Enrichissement par diffusion gazeuse. Maintenance dans une allée de diffuseurs de l'usine Georges Besse, arrêtée en juin 2012. (©Orano)
Définition et intérêt
Pourquoi faut-il enrichir l’uranium ?
Pour alimenter des réacteurs nucléaire comme les REP constituant le parc nucléaire français, il faut disposer d’un combustible dont la proportion d’uranium 235 se situe entre 3% et 5%. Seul cet isotope (élément dont les atomes possèdent le même nombre d’électrons et de protons, mais un nombre différent de neutrons) peut subir la fission nucléaire libératrice d'énergie.
Or, dans 100 kg d’uranium naturel, il y a 99,3 kg d’uranium 238 et 0,7 kg d’uranium 235 fissile, soit 0,7% seulement d’uranium 235 fissile.
L’opération consistant à augmenter la proportion d’uranium 235 est appelée « enrichissement ».
Les étapes précédant l'enrichissement
L’uranium est un métal relativement répandu. Dans la croûte terrestre, il est 50 fois plus abondant que le mercure et 1 000 fois plus abondant que l’or. À l’instar de la plupart des métaux, l’uranium ne se trouve pas dans la nature sous sa forme pure.
Il se combine dans les roches à d’autres éléments chimiques pour former principalement deux minerais uranifères (qui contiennent de l’uranium) : la pechblende (U3O8) et l’uranite (UO2). Leur exploitation se fait dans des mines à ciel ouvert ou des galeries d’extraction souterraines.
La teneur en uranium du minerai étant généralement faible, on commence par le concentrer sur le lieu d’extraction afin de ne pas alourdir les coûts du transport. Pour cela, les roches sont broyées, concassées en poudre fine, puis dissoutes dans une solution d’acide sulfurique chaud.
La solution liquide est ensuite précipitée, filtrée, lavée et séchée. On obtient alors une pâte jaune contenant environ 75% d’oxyde d’uranium (U3O8), appelée « yellow cake ». Mais ce concentré n’est pas utilisable tel quel dans un réacteur nucléaire. Il faut d’abord le débarrasser de ses impuretés (raffinage), puis convertir l’oxyde d’uranium presque pur en hexafluorure d’uranium (UF6) pour faciliter l’étape ultérieure d’enrichissement.
La proportion d’uranium 235 dans le combustible nucléaire se situe entre 3% et 5%.
Méthodes d'enrichissement
L’enrichissement est une opération difficile car, comme tous les isotopes d’un même élément, l’uranium 235 et l’uranium 238 se ressemblent beaucoup et ont les mêmes propriétés chimiques. Cependant, il est possible de les différencier grâce à leur légère différence de masse. En effet, l’uranium 235 est un tout petit peu plus léger que l’uranium 238.
C’est pourquoi, actuellement, l’enrichissement de l’uranium est basé sur la différence de mobilité due à cette faible différence de masse. De tous les procédés d’enrichissement étudiés jusqu’à présent, deux ont été développés à l’échelle industrielle : la diffusion gazeuse et l’ultracentrifugation (d'où provient actuellement la majorité de l'uranium enrichi).
L’ultracentrifugation est aujourd'hui le principal procédé d'enrichissement développé à l’échelle industrielle.
La diffusion gazeuse
En France, la technologie de diffusion gazeuse a été développée par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Cette technologie a été utilisée dans l’usine Georges Besse (également appelée usine Eurodif dans le passé) sur le site du Tricastin à Pierrelatte (Drôme) entre 1979 et 2012.
La séparation isotopique par diffusion gazeuse est très gourmande en énergie.
Avant son enrichissement par ce procédé, le tétrafluorure d’uranium, obtenu après extraction du minerai et raffinage, est transformé en hexafluorure d’uranium (UF6) qui a la propriété d’être gazeux à partir de 56°C.
Le procédé par diffusion gazeuse consiste à faire passer l’UF6 à l’état gazeux à travers une multitude de « barrières » qui sont des membranes percées de trous minuscules. Les molécules d’hexafluorure d’uranium 235, plus légères que celles d’hexafluorure 238, traversent un peu plus rapidement chaque barrière, ce qui permet d’enrichir peu à peu l’uranium.
Mais étant donné la masse très voisine des deux isotopes, le ralentissement de l’uranium 238 est très faible par rapport à celui de l’uranium 235. C’est pourquoi l’opération doit être répétée 1 400 fois pour produire un uranium assez enrichi en uranium 235 pour être utilisable dans des centrales nucléaires classiques.
Ce procédé a été progressivement replacé par celui de centrifugation.
L'ultracentrifugation
Ce procédé exploite la très légère différence de masse entre les isotopes d'uranium 235 et 238 : les centrifugeuses tournent à très grande vitesse et projettent plus vite à leur périphérie l’hexafluorure d’uranium 238 que l’hexafluorure 235. Cette opération doit être réalisée à de nombreuses reprises pour obtenir un uranium suffisamment enrichi pour le combustible nucléaire.
Ce principe de séparation, désormais utilisé partout dans le monde (notamment dans l'usine Georges Besse II d'Orano depuis 2011), a lieu dans une centrifugeuse qui, telle une essoreuse à salade tournant à grande vitesse, projette plus vite à sa périphérie l’hexafluorure d’uranium 238 que l’hexafluorure 235 qu’elle contient.
La très légère différence de masse entre les deux molécules permet ainsi d’augmenter petit à petit la concentration en uranium 235. Là encore, de nombreuses étapes successives sont nécessaires pour obtenir un enrichissement suffisant.
Avec les matériaux maîtrisés aujourd’hui, l’ultracentrifugation est proche de son asymptote technologique et semble près d’avoir épuisé ses possibilités de progrès en performances et en coût. La structure des coûts d’une usine d’ultracentrifugation est dominée par un fort coût d’investissement et un coût de fonctionnement des plus faibles.
Le procédé d’ultracentrifugation consomme près de 50 fois moins d'énergie que celui de diffusion gazeuse.
La séparation isotopique dans une centrifugeuse étant un processus thermodynamique proche de la réversibilité, la consommation en énergie d’une usine d’ultracentrifugation gazeuse est très réduite, de l’ordre de 50 kWh par UTS, soit 50 fois moins qu’une usine de diffusion gazeuse de même capacité. C’est actuellement la technologie d’ultracentrifugation qui permet d’enrichir l’uranium au coût le plus bas. Cette technologie s'est ainsi imposée pour remplacer la diffusion gazeuse.
Unité de mesure et chiffres clés
L'unité de travail de séparation (UTS, SWU en anglais pour « Separative Work Unit ») correspond au travail nécessaire à la séparation d'un kilogramme d'uranium en deux lots de teneur isotopique différente (en uranium 235 fissile et en uranium 238).
Une mesure d’UTS est proportionnelle à la quantité de matière traitée (uranium) et à la quantité d’énergie nécessaire pour obtenir la séparation (en kWh). Elle est fonction du taux d'enrichissement et de la qualité recherchés, déterminés par la teneur de résidus d’uranium appauvri issu de la séparation (variable entre 0,15% et 0,35% environ).
Ainsi la quantité d’uranium et la quantité d’UTS nécessaires varient en sens inverse : pour obtenir une quantité donnée d'uranium enrichi, il est possible d’augmenter la quantité d’uranium en amont (plus de résidus, moins d’UTS nécessaires) ou la baisser (moins de résidus, plus d’UTS nécessaires) selon des critères économiques, par exemple le prix de l’uranium naturel ou de la consommation énergétique d’une usine.
Selon la World Nuclear Association, les besoins mondiaux en matière d'enrichissement d'uranium avoisinaient 47,3 millions d’UTS en 2015(1). La capacité d'enrichissement mondiale était alors de 58,6 millions d'UTS en 2015, dont près de 45% provenant de la Russie. À l'horizon 2020, la World Nuclear Association estime que cette capacité d'enrichissement pourrait atteindre 66,7 millions d'UTS par an.
Un réacteur à eau sous pression (REP) de 900 MW consomme environ 27 tonnes d’uranium enrichi par an.
Les principaux acteurs de l’enrichissement
Quatre acteurs principaux assurent l’enrichissement de l’uranium pour les producteurs d’électricité :
- Rosatom (Russie) qui exporte près de 43% de l'uranium enrichi dans le monde ;
- Urenco Enrichment Company sur des sites au Royaume-Uni, en Allemagne, aux Pays-Bas et aux États-Unis ;
- CNCC (Chine), uniquement pour son marché intérieur ;
- Orano (France) sur le site de Georges Besse II.
Citons par ailleurs USEC (États-Unis) et JNFL (Japon).
Avec l’usine George Besse II (mise en service en 2011, pleine capacité atteinte fin 2016), Orano a une capacité d'enrichissement de 7,5 millions d'UTS par an(2). Cette capacité a fortement progressé, suite à la transition entre Georges Besse I et II.
Usine d'enrichissement Georges Besse II (Tricastin)
L’usine d’Eurodif (Usine Georges Besse), située à Pierrelatte, dans la Drôme, était à vocation purement civile. Sa première mise en exploitation partielle a eu lieu en 1979 et la mise en service industrielle complète date de 1982. Elle a fourni approximativement le quart des UTS produites chaque année dans le monde occidental. Elle était essentiellement constituée d’une cascade unique de 1 400 étages, de trois tailles différentes, logés dans 4 grands bâtiments.
L'usine Georges Besse II utilise le procédé de centrifugation, mieux adapté aux conditions économiques et industrielles actuelles.
La séparation isotopique par diffusion gazeuse est très gourmande en énergie : environ 2 400 kWh par UTS. Pour alimenter l’usine Georges Besse à sa pleine capacité de production de 10,8 millions d’UTS par an, la production de trois des quatre réacteurs d’EDF de 900 MWe situés sur le même site de Tricastin était ainsi absorbée.
Arrivant en fin de vie, l’usine Georges Besse a été progressivement remplacée en 2011/2012 par l'usine Georges Besse II, située à proximité, qui utilise le procédé de centrifugation mieux adapté aux conditions économiques et industrielles actuelles.
L'usine Georges Besse II a représenté un investissement global de 3 milliards d'euros, ce qui en a alors fait l'un des plus importants projets industriels de la décennie. La conception modulaire de l’usine Georges Besse II a permis une montée en puissance progressive de la capacité d'enrichissement, en adéquation avec les besoins du marché (chaque module a une capacité de production unitaire d’environ 500 000 UTS/an).
Chantier d'extension
En octobre 2024, Orano a posé la première pierre du chantier de l'extension de son usine d'enrichissement d'uranium Georges-Besse II au Tricastin, dans le sud de la France, qui doit lui permettre d'augmenter d'un tiers ses capacités et grignoter des parts de marché au mastodonte russe du secteur.
« Cette extension de capacités répond aux demandes de nos clients électriciens de renforcer leur sécurité d'approvisionnement, grâce à une première production prévue dès 2028 et une mise en service complète en 2030 », a indiqué le groupe dans un communiqué.
D'un montant estimé à 1,7 milliard d'euros, ce projet permettra à Orano d'augmenter ses capacités de production d'uranium enrichi de plus de 30% sur son site du Tricastin. II consistera à construire 4 modules d'enrichissement complémentaires aux 14 modules existants au sein de l'usine baptisée Georges-Besse II.
Recherches pour aboutir à ces procédés
Le premier procédé d’enrichissement de l’uranium a été la séparation électromagnétique - à l’aide de spectrographes de masse - qui permettait de trier un par un les atomes ionisés en fonction de leur masse isotopique. C’était un procédé à très faible débit et très gourmand en énergie.
Alors que les Français et les Américains ont historiquement choisi ensuite d’enrichir l’uranium par diffusion gazeuse, le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Pays-Bas ont ratifié, en 1970, le traité d’Almelo et créent une société chargée de développer la technologie de centrifugation.
En 1973, le premier choc pétrolier incite de nombreux pays en Europe à faire le choix du nucléaire civil. La diffusion gazeuse est à cette époque la technologie la plus mature et la plus performante pour produire de l’uranium enrichi. A la fin des années 1980, les progrès réalisés en matière de résistance des matériaux nécessaire à la fabrication des centrifugeuses (fibre carbone en particulier) ont permis à la centrifugation de devenir la technologie la plus performante.
Au début des années 1990, beaucoup d’efforts ont été consacrés (États-Unis, France, Japon, Afrique du Sud) au développement de procédés sélectifs faisant appel aux lasers. Le principal d’entre eux est appelé SILVA en France et ALVIS aux États-Unis : il s’agit d’effectuer la Séparation Isotopique par Laser d’une Vapeur Atomique d’uranium. Ce procédé est très complexe à réaliser. Après avoir démontré la faisabilité technologique, Américains et Français ont abandonné le développement industriel qui ne semblait pas déboucher économiquement à court terme.
Depuis le début des années 1990, la société Silex Systems Limited a développé en Australie le procédé d'enrichissement moléculaire par laser SILEX. Il se différencie de SILVA par la nature de l'élément excité qui n'est plus l'uranium 235 mais la molécule d'hexafluorure d'uranium 235 et par les propriétés utilisées pour séparer les flux enrichis et appauvris. En 2006, un accord exclusif de développement et d'industrialisation a été signé entre Global Laser Enrichment (GLE) et General Electric. Depuis février 2019, Cameco et Silex détiennent respectivement 51% et 49% de GLE, suit au rachat des parts de GE Hitachi.
Une phase décisive pour le civil comme le militaire
Les réacteurs de recherche peuvent nécessiter des taux d'enrichissement de 10% à 20% (et les armes nucléaires un taux d'enrichissement autour de 90%).
L'enrichissement nucléaire est une phase décisive dans la production de combustible pour les réacteurs nucléaires, car il modifie la composition de l'uranium naturel pour augmenter la concentration de l'isotope fissile, l'uranium-235 (U-235). Dans l'uranium naturel, l'U-235 ne représente qu'environ 0,7% de l'ensemble, le reste étant principalement de l'uranium-238 (U-238), qui est moins fissile. Pour que l'uranium soit utilisable dans la plupart des réacteurs nucléaires commerciaux, la concentration d'U-235 doit être augmentée à environ 3-5%, et dans certains cas, jusqu'à 20% pour les réacteurs de recherche ou les réacteurs navals.
L'enrichissement nucléaire est également une phase sensible du point de vue de la sécurité et de la non-prolifération. Les mêmes technologies utilisées pour enrichir l'uranium à des niveaux adaptés pour les réacteurs civils peuvent être utilisées pour enrichir l'uranium à des niveaux beaucoup plus élevés (90% ou plus) pour fabriquer des armes nucléaires. Par conséquent, l'enrichissement est strictement surveillé par des organisations internationales comme l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) pour prévenir la prolifération nucléaire.
En juillet 2019, les questions autour de l'enrichissement d'uranium se retrouvent au coeur de l'actualité suite à l'annonce de l'Iran qui souhaite enrichir son uranium au-delà du taux de 3,67% prévu par l'accord sur le nucléaire de 2015. Selon la World Nuclear Association(3), le taux d'enrichissement de l'uranium pour une application dans les réacteurs électrogènes s'élève jusqu'à 5%.
Après la chute de l’Union soviétique, en 1991, les accords de désarmement nucléaire entre les États-Unis et la Russie ont déversé sur le marché d’énormes quantités d’uranium enrichi à 93%, qu’il a fallu… appauvrir pour pouvoir les utiliser dans les réacteurs. La dilution de 500 tonnes d’uranium hautement enrichi achetées aux Russes par les États-Unis équivalent à 5 MUTS (106 UTS) par an pendant 20 ans.