Jean-Louis Bal préside le Syndicat des énergies renouvelables depuis mars 2011. (©Jean CHISCANO-SER)
Dans le cadre de la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), un débat public est organisé jusqu’au 30 juin 2018 sous l’égide de la CNDP (Commission nationale du débat public). L’un des temps importants de ce débat a lieu samedi 9 juin, avec la réunion à Paris d’un panel de 400 citoyens, baptisé « G 400 », invité à se prononcer sur les discussions en cours.
Connaissance des Énergies consacre une semaine de publications à la révision de la PPE, en interrogeant quelques grands acteurs impliqués sur leurs constats et attentes. Aujourd’hui, la parole est à… Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER).
Près de trois ans après l’adoption de la loi de transition énergétique, quel bilan tirez-vous du développement des filières renouvelables ?
Les énergies renouvelables ont compté pour 16% de la consommation d’énergie finale en France en 2016(1), soit nettement moins que les tendances nécessaires à l’atteinte de nos objectifs. La cible de 23% en 2020 ne sera pas atteinte. Nous n’avons plus le temps de réagir, cette part aurait dû atteindre 17% en 2015 et avoisiner 18% en 2016. Les principales raisons de ce retard sont relativement simples.
En matière de chaleur renouvelable (biomasse, géothermie, solaire thermique, etc.), le dimensionnement du Fonds Chaleur n’est pas du tout à la hauteur des objectifs, malgré l’efficacité de ce dispositif. Le rythme est bon dans le secteur de l’habitat individuel grâce au crédit d’impôt sur la transition énergétique (CITE), qu’il est essentiel de conserver. En ce qui concerne les grandes installations, nous sommes en revanche largement en dessous de la trajectoire à adopter.
En matière d’électricité renouvelable, le développement des énergies marines constitue le gros point noir. L’objectif était de 6 000 MW d’éolien offshore en 2020 et nous serons, selon toute probabilité, à 0. Si tout va bien, les premières installations seront mises en service en 2021/2022. Cette situation est due d’une part à la lourdeur des procédures et d’autre part aux recours systématiques des associations anti-éoliennes. Un niveau de recours a été supprimé (échelon du tribunal administratif) et il n’en reste donc plus que deux : la Cour d’appel de Nantes et le Conseil d’État. Nous attendons actuellement les dernières décisions du Conseil d’État et les premiers parcs devraient être purgés de tout recours au cours des prochaines semaines. Ce n’est qu’à ce moment-là que les investisseurs pourront commencer à investir et lancer les travaux.
Les deux autres grandes filières électriques renouvelables, l’éolien terrestre et le solaire photovoltaïque, ont connu des stop and go qui justifient leur retard de développement. Ce retard est toutefois en train d’être résorbé : nous sommes proches de la bonne trajectoire pour l’éolien et nous retrouvons une bonne dynamique pour le photovoltaïque - même si le retard est plus important - grâce à la planification des appels d’offres décidée à la fin du gouvernement précédent et amplifiée par le nouveau gouvernement.
Comment le SER est-il concrètement impliqué dans la révision de la PPE et quel regard portez-vous sur le débat public ?
Le SER a constitué un cahier d’acteur général (en cours de validation) dans lequel sont regroupées nos propositions qui avaient été publiées en janvier 2018(2). Par ailleurs, chacune de nos commissions a rédigé son cahier d’acteur thématique, 6 étant déjà en ligne sur le site du débat public.
Nous avons également organisé les 25 et 26 mai des journées portes ouvertes des énergies renouvelables, avec des partenaires comme l’Ademe, le CLER, la FNCCR, AMORCE, Énergies Partagées, la Fedene : 145 sites ont accueilli du public et nous pensons renouveler cette opération au cours des prochaines années, suite aux premiers retours qualitatifs.
Malgré les faibles moyens accordés à la CNDP, le travail est plutôt bien mené, avec beaucoup d’événements organisés à un niveau décentralisé. Jacques Archimbaud mène ce débat de façon très efficace et très objective. En consultant les contributions en ligne, nous regrettons toutefois que celles-ci se focalisent beaucoup sur la seule question du nucléaire, alors que l’électricité ne compte que pour 25% de l’énergie consommée en France. Même dans le contexte de l’électrification des usages, les transports et la production de chaleur dans les bâtiments et l’industrie restent les principaux postes de consommation, le débat portant relativement peu sur ces secteurs.
Si le grand public a une appétence particulière pour le solaire et l’éolien, il faut rappeler à l’occasion de ce débat que ce ne sont pas les filières qui contribuent aujourd’hui le plus au bilan des énergies renouvelables (ndlr : le bois énergie a compté pour 42% de la production primaire d’énergie renouvelable en France en 2016). Pour beaucoup de personnes, se chauffer au bois, ce n’est pas utiliser de l’énergie renouvelable…
Quelles sont vos recommandations pour développer la production de chaleur renouvelable en France ?
Nous réclamons depuis 5 ans un doublement du Fonds Chaleur. Nous espérons obtenir une augmentation qui est actuellement en négociation pour permettre de relancer la dynamique.
Le gouvernement a pris une mesure importante en instaurant la contribution climat-énergie, dont la trajectoire était définie dans la loi de transition énergétique et qui a été amplifiée dans la dernière loi de finances. Elle doit toutefois être confirmée chaque année en lois de finances. Si la contribution climat-énergie continue bien d’augmenter, cela pourrait permettre de lisser les écarts de prix entre énergies fossiles et renouvelables et de diminuer l’enveloppe du Fonds Chaleur à partir de 2021/2022, à condition que celle-ci soit d’abord augmentée dans les prochaines années.
Rappelons que les grandes installations ne sont pas soumises à la contribution climat-énergie mais au système ETS européen (d’échange de quotas de CO2). Le gouvernement pourrait mener une action au niveau européen, ou au moins au niveau franco-allemand, pour obtenir un prix plancher du carbone.
Vous avez signalé le retard des filières éolienne et solaire photovoltaïque par rapport aux objectifs de la première PPE. Quelles sont vos recommandations dans le cadre de la nouvelle feuille de route ?
Les difficultés de l’éolien terrestre sont principalement liées à l’encadrement réglementaire et aux recours systématiques. Pour rappel, il faut en moyenne 8 ou 9 ans pour réaliser un parc en France, contre 3 ou 4 ans en Allemagne. Le développement de l’éolien terrestre peut s’accélérer avec des mesures de simplification et de suppression de contraintes qu’on s’auto-impose, notamment le balisage clignotant sur les éoliennes. Dans les régions avec une forte concentration d’éoliennes, ce balisage clignotant constitue une vraie nuisance alors qu’il n’est pas absolument pas nécessaire. Il pourrait être remplacé par un balisage fixe nettement moins pénalisant.
Le rythme de développement du solaire photovoltaïque peut également être largement accéléré, notamment grâce à l’augmentation des volumes d’appels d’offres déjà décidé par Nicolas Hulot, une très bonne mesure qui est en train de porter ses premiers fruits. Il existe par ailleurs un grand potentiel de développement de l’autoconsommation, en particulier collective, qui en est aujourd’hui à ses débuts. Il conviendrait que celle-ci ne soit pas confrontée à un cadre économique et réglementaire trop pénalisant. Il faut attendre et voir les premiers développements et impacts sur le réseau électrique avant d’imposer tel tarif d’utilisation de ce réseau ou telle soumission à la CSPE.
La remise en cause des premiers appels d’offres sur l’éolien offshore vous semble-t-elle justifiée, compte tenu des fortes baisses de coûts des dernières années ?
C’est la nouvelle incertitude sur l’éolien offshore. Il faut bien reconnaître que la technologie a évolué depuis l’attribution des parcs aux différents lauréats. Nous avions déjà encouragé des négociations entre la DGEC (Direction générale de l’énergie et du climat(3)) et les opérateurs qui s’étaient finalisées en décembre 2017, avec un accord sur le partage de la surrémunération des parcs. Cet accord a semblé insuffisant, notamment à Matignon et Bercy. Nous avons craint que les appels d’offres soient carrément annulés et nous avons beaucoup plaidé pour une reprise des négociations. Celles-ci sont actuellement en cours, c’est une affaire entre les opérateurs et l’État.
Nous attirons toutefois l’attention de l’État sur les enjeux industriels derrière l’attribution et la réalisation de ces parcs. Pour les seuls 6 parcs sélectionnés lors des deux premiers appels d’offres, nous chiffrons l’enjeu à 15 000 emplois dans l’industrie, à la fois chez les turbiniers (General Electric d’un côté, Siemens/Gamesa de l’autre) mais aussi chez les sous-traitants comme STX, Louis Dreyfus Armateurs et toute une myriade de PME.
Les collectivités ont déjà investi plus de 600 millions d’euros, notamment dans l’aménagement des ports. Il serait catastrophique que ces investissements soient rendus inutiles. Nous espérons avoir une confirmation de la réalisation de ces 3 000 MW avant l’été ou au début de l’été, et dans la foulée, le lancement de nouveaux appels d’offres.
L’hydroélectricité reste de loin la principale source d’électricité d’origine renouvelable en France. Le SER est-il impliqué dans le dossier du renouvellement des concessions ?
L'hydroélectricité est, non seulement la principale contributrice, mais aussi la clef de voûte de la flexibilité du système électrique.
Nous ne nous mêlons pas des négociations sur le renouvellement des concessions entre l’État et les grands concessionnaires mais il faut trancher. Les concessionnaires ne sont pas poussés aujourd’hui à investir dans la modernisation de leurs concessions puisqu’ils ne savent pas ce que sera leur futur. Or, il y a certainement à optimiser le parc par une série d’investissements.
L’énergie nucléaire a compté pour 71,6% de la production électrique française en 2017. L’objectif de ramener cette part à 50% en 2025 a été reporté en novembre 2017…
La décision en novembre 2017 de reporter l’objectif de 50% de nucléaire en 2025, attribuée un peu à tort à Nicolas Hulot, est venue confirmer ce que tout le monde savait : cet objectif n’était pas atteignable, sauf à installer des nouveaux moyens thermiques fossiles et donc à augmenter les émissions de gaz à effet de serre du système électrique. La date à laquelle fixer l’atteinte du 50% de nucléaire est bien un des enjeux forts de cette nouvelle PPE. C’est en fonction du développement des filières renouvelables qu’il faudra décider du rythme de diminution du parc nucléaire, de façon à disposer d’un système électrique réduisant sa part de nucléaire sans augmenter ses émissions de gaz à effet de serre.
Dans la précédente PPE, on avait très peu parlé de nucléaire, si ce n’est pour confirmer la mise en œuvre de Flamanville et conjointement l’arrêt de Fessenheim, mais il n’avait pas été question d’autres centrales qui auraient pu être arrêtées. Dans le cadre de cette PPE-ci, on ne pourra pas faire l’impasse. Même avec des objectifs ambitieux de développement des véhicules électriques et des pompes à chaleur dans l’habitat et le tertiaire, il est impossible de faire coexister maîtrise des consommations électriques, développement des renouvelables et maintien du parc nucléaire tel qu’il est. Dans ces 3 objectifs, il y en a un de trop et il faudra faire des choix. C’est l’un des grands enjeux de la PPE cette année.
Un des objectifs peu connus de la loi de transition énergétique est de porter à 10% la part de gaz renouvelable consommé en France en 2030. Quel regard portez-vous sur le développement de la méthanisation ?
La méthanisation suscite un intérêt croissant des agriculteurs qui disposent de revenus complémentaires grâce à ces installations. Le cadre économique mis en place est de bon niveau et il faut surtout le stabiliser, avec une notification à la Commission européenne au sujet de l’injection de gaz dans le réseau. Des efforts doivent être menés en matière de simplification, notamment pour valoriser le digestat. Cela fait partie des conclusions du groupe de travail « méthanisation » de Sébastien Lecornu qui doivent maintenant être mises en œuvre.
Il reste des problèmes d’acceptabilité par le voisinage comme dans l’éolien et des questions qu’il est logique de se poser. Une concertation très en amont des projets est absolument nécessaire pour répondre aux objections : la sécurité autour du gaz (qui n’est pas spécifique au biométhane) est aujourd’hui maîtrisée, comme peuvent l’être les odeurs des intrants, un grand méthaniseur n’est approvisionné que par quelques camions par jour...
L’Ademe a réalisé plusieurs études sur sa vision 100% renouvelables, pour l’électricité et le gaz. Cela mériterait un débat. Dans les transports, va-t-on notamment privilégier le tout électrique ou encourager fortement le développement des véhicules à biogaz ? Ce sont des questions qui ne sont pas posées aujourd’hui.
Avez-vous identifié des bonnes pratiques d’autres pays dont la France pourrait s’inspirer dans les révisions de ses PPE ?
Nous regardons beaucoup les bonnes pratiques mais aussi les mauvaises pratiques à l’étranger.
Dans l’éolien offshore, il faut a minima 6 ou 7 ans pour mener à bien un projet en France, période durant laquelle la technologie évolue. Il faut pouvoir profiter des dernières avancées au moment de la décision de réalisation, sans repasser par des autorisations. Nous souhaitons à ce titre développer en France le concept du « permis enveloppe » qui fonctionne bien à l’étranger, comme nous l’avons observé aux Pays-Bas, au Danemark et en Allemagne avec des législations différentes. Nous y travaillons actuellement avec la DGEC.
Nous sommes en revanche très opposés aux appels d’offres à neutralité technologique qui constituent l’une des recommandations de la DG Concurrence de la Commission européenne. Les résultats d’appels d’offres en Espagne et en Allemagne ont été très surprenants, attribuant toutes les capacités à l’éolien terrestre en Espagne, pays très ensoleillé, et au solaire photovoltaïque en Allemagne. Du point de vue de la programmation, avoir des appels d’offres soumis à autant d’aléas va complexifier les questions d’équilibres régionaux et saisonniers du système électrique.
La France dispose aussi de bonnes pratiques dont les autres pays européens pourraient s’inspirer, comme le Fonds Chaleur. C’est une des grandes réussites françaises qui mériterait d’être répliquée par nos collègues européens et amplifiée chez nous.