Géologue à IFP Energies nouvelles
Les hydrocarbures représentent 56,3% de la consommation d’énergie primaire dans le monde. Le pétrole (32,6%) est de plus en plus indissociable du gaz (23,7%) qui est appelé à largement se développer dans les décennies à venir. La frontière entre ces 2 types d’hydrocarbures a priori très différents est souvent floue et ambiguë, rendant délicate l’interprétation des chiffres publiés.
La nature a horreur des classifications…
Depuis maintenant des décennies, la formation des hydrocarbures dans les séries sédimentaires est bien comprise. Il n’existe toutefois pas, d’un point de vue géologique, de limite nette entre la formation des hydrocarbures liquides (à une profondeur d’enfouissement de l’ordre de 2 à 4 kilomètres) et des hydrocarbures gazeux (à des profondeurs plus importantes pour la plupart d’entre eux). Ainsi les notions même de « gisements de pétrole » ou de « gisements des gaz » sont souvent des simplifications d’une réalité géologique complexe.
Il n’en reste pas moins que si la nature a horreur des classifications, elle est déterministe et l’on devrait pouvoir connaître précisément la nature et le volume des hydrocarbures dans un gisement avec une incertitude dépendant uniquement de l’état des connaissances sur le champ considéré. Quant aux produits exploités, leurs compositions et leurs volumes ne devraient pas être sujet à discussions et interprétations mais résulter d’une simple constatation.
Une distinction entre hydrocarbures liquides et gazeux finalement très compliquée
Historiquement, l’exploitation des hydrocarbures a commencé par celle du pétrole (étymologiquement « l’huile de pierre ») au sens large du terme. Dans les classifications des hydrocarbures, on a alors distingué cette phase liquide facilement valorisable de la phase gazeuse plus difficilement exploitable et commercialisable.
Cette distinction apparemment évidente, basée non pas sur la composition chimique des hydrocarbures mais sur la nature de leur phase, est toutefois compliquée dans le cas de fluides complexes comme les hydrocarbures. La nature de la phase d’un fluide dépend en effet directement de sa composition mais aussi de la pression et de la température que l’on considère.
La figure ci-dessous illustre cette complexité, entre les hydrocarbures en « conditions de fonds » (tels qu’ils se trouvent dans les gisements) et les hydrocarbures que l’on produit en tête de puits aux conditions de surface qui se rapprochent des conditions « standards » (pression d’une atmosphère et température de 15°C).
Parts des phases liquides et gazeuses des hydrocarbures en conditions de fond et de surface
Ainsi, un gisement de « pétrole » en profondeur soumis à une pression de 300 atmosphères et une température de 110°C va pouvoir relâcher des hydrocarbures gazeux en surface alors que ces mêmes composés étaient dissous dans la phase liquide en profondeur : on parlera alors de « gaz associés ». Un gisement de gaz en profondeur va quant à lui pouvoir fournir en surface des hydrocarbures liquides qualifiés de « condensats ». Ces transformations sont d’autant plus complexes que l’apparition en surface (ou lors de la remontée vers la surface) d’une nouvelle phase va modifier l’équilibre du fluide, entraînant des modifications physiques (augmentation de la densité et de la viscosité) ou chimiques pouvant être responsables de la précipitation de composés lourds comme les résines ou les asphaltènes.
Cette complexité entre les conditions de fond et de surface explique en partie les incertitudes sur les ressources en place (estimation de la part de gaz dans le pétrole ou de la part de liquide dans le gaz une fois ramenés en surface). Les données de production, qui se réfèrent aux conditions de surface, ne devraient en revanche pas être affectées par ces incertitudes.
Une terminologie particulièrement complexe et souvent ambigüe
Les hydrocarbures sont des composés de carbone et d’hydrogène dont la formulation générique est simple : CnH(2n+2). Ainsi, pour un seul atome de carbone, on a 4 atomes d’hydrogène dans le cas du méthane, pour 2 atomes de carbone, on a 6 atomes d’hydrogène dans le cas de l'éthane, etc.
Les différentes terminologies utilisées dans les cadres des hydrocarbures « légers » (non exhaustif)
Si l’on se référait à la simple composition chimique du fluide produit en surface, les choses seraient relativement simples : on parlerait de gaz pour tous les composés qui sont sous forme gazeuse dans les conditions standards (c’est-à-dire le méthane, l’éthane, le propane et le butane) et de « pétrole » pour les autres composés qui sont sous forme liquides en surface. Mais de nombreux termes plus ou moins bien définis viennent compliquer ce schéma :
- la définition du « pétrole » la plus couramment admise est celle du « crude oil » des terminologies anglo-saxonnes et américaines. Elle désigne les hydrocarbures qui contiennent des chaînes contenant plus de 15 atomes de carbone (C15+), qui sont sous forme liquide quelles que soient les conditions de pression et de température (conditions de fonds ou de surface) ;
- pour la fraction comprise entre le C5 et le C14 les terminologies se complexifient. Les composés sont bien définis mais la terminologie utilisée dépend souvent de la branche industrielle qui l’utilise : les hydrocarbures « légers » seront classifiés différemment par un producteur de gaz, un producteur de pétrole ou un raffineur. La fraction C5-C14 est ainsi considéré comme des condensats (un sous-produit de la production de gaz) par un producteur gazier et comme du pétrole ultraléger par un producteur de pétrole. Les « condensats » sont eux même subdivisés en sous-catégories (on parle le plus souvent de condensats de gaz naturel pour la fraction la plus légère) dont l’usage varie souvent d’un pays à un autre. Cela explique en grande partie l’absence de chiffres fiables à l’échelle mondiale pour cette partie des hydrocarbures liquides qui représente une production de 8 à 10 millions de barils/j (Mb/j), soit 10% de l’ensemble de la production mondiale.
- la fraction gazeuse est elle aussi subdivisée en plusieurs catégories dont il est souvent difficile de donner une définition précise et admise par tous. La notion de « gaz sec » (« dry gas ») est par exemple différente suivant les industries et les usages : tous admettent que le gaz sec est principalement composé de méthane mais aucune proportion n’est fixée pour les autres gaz le composant. La notion de gaz sec peut également désigner un gaz qui a été traité pour enlever la phase liquide exprimée lors de la production. On parle aussi de « gaz pauvre » (« lean gas ») pour un gaz contenant du méthane et de l’éthane et d’un « gaz riche » quand il contient une proportion importante de composés plus lourds.
L’utilisation des abréviations de termes français ou anglo-saxons peut aussi être source de confusions.
Il existe par conséquent une ambiguïté dans les chiffres de production du pétrole et du gaz. Lors de la production de pétrole, on a souvent aussi une production de gaz associé. Si ce dernier est produit en quantité suffisante et si les infrastructures de transport existent, il peut être commercialisé. Mais il peut également être réinjecté dans le gisement pour maintenir la pression (de l’ordre de 10% de la production mondiale) et donc le niveau de production, ou être torché (« flaring », de l’ordre de 2,9% de la production mondiale) ou encore être, plus rarement, relâché directement dans l’atmosphère (« venting »). Enfin, ce gaz peut être utilisé pour fournir l’énergie nécessaire aux installations de production et de traitement. Il est en définitive souvent difficile de savoir de quelle production on parle entre celle en tête de puits et celle commercialisée. Les données de CEDIGAZ publiées en 2014 pour l’année 2013 indiquent une production mondiale de gaz naturel de 4 241 milliards de m3 mais une production commercialisée de 3 394 milliards de m3.
Il existe enfin une confusion dans la dénomination des produits finaux dont la phase liquide n’est utilisée que pour obtenir une meilleure efficacité de transport et de stockage jusqu’au consommateur : les GPL (gaz de pétrole liquéfié) qui sont constitués de butane et de propane n’ont pas grand-chose à voir avec le pétrole. L’utilisation des abréviations de termes français ou anglo-saxons peut aussi être source de confusions. Ainsi, le gaz naturel liquéfié (méthane) ou GNL en français est qualifié de LNG en anglais qu’il ne faut pas confondre avec les liquides de gaz naturel (LGN en français) dont l’abréviation anglaise est NGL...
Suivant les publications, les définitions utilisées pour des termes apparemment semblables ne sont parfois pas identiques.
Des chiffres publiés difficiles à interpréter
Les données publiées concernant la production de pétrole et plus généralement d’hydrocarbures ne manquent pas. Ce qui peut paraître surprenant, ce sont les variations d’une estimation à l’autre au sujet de ce qui devrait être une simple constatation. Cela est dû au fait que, suivant les publications, le public visé n’est pas le même, le périmètre de l’étude n’est pas comparable et parfois les définitions utilisées pour des termes apparemment semblables ne sont pas identiques.
Par exemple, pour l’EIA américaine (U.S. Energy Information Administration), la production mondiale d’hydrocarbures liquides intègre toutes les productions aboutissant à la production d’hydrocarbures liquides :
- les « crude oils » et les condensats (de l’ordre de 76,5 Mb/j à fin 2014). Cela correspond plus ou moins à la fraction liquide directement issue de gisements de pétrole ;
- les NGPL (Natural Gas Plant Liquids) qui sont toutes les fractions liquides que l’on peut extraire à partir d’un gisement de gaz naturel aux conditions standards à l’issue de procédés plus ou moins complexes. Dans cette catégorie, l’EIA inclut l’éthane, le propane, le butane et les pentanes plus. La production des NGPL cumulée à celle de la catégorie précédente aboutit à une valeur de l’ordre de 86,4 Mb/j. Le gaz est alors quant à lui quasiment réduit au méthane ou au mieux aux gaz pauvres (« lean gas ») ;
- enfin (et c’est spécifique à l’EIA), toutes les sources d’hydrocarbures liquides autres que celles directement issus d’une production de champs pétroliers ou gaziers. Ce sont les productions de type Gas-To-Liquids (GTL) ou Coal-To-Liquid (CTL) mais aussi les agro-carburants ainsi que les gains de raffinage. Les raffineries, grâce notamment à l’hydrocraquage (ajout d’hydrogène) produisent en effet des liquides globalement un peu moins denses que le brut qui entre dans la raffinerie. Il y a donc un gain de volume qui peut être considéré comme un gain de production. En tenant compte de tous ces ajouts, la valeur totale obtenue est de l’ordre de 91 Mb/j.
Dans l’optique du producteur de pétrole et de gaz BP, les données prises en compte pour la production d’hydrocarbures liquides correspond à peu près à la somme des 2 premières catégories de l’EIA. C’est cette valeur (intégrant le « crude oil » et les condensats) qui représente au mieux la réalité géologique du pétrole (88,7 Mb/j en 2014). Si les productions publiées par les différents organismes sont en général très comparables (à périmètre constant), des règlementations nationales ou internationales peuvent compliquer les choses. Ainsi les quotas de production au sein des pays de l’OPEP ne prennent en compte que la part des « crude oil » dans leur production totale.
Une clarification dans la jungle des terminologies utilisées basée sur la nature des produits pétroliers serait une avancée majeure permettant d’avoir une meilleure vision de la production mondiale d’hydrocarbures.
Chaque estimation a donc sa propre logique, son propre but et pour bien comprendre et analyser ces chiffres, il est indispensable de revenir au périmètre de l’étude, aux méthodes de calcul et aux définitions utilisées autant que faire se peut. Historiquement, la production de « crude oil » a été la première et longtemps la principale production d’hydrocarbures. Depuis quelques décennies et le développement du gaz naturel comme source d’énergie mais aussi de produits valorisables par la pétrochimie, la nature de la production d’hydrocarbures a évolué. La production de gaz naturel s’accompagne souvent d’une phase liquide (les condensats) qui occupent une place maintenant importante dans la production de « pétrole » au sens large.
Une clarification dans la jungle des terminologies utilisées basée sur la nature des produits pétroliers serait une avancée majeure permettant d’avoir une meilleure vision de la production mondiale d’hydrocarbures. Il faudrait une volonté forte de tous les acteurs pour changer les mauvaises habitudes que l’on retrouve dans la définition peu claire entre « pétrole » et « gaz ». Une solution consisterait à ne prendre en compte la phase des hydrocarbures qu’à des conditions standards ; on parlerait alors d’hydrocarbures gazeux pour la fraction C1-C4 et d’hydrocarbures liquides pour les fractions plus lourdes.