En octobre 2015, l’armée irakienne a repris le contrôle de la raffinerie de Baïji (plus importante raffinerie d’Irak) après plusieurs mois de combats avec l’Etat Islamique. (©photo)
Ces derniers jours, des frappes aériennes dans l’est de la Syrie ont ciblé des centaines de camions-citernes transportant du pétrole afin d’affaiblir l’Etat Islamique (EI). L’importance des ressources pétrolières de Daech a été rappelée à cette occasion mais elle tend à diminuer. Explications.
Quelles sont les réserves de pétrole contrôlées par l’EI ?
Le territoire contrôlé par le groupe État Islamique en Syrie et en Irak s’étend sur une surface aussi large que celle du Royaume-Uni. Pour rappel, l’Irak possède les 5e réserves prouvées de pétrole au monde (150 milliards de barils à fin 2014(1)) mais l’EI n’en contrôle qu’une faible partie, de l’ordre de « 7 milliards de barils de réserves » selon Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme (CAT).
Les réserves de la Syrie sont beaucoup plus limitées (2,5 milliards de barils de pétrole à fin 2014, soit moins que les réserves du Royaume-Uni) mais l’EI en contrôle en revanche la grande majorité, en particulier dans la province de Deir ez-Zor (nord-est du pays). Au total, les réserves actuellement contrôlées par l’Etat Islamique sur l’ensemble de son territoire (en Irak et en Syrie) atteindraient près de 9,3 milliards de barils de pétrole.
Quelle est la production de pétrole estimée de l’EI ?
L’Etat Islamique aurait une capacité de production d’environ 50 000 barils de pétrole brut par jour, essentiellement en Syrie, selon les dernières estimations de Francis Perrin, directeur de la rédaction du magazine « Pétrole et Gaz Arabes ». Ce dernier souligne que « ce sont de très petits volumes au regard de l’industrie pétrolière ».
A titre indicatif, la production mondiale de pétrole avoisinait 88,7 millions de barils par jour en 2014 et des petits producteurs européens comme l’Italie (121 000 barils/ jour) ou le Danemark (167 000 barils/j) produisent davantage que l’EI.
Qui consomme le pétrole de Daech ?
La production de pétrole de l’Etat Islamique serait aujourd'hui principalement destinée à la propre consommation de Daech et aux populations sous son contrôle, à hauteur de 60% à 70% du pétrole produit selon Jean-Charles Brisard. Les 30% à 40% restants sont « exportés » via des réseaux de contrebande qui existent depuis longtemps dans cette région.
Au sein de ces réseaux, le pétrole de l’Etat Islamique serait aujourd’hui « bradé » auprès de négociants à un prix de « 15 à 20 $ le baril de brut » selon Jean-Charles Brisard (contre près de 45$ le baril sur les marchés mondiaux). Ce pétrole fait principalement l’objet d’une commercialisation régionale, d'abord en Syrie et en Irak (hors du territoire de l’EI) ainsi qu’en Turquie et en Jordanie. Parmi les acheteurs se trouveraient ainsi des groupes armés combattant Daech. « Quand l’argent et le pétrole sont en jeu, l’Etat Islamique n’est pas dans la théologie mais dans le pratico-pratique : tout est bon pour avoir des dollars » souligne Francis Perrin.
En octobre dernier, le Financial Times a publié une enquête très complète sur le trajet du pétrole de l’EI(2). Il y est expliqué que des raffineurs viennent se fournir directement auprès des puits contrôlés par Daech. L’EI raffine encore du pétrole, principalement pour sa propre consommation (et celle des populations sous contrôle) à travers des raffineries mobiles très artisanales.
Quel est le poids du pétrole dans les ressources de l’EI ?
Au total, les revenus de l’Etat Islamique liés à la contrebande et aux taxes perçues sur le pétrole sont estimés à 600 millions de dollars en 2015 par le Centre d’analyse du terrorisme. Selon les dernières estimations, cela équivaudrait à 24% des ressources de l’EI en 2015 (qui s’élèveraient à 2,5 milliards de dollars selon le Centre), contre près de 38% l’an passé(3).
Francis Perrin estime pour sa part que les revenus liés au pétrole n’excèdent plus 1 million de dollars par jour, compte tenu de la baisse des cours du pétrole depuis l’été 2014 et de la dégradation des conditions d’exploitation des champs pétroliers due aux frappes aériennes et à des raisons géologiques (champs vieillissants).
L’Etat Islamique a notamment compensé sa perte de revenus liés au pétrole par les impôts prélevés sur les populations sous son contrôle. (©Connaissance des Énergies d’après données du CAT)
Les frappes aériennes sont-elles efficaces pour réduire les revenus pétroliers de l’EI ?
Jusqu’à peu, les frappes aériennes ciblaient principalement des équipements de production (tels que des pompes), des oléoducs, des centres de collecte du pétrole et les raffineries souvent artisanales. Suite aux attentats de Paris, les frappes se sont intensifiées sur les camions-citernes(4). « Les Américains, inquiets des dommages collatéraux, ne voulaient pas jusqu'ici toucher les chauffeurs. Un pas a été franchi ces derniers jours » constate Francis Perrin(5). Signalons ici que les frappes « pétrolières » portent uniquement sur la Syrie et pas sur l’Irak où les cibles des frappes sont choisies en coordination avec le gouvernement en place.
Pour de nombreux actifs pétroliers, la volonté est plus généralement « d’endommager des installations mais pas de les détruire complètement afin de penser à l’avenir » rappelle Francis Perrin. Les populations civiles doivent dans le futur pouvoir bénéficier à nouveau de ces actifs. « Est-ce qu’il ne faudrait pas aller plus loin aujourd’hui ? : c’est une question ouverte pour la coalition » selon lui.
Jean-Charles Brisard préconise pour sa part « d’aller beaucoup plus loin en imposant un embargo complet aux frontières du territoire contrôlé par l’EI, à l’instar de celui imposé dans les années 1990 contre le mouvement rebelle UNITA en Angola qui contrôlait des puits de pétrole. »
Outre les attaques portant sur les ressources pétrolières, Eric Vernier, spécialiste du blanchiment de capitaux, rappelle qu’il est également nécessaire d’agir sur les flux financiers liés au trafic du pétrole. « Il y a énormément de paiements en liquide sur place mais il y a aussi des flux qui suivent des circuits connus en matière de blanchiment d’argent et de paiements occultes » alerte-t-il. L’Etat Islamique dispose de « relais dans certains pays (l’Arabie saoudite et le Qatar sont fréquemment cités) qui leur permettent de maquiller ces transactions ». Ce problème n’est toutefois pas propre à l’Etat Islamique et il exigerait de « généraliser et durcir les contrôles bancaires », une solution qui reste assez utopique à l'heure actuelle.