Francis Perrin, président de Stratégies et Politiques Énergétiques (©photo)
Les importantes ressources pétrolières en Irak et en Syrie constituent une arme centrale pour l’Etat Islamique dont les avancées traduisent entre autres une stratégie d’appropriation de sites énergétiques stratégiques. Les bombardements de la coalition se focalisent à ce titre prioritairement sur ces sites, principalement des raffineries les semaines passées.
Nous avons interrogé sur ce sujet Francis Perrin, président de Stratégies et Politiques Energétiques (SPE)(1) et directeur de la rédaction du magazine « Pétrole et Gaz Arabes ».
1) De quelles ressources énergétiques dispose aujourd’hui l’État Islamique ?
Les actifs énergétiques que contrôle l'Etat islamique en Syrie et en Irak sont essentiellement des actifs pétroliers, des champs et des raffineries, surtout très artisanales. Cela représente probablement une capacité de production de l'ordre de 50 000 à 100 000 barils de pétrole brut par jour. Il y aurait aussi des champs gaziers mais ceux-ci ne sont pas développés et ne génèrent donc ni production, ni revenus.
Il y a la grande raffinerie de Baiji en Irak autour de laquelle les combats se poursuivent entre les forces irakiennes et l'Etat islamique (EI) et qui pourrait basculer d'un côté ou de l'autre. L’EI peut aussi obtenir du pétrole sans avoir de production, en perçant des oléoducs.
2) Comment l’EI réussit-il à exporter une partie de son pétrole et vers où ?
Il faut rester très prudent car on ne dispose pas sur le terrain de moyens de vérification indépendants. La propagande fait rage, l'EI ne publie évidemment pas de statistiques et les lignes de front sont très mobiles. Compte tenu de ces précautions fort nécessaires, notre estimation récente (avant les frappes de la coalition dirigée par les États-Unis contre des raffineries) était que des volumes de l'ordre de 30 000 b/j de produits pétroliers ou de brut pouvaient être « exportés », surtout vers des marchés régionaux.
Ces marchés seraient surtout la Turquie, le nord de l'Irak, la Syrie et le Liban. L'EI utilise des réseaux de trafic et de contrebande bien implantés au Moyen-Orient et en Turquie qui ont beaucoup d'expérience en matière de pétrole car ils ont contribué dans le passé au contournement partiel de l'embargo contre le brut irakien sous Saddam Hussein et contre le pétrole iranien. Ces réseaux disposent de flottes de camions-citernes pour le transport des produits raffinés et du brut. C'est un « commerce » risqué mais fort rentable.
Cela dit, le pétrole et les produits raffinés ne sont pas seulement importants pour l'EI en termes d'exportation. Ce groupe a d'abord besoin de carburants pour son effort de guerre. De plus, il commercialise une partie de la production qu'il contrôle auprès de la population qui vit dans ses zones d'influence en Syrie et en Irak. Le solde est exporté.
3) Les revenus de l’Etat islamique liés aux hydrocarbures sont-ils selon vous indispensables à sa survie ?
Notre ordre de grandeur pour les revenus provenant des « exportations » pétrolières de l'EI est de $1,5 million par jour dans les semaines qui ont précédé les frappes. Ce n'est qu'un ordre de grandeur. Il est impossible de connaître la part du pétrole dans le « budget » de l'EI. On ne peut que dire qu'elle est fort significative. Mais ce groupe existait bien avant que l'or noir ne vienne gonfler ses revenus. L'argent des rançons et des extorsions, les dons généreux provenant de certains pays du Golfe arabo-persique, le pillage des banques à Mossoul et le trafic d'objets d'art sont importants.
4) Quels sont aujourd’hui les objectifs énergétiques de l’Etat islamique ? Et les cibles prioritaires de la coalition ?
L'EI veut accroître les actifs pétroliers qu'il contrôle pour disposer de plus de carburants, approvisionner ses zones d'influence et générer des recettes en dollars mais cette stratégie très simple et très rationnelle est contrariée par les frappes de la coalition. L'heure n'est plus à l'expansion. Il faut tenter de protéger ces actifs avec des raffineries mobiles et, si besoin est, en arrêtant temporairement la production de certains puits pour ne pas trop s'exposer.
Pour la coalition, les raffineries constituent le maillon clé. Pour poursuivre un effort de guerre avec des véhicules blindés, des véhicules simples et des chars, il faut des carburants. Pour approvisionner des populations, il faut des produits pétroliers. On ne consomme pas directement du pétrole brut. Et, pour l'exportation, les produits raffinés sont plus faciles à placer que le brut.
Il faut donc identifier le plus précisément possible ces unités artisanales pour les détruire ou les endommager sérieusement. Le Pentagone souligne que l'objectif n'est pas forcément de tout détruire dans l'espoir que d'autres forces (l'opposition au régime syrien non liée à l'EI) puissent s'en emparer et les faire fonctionner à leur profit plus tard.