- Source : Ifri
La Russie « voit dans l’Arctique l’un de ses principaux bastions stratégiques, une région clé pour affirmer son statut de grande puissance ainsi qu’un gisement énergétique majeur pour les décennies à venir », constate Marlène Laruelle, professeure à l’université George Washington (Washington D.C.) et directrice de l’Institut pour les études européennes, russes et eurasiennes (IERES).
Dans l’étude ci-après publiée par le Centre Russie/NEI de l’Ifri, elle décrit la politique russe de « reconquête de l’Arctique » : exploitation des ressources énergétiques dans la péninsule de Yamal, remilitarisation aux frontières de l’Arctique, etc. Cette « vision utilitariste de la région, perçue comme une ressource à exploiter » a été clairement exprimée par Moscou dès 2008 et a depuis peu évolué. Elle « implique un investissement humain et financier que le gouvernement, dans les conditions sociales et budgétaires actuelles, ne peut entièrement assumer »(1).
Sur le plan énergétique, « la Russie est en train de réussir son pari » selon Marlène Laruelle, à savoir « transformer l’Arctique en l’une de ses principales régions d’extraction » à l’image du projet de gaz naturel liquéfié (GNL) dans la péninsule de Yamal qui fonctionne désormais à pleine capacité (production annuelle de 16 millions de tonnes de GNL). Un second projet GNL de très grande envergure, dit « Artic LNG2 », est en développement dans la péninsule voisine de Gydan et un troisième est « en train de prendre forme » (Ob LNG(2)).
Marlène Laruelle souligne que c’est Novatek qui constitue « la figure de proue de ces 3 projets arctiques » (et non les géants Gazprom ou Rosneft). Cette société privée devrait disposer d’une quinzaine de méthaniers brise-glace d’ici à 2021 qui lui permettront de pouvoir exporter de façon autonome son gaz sous forme liquéfié (vers l’ouest en direction de Mourmansk les mois d’hiver et vers l’est en direction du Kamchatka les mois d’été(3)).
Sur le plan sécuritaire, les tensions entre la Russie et les pays occidentaux – bien que « de basse intensité […] à la différence des régions de la Baltique et de la mer Noire » – sont de plus en plus sensibles dans la région. Il est rappelé que la Russie prendra en 2021 la présidence du Conseil de l’Arctique pour une période de 2 ans(4).
Sources / Notes
- Cette stratégie coûteuse est toutefois « freinée par des obstacles propres au système politique et économique russe, ainsi qu’aux réalités, entre autres climatiques et d’isolement » : contraintes » environnementales à l’image des feux sibériens à l’été 2019, gestion des risques industriels, difficultés autour de la Route maritime du Nord, partenariat sino-russe « plus mitigé qu’il n’y paraît », etc.
- Ce projet a pour particularité d’être « entièrement construit avec des technologies russes » en raison des sanctions visant la Russie.
- En hiver, les conditions climatiques de l’Arctique orientale sont trop rudes pour y circuler.
- Durant cette période, Moscou souhaite entre autres « tenter d’éviter une aggravation de la situation sécuritaire dans la région arctique tout en continuant à renforcer sa propre présence militaire et paramilitaire ». La remilitarisation des côtes arctiques de la Russie, relancée en 2007, a notamment progressé avec la réouverture en 2014 de 14 bases aériennes (jusqu’ici pour la plupart hors d’usage depuis la chute de l’URSS).