ampleur sont davantage développés.

Au-delà de ceux déjà cités, d’autres pays présentant des marnages et des conditions environnementales appropriées pourraient développer des projets marémoteurs à moyen terme : l’Argentine, l’Australie, le Canada, la Chine et l’Inde. La Russie a également des projets à l’étude.

C’est au Canada, dans la baie de Fundy, que l’on trouve les plus importantes marées du monde. Elles excédent 15 mètres et le courant peut y avoisiner 14 km/h (7,5 nœuds)(6). Chaque marée déplace 14 milliards de tonnes d’eau toutes les 6 heures et quart entre les 6 km qui séparent les deux caps fermant la baie.

Estimation du potentiel marémoteur mondial

Très peu exploité à ce jour, le potentiel de l’énergie marémotrice dans le monde est estimé à près de 380 TWh/an, soit de l'ordre de 1,5% de la production électrique mondiale annuelle (29 925 TWh en 2023).

Atouts et difficultés de la filière marémotrice

Malgré des avantages certains, il existe seulement près d'une dizaine de centrales marémotrices en service dans le monde (la plupart de petite puissance).

Durée et coûts d'exploitation

La durée d’exploitation d’une centrale marémotrice peut dépasser 100 ans, nettement plus que la majorité des sources de production.

Sur un site donné, cette énergie peut en outre fournir une production massive avec une bonne prédictibilité de la fourniture d’énergie électrique, et à un faible coût de production en phase d’exploitation (proche de celui de l’hydraulique en montagne). Elle est beaucoup moins intermittente notamment que les hydroliennes qui captent l’énergie cinétique des courants.

De nombreuses externalités positives

Au-delà de la production d’électricité, des co-activités peuvent apporter de la valeur ajoutée au modèle, par exemple :

  • de l’aquaculture associée ;
  • de nouvelles capacités portuaires ou une voie routière sur les digues (cas de la Rance) ;
  • une protection des rivages contre l’érosion ou les surcotes ;
  • une éventuelle utilisation de la retenue d’eau en STEP pour réguler la production électrique provenant d’autres sources d’énergies renouvelables intermittentes.

Le retour d’expérience de l’usine de la Rance est riche d’enseignements sur l’appréciation des impacts sur l’environnement et notamment sur la biodiversité et l’évolution des écosystèmes au cours du temps.

Coûts de construction et environnementaux

Un projet de très vaste envergure, étudié sur l’estuaire de la Severn (Royaume-Uni) jusque fin 2010, prévoyait une production de 12,9 TWh/an, soit 5% de la production électrique britannique. Il a été finalement abandonné dans un contexte de rigueur budgétaire en raison des investissements nécessaires (près de 24 milliards d’euros). Le Royaume-Uni a toutefois annoncé un nouveau projet en mars 2015.

Les impacts environnementaux potentiels, en particulier une perturbation de l’écosystème durant la phase de travaux d’une centrale, sont également pointés du doigt sur les côtes à fort marnage.

C’est la principale raison pour laquelle peu de projets ont vu le jour depuis des dizaines d’années alors qu’il s’agit d’une technologie mature. Dans le cadre d’une approche de Gestion Intégrée de la Zone Côtière (GIZC), cette technologie peut pourtant être envisagée pour certains sites appropriés au terme d’une concertation et d’une évaluation des impacts.

En Inde, un projet important consistait à isoler une baie pour l’utiliser comme bassin de stockage d’une centrale marémotrice. Or, la pollution des fleuves actuellement diluée dans l’océan se serait concentrée dans la baie, ce qui était inenvisageable. Cette question de la pollution en provenance de l’amont est un problème récurrent qui n’est pas un défaut des usines marémotrices mais du soin porté à la qualité de l’eau.

Enfin, bien que très prédictible, l’énergie marémotrice reste intermittentesubissant des arrêts dus aux étales de haute mer et de basse mer ainsi qu’aux faibles coefficients aux mortes-eaux (période où le coefficient de marée est inférieur à 70).

Le lagon artificiel, futur de l'énergie marémotrice ?

Dans le futur, l’énergie marémotrice devrait toutefois rester inféodée aux quelques sites côtiers qui présenteront des caractéristiques techniques favorables tout en satisfaisant aux problématiques environnementales et d’acceptabilité sociale.

Afin de s’affranchir de ces contingences littorales, il pourrait se développer à moyen terme des systèmes en haute mer qui permettraient de reconstituer un « réservoir marémoteur » plus loin des côtes (lagons artificiels), à condition que le coût de transfert de l’énergie vers les consommateurs à terre reste acceptable.

Un concept de lagons artificiels plus au large est en effet à l’étude afin d’éviter les inconvénients liés aux grandes infrastructures sur le littoral. De tels dispositifs nécessiteraient toutefois des endiguements plus longs et seraient donc plus coûteux. Ils supposent en outre de faibles profondeurs d’eau, donc des zones déjà fortement convoitées pour d’autres usages.

La France présente entre autres « un important potentiel de développement de lagons marémoteurs dans les deux régions dotées de fortes amplitudes de marées (marnage moyen supérieur à 6 mètres) et des eaux peu profondes, à savoir la côte ouest du Cotentin en Normandie et la Côte d’Albâtre et la Côte d’Opale dans les Hauts-de-France. Des études menées par la société britannique Tidal Lagoon Power ont identifié une capacité potentielle d’environ 15 GW sur ces deux façades représentant une production annuelle de 25 TWh, soit 5% de la consommation d’électricité dans l’hexagone », indiquent Paul Leslie et Pierre Sallenave dans une tribune publiée en octobre 2024.

Dans une question écrite publiée le 19 décembre 2024, le sénateur Jean-Pierre Corbisez, membre de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, souligne notamment qu' « au-delà des objectifs inscrits dans la PPE qui sont à revoir, il convient d'adapter et de sécuriser les outils législatifs, réglementaires et financiers susceptibles d'accompagner de façon efficace et durable les projets de lagons marémoteurs »(7).

Aucun lagon artificiel n’a été réalisé à ce jour pour installer une centrale marémotrice.

©Tidal Lagoon Power

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