Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
Le prix du quota de CO2 a reculé de 22% au cours du premier trimestre 2024 et d’un tiers depuis l’été 2023. Cela a remis sur le tapis, la question de la prévisibilité de ce prix à moyen terme. C’est effectivement l’anticipation de ce prix qui guide les décisions d’investissement permettant de décarboner les secteurs industriels et énergétiques couverts par le système.
Une avance sur l'objectif européen de baisse des émissions
La quantité de quotas de CO2 offerte sur le marché, via les enchères ou les allocations gratuites, est déterminée par la Commission européenne. Elle est connue à l’avance et fixée en fonction de l’objectif d’une réduction de 62% des émissions européennes d'ici à 2030 relativement à 2005(1). Elle n’a pas été modifiée sur la période récente. C’est donc du côté de la demande de quotas qu’il faut chercher des explications à la baisse du prix.
La demande finale de quotas est déterminée par les besoins des installations couvertes par le système d’échange qui doivent chaque année restituer autant de quotas qu’elles ont émis de CO2. Or la Commission vient de publier les informations sur les quantités émises (dénommées en langage administratif « émissions vérifiées ») en 2023(2).
Ces émissions sont en recul de 15,5 % en 2023, soit de 47% depuis 2005. Autrement dit les installations sous quotas ont pris de l’avance sur la trajectoire visant - 62% en 2030.
Les baisses d'émissions par secteur en 2023
La décomposition par secteur explique les dynamiques à l’œuvre :
Le secteur de la production électrique et de chaleur a réduit ses émissions de 24%. Cela a reflété un recul massif de l’utilisation de charbon et de gaz pour produire de l’électricité, dans un contexte de développement des sources renouvelables, de modération de la demande d’électricité et de redémarrage des réacteurs nucléaires à l’arrêt en France ;
Dans les industries lourdes fortement émettrices, la baisse de 7% des émissions reflète principalement l’affaiblissement de la production dans les secteurs comme l’acier, le ciment, la chimie de base. Les programmes d’investissement destinés à décarboner l’industrie sont en effet trop récents pour permettre de substituer à grande échelle de l’énergie décarboné à de l’énergie fossile comme pour la production électrique.
Quelles perspectives ?
Dans la majorité des cas, le coût d’abattement du CO2 est plus élevé dans l’industrie que dans la production électrique ou de chaleur. Il y a donc un risque, formulé par les ONG, que la baisse récente du prix du quota freine la décarbonation des secteurs industriels sous quotas.
Ce risque est réel et pourrait être éliminé si la réserve de stabilité mise en place en 2019 retirait des quotas en circulation sitôt que le prix atteint un seuil plancher, plutôt que de se référer à un indicateur quantitatif.
Pour autant, projeter la poursuite de la baisse du prix du quota à moyen terme n’est sans doute pas la bonne anticipation. L’offre de quotas va en effet connaître une baisse accélérée d’ici 2030 du fait des nouvelles règles de fonctionnement du marché adoptées en 2023 par le Conseil et le Parlement européen.
Les allocations gratuites, subventions cachées aux énergies fossiles
Par ailleurs, le renforcement du signal prix dans l’industrie sera bien plus conditionné par un autre volet de la réforme du système d’échange des quotas : l’élimination graduelle des allocations gratuites et la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone à la frontière.
Les allocations gratuites constituent en effet autant de subventions cachées aux énergies fossiles. Le passage aux allocations payantes renforcera le signal prix et incitera donc aux investissements pour affranchir l’industrie lourde de sa dépendance aux énergies fossiles.
Mais la généralisation du système d’enchères, adoptée dans les textes, doit encore être mis en œuvre sur le terrain. Ce sera l’une des tâches majeures à réaliser durant la prochaine législature, après les élections européennes de juin prochain.
Sources / Notes
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