Taxis à hydrogène « Hype » à Paris. (©Air Liquide)
L’Académie des technologies émet, dans un rapport sur l'hydrogène(1), 14 recommandations afin de préciser ses différents « rôles possibles » et sa contribution dans la transition énergétique en France.
Rappels sur les nombreux usages possibles de l’hydrogène
La France « produit et utilise actuellement près de 922 000 tonnes d’hydrogène par an », rappelle l’Académie des technologies (la production mondiale annuelle avoisine 70 millions de tonnes). Le vaporeformage d’hydrocarbures, « un procédé mature mais fortement émetteur de CO2 », est aujourd’hui à l’origine de la quasi-totalité de cette production. Lors de la présentation du plan de relance, puis de la nouvelle stratégie hydrogène française en septembre 2020, la production d’hydrogène « vert » (par électrolyse avec de l'électricité provenant de filières décarbonées) a été affirmée comme une priorité.
Cet hydrogène décarboné aurait un rôle prioritaire à jouer dans deux secteurs, souligne l’Académie des technologies : comme « matière première » pour l’industrie et comme « énergie » dans les transports. En ce qui concerne les applications énergétiques de l'hydrogène, de nombreux usages possibles sont évoqués et pourraient entrer en concurrence(2) « compte tenu du potentiel limité de production de l’hydrogène décarboné en France » (si celle-ci repose uniquement sur l'électrolyse avec de l'électricité d'origine renouvelable) : injection dans les réseaux de gaz naturel (jusqu'à un taux de 20%), transformation en méthane (méthanation) ou en carburants liquides, piles à combustible stationnaires (alimentation d’écoquartiers ou de bâtiments) ou embarquées dans des véhicules, vecteur de stockage des productions électriques intermittentes (Power-to-Gas), etc.
Des priorités à identifier en fonction de la tonne de CO2 évitée
L’Académie des technologies appelle entre autres à « privilégier et promouvoir les applications de l’hydrogène en considérant le coût de la tonne de carbone évitée pour la transition énergétique ». Pour les usages industriels, la production décentralisée de l’hydrogène par électrolyse présente à cet égard un « bilan positif » et est identifiée comme une priorité par l’Académie. Celle-ci souligne notamment que l’industrie chimique paye d’ores et déjà pour l’hydrogène « un prix élevé faute de réelle concurrence entre fournisseurs et du coût élevé du conditionnement et du transport »(3).
Dans les transports, l'Académie des technologies confirme l'intérêt d’une distribution d’hydrogène, avec une priorité donnée « au transport lourd (camions, bus et cars, ferroviaire, transport fluvial et maritime) et aux flottes locales urbaines et périurbaines »(4). Malgré un coût élevé de la tonne de CO2 évitée, l’Académie recommande également d’encourager l’injection d’hydrogène dans les réseaux gaziers « pour soutenir la demande et bénéficier ainsi d’économies d’échelle dans la production ».
En revanche, « le stockage massif d’hydrogène pour produire de l’électricité dans la logique Power-to-Gas-to-Power n’a pas de modèle économique convaincant d’ici 2050 », estime l’Académie des technologies. L’utilisation massive d’hydrogène comme moyen de stockage de la production électrique intermittente (éolien et solaire) « se heurte à des obstacles rédhibitoires tenant aux volumes considérables des stockages d’hydrogène requis et au faible facteur de charge des électrolyseurs et piles à combustible de la chaîne conversion-stockage-conversion qui obère considérablement les coûts ».
Une électrolyse s’appuyant sur la production nucléaire
L’Académie des technologies calcule que, pour décarboner « une part significative » de la consommation finale d’énergie en France, la production d’hydrogène par électrolyse pourrait mobiliser annuellement « plus de 275 TWh d’électricité » à l'horizon 2050(5), autrement dit plus de la moitié de la production annuelle d’électricité en France à l'heure actuelle. Or, de nombreux observateurs misent sur la production variable des filières renouvelables intermittentes pour fournir l’électricité nécessaire à l’électrolyse.
Le rapport de l’Académie juge sur ce point « plus réaliste » d’utiliser pour l’électrolyse, outre l’électricité issue des filières intermittentes (« excédentaire » sur le réseau), la production nucléaire pour « assurer un facteur de charge élevé des électrolyseurs ». Pour rappel, le nucléaire a compté pour 70,6% de la production électrique en France métropolitaine en 2019.
L’Académie recommande également de produire de l’hydrogène par vaporeformage d’hydrocarbures lorsque ce procédé est associé à des systèmes de capture et stockage du CO2 (l’hydrogène est dans ce cas couramment qualifié de « bleu »), « à développer quand les conditions économiques sont réunies d’autant que la France dispose d’acteurs d’envergure internationale »(6).
Des investissements considérables à venir dans la chaîne hydrogène
La chaîne de l'hydrogène ne se limite pas à sa production par électrolyse, souligne l'Académie des technologies qui développe dans son rapport les enjeux liés au stockage, au transport, à la distribution ainsi qu'à la consommation de l'hydrogène.
L'Académie souligne entre autres que le développement de la filière hydrogène « nécessitera la création d’infrastructures considérables pour sa production, sa distribution aux véhicules, sa transformation en méthane ou carburants liquides de synthèse ou, après stockage, en électricité, etc. » Seul l’État pourra « prendre le risque » des investissements associés.
Précisons que le rapport de l'Académie des technologies a été finalisé au cours de l'été 2020, en amont des annonces gouvernementales sur l'hydrogène. L'ensemble des recommandations de l'Académie peuvent être retrouvées ici.