Réplique de Little Boy, première bombe atomique larguée à des fins offensives en août 1945 (©photo)
La signature du Traité de Non-Prolifération
Contexte
La Seconde Guerre mondiale s’est achevée en 1945 par les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki. Le risque de prolifération, c'est-à-dire de développement d’armements nucléaires un peu partout dans le monde, est apparu rapidement comme un danger majeur.
Dans un discours resté célèbre et baptisé « Atoms for Peace »(1), le président des États-Unis, Dwight D. Eisenhower, proposait en 1953 à l’ensemble des nations un contrat : renoncer à l’armement nucléaire en échange du transfert des technologies permettant l’usage pacifique de l’énergie nucléaire.
L’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) était créée en 1957 pour promouvoir les applications civiles du nucléaire.
Dans le même temps, le nombre de pays possédant l’arme nucléaire s’accroissait : l’Union Soviétique en 1949, le Royaume-Uni en 1952, la France en 1960 et la Chine en 1964. Des négociations étaient alors engagées qui aboutiront en 1968 à la signature du Traité de Non-Prolifération (TNP)(2) qui entrera en vigueur en 1970.
Conséquences
Ce traité institue un régime d’exception pour les cinq pays possesseurs d’armes nucléaires avant 1967 (États-Unis, URSS, France, Royaume-Uni et Chine) et interdit à tous les autres de s’en équiper. Pour des raisons politiques, la France attendra 1992 pour signer le TNP, tout en ayant décidé dès le début d’en appliquer les dispositions.
Aujourd’hui, tous les pays membres de l’ONU ont signé le TNP à l’exception de l’Inde, d’Israël et du Pakistan. Des conférences pour le réexamen du traité ont lieu régulièrement, mais peu de modifications ont été apportées à son contenu qui traduit un équilibre entre la limitation des armements et le développement des applications civiles de l’énergie nucléaire.
191 États ont signé le TNP(4), 3 sont non-signataires (Inde, Israël, Pakistan) et 1 seul signataire, la Corée du Nord, est sorti du TNP avant d’annoncer son intention de le rejoindre.
La lutte contre les risques de prolifération est une activité soutenue depuis plus de 50 ans sous une forte pression américaine, pays qui pour des raisons historiques évidentes comme premier réalisateur et seul utilisateur de cette arme, est particulièrement sensible au danger que pourrait représenter sa possession par des États belliqueux ou prêts au pire pour défendre une cause.
La lutte contre la prolifération nucléaire depuis 1945 (©Connaissance des Énergies)
Rôle de l'AIEA
L’institution d’un traité limitant les activités des pays dans un domaine technologique nouveau et offrant des perspectives de puissance sans précédent, n’avait jamais été réalisée auparavant (d’autres traités régissant les limites d’armement acceptables au plan international concernaient l’usage mais pas la possession ou à fortiori la conception).
Il est apparu indispensable de mettre en place un régime de contrôle permettant à la communauté internationale de s’assurer du respect des dispositions du traité par l’ensemble des pays concernés.
En cas de constat d’infraction au TNP, l’AIEA saisit le Conseil de Sécurité de l’ONU.
Ce contrôle a été confié par l’ONU à l’AIEA, dont le siège est à Vienne en Autriche. Chaque pays signataire du traité doit conclure un accord avec l’AIEA pour préciser les modalités de contrôle. L’AIEA vérifie le respect des dispositions du traité à partir de déclarations des États et d’inspections sur place. En cas de constat d’infraction, l’AIEA saisit le Conseil de Sécurité de l’ONU, seul habilité à proposer des sanctions. Ce régime de contrôle a permis de détecter des activités illicites bien avant la réalisation d’armes dans plusieurs pays.
La prise de décision et la mise en place de sanctions étant un processus très long, il a été jugé nécessaire de renforcer le régime de contrôle par la signature entre l’AIEA et les pays volontaires d’un « Protocole Additionnel » par lequel le pays s’engage notamment à informer l’AIEA de ses actions de R&D ainsi que des accords internationaux qu’il met en place ou auxquels il adhère.
Bénéfices et poursuites du désarmement
L’établissement d’un régime discriminatoire entre les cinq États Dotés d’Armes Nucléaires (EDAN) et les autres (ENDAN) est justifié par la notion de dissuasion, la menace de représailles nucléaires étant supposée inhiber toute tentative belliqueuse d’un État. Les partisans de la dissuasion mettent en avant le bilan de la seconde moitié du XXe siècle qui n’a connu aucune guerre de l’ampleur des deux guerres mondiales de la première moitié du siècle. Les tenants du désarmement nucléaire total soulignent les dangers de cet équilibre de la terreur qui ne règle rien et qui met le monde à la merci d’un dirigeant qui perdrait la raison.
Quoi qu’il en soit, les risques de prolifération ne sont pas liés à l’existence de ce régime discriminatoire, rien ne prouvant, bien au contraire, qu’en cas de désarmement total, un État ne pourrait pas être tenté de se reconstituer clandestinement un stock d’armes nucléaires. Le risque de prolifération n’est pas non plus directement lié à l’utilisation à des fins pacifiques de l’énergie nucléaire sauf si celle-ci sert de paravent pour masquer des activités clandestines (source des inquiétudes vis-à-vis de l'Iran au cours des dernières années).
Le TNP institue un régime d’exception pour les 5 pays possesseurs d’armes nucléaires avant 1967.
Les prévisions pessimistes des années 60 – plusieurs dizaines de pays possesseurs d’armes nucléaires à court ou moyen terme – ne se sont pas vérifiées grâce à la signature du TNP et à une constante action diplomatique.
Signé au départ pour 25 ans, le traité sur la non-prolifération entré en vigueur en 1970 a été prolongé pour une durée indéfinie en 1995. Deux sujets dominent régulièrement les conférences de réexamen du traité : d’une part, les progrès vers un désarmement complet auquel les EDAN se sont engagés par l’article 6 du traité et, d’autre part, les conditions d’application de l’article 4 ouvrant droit aux applications civiles de l’énergie nucléaire pour tous les États non dotés d’armement nucléaire.
La cessation de la course aux armements nucléaires et les progrès vers un désarmement complet ont fait l’objet de nombreuses négociations entre les cinq États dotés. Les traités START entre les États-Unis et l’Union Soviétique, puis entre les États-Unis et la Fédération de Russie ont permis le démantèlement d’une grande partie des gigantesques stocks possédés par ces deux puissances. Le Royaume-Uni et la France ont procédé parallèlement à des réductions volontaires de leurs capacités au demeurant beaucoup plus limitées.
Un Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires (TICE) a été signé en 1996 mais n’est toujours pas en vigueur par défaut de ratification par certains États, dont les États-Unis et la Chine. Néanmoins les dispositions du traité sont appliquées par les cinq puissances nucléaires officiellement reconnues et un dispositif de surveillance internationale a été mis en place pour détecter toute explosion nucléaire, aérienne ou souterraine.
Des négociations sont également engagées depuis plusieurs années en vue de signer un traité interdisant la production des matières nucléaires spéciales nécessaires à la fabrication d’armes nucléaires. Bien que ce processus n’ait pas encore abouti, la France s’est engagée unilatéralement dans un arrêt définitif de ce type de production.
En outre, des États qui ont renoncé à des programmes d’armement nucléaire plus ou moins engagés : l'Afrique du Sud, l'Argentine, la Biélorussie, le Brésil, le Kazakhstan, la Lybie, la Suède et l'Ukraine.
Craintes actuelles
L’article 4 du traité rappelle le droit pour tout pays de développer la R&D et les moyens nécessaires pour bénéficier de l’énergie nucléaire à des fins civiles. Son application pose problème dans la mesure où certaines activités peuvent servir d’alibi pour préparer sans le dire des moyens, en particulier la production de matières, indispensables pour la constitution d’un armement nucléaire. Les cas de la Corée du Nord et de l’Iran ces dernières années illustrent bien ce risque.
Les craintes de prolifération concernent principalement les zones du globe dans lesquelles se développent des tensions fortes entre États, comme actuellement le Moyen-Orient ou la Péninsule coréenne. Néanmoins, les contrôles résultant de l’application du TNP s’exercent dans l’ensemble des pays non dotés d’armement nucléaire. Les obstacles rencontrés parfois pour les inspections sur place constituent un indice de doute sur certaines activités du pays concerné.
Les armes nucléaires peuvent être réalisées soit avec de l’uranium très enrichi (bombe d’Hiroshima), soit avec du plutonium (bombe de Nagasaki). Un faible enrichissement de l’uranium est suffisant pour faire fonctionner les centrales électronucléaires actuelles. Quant au plutonium, sous-produit du fonctionnement de ces centrales, il peut être recyclé avec le combustible MOX ou utilisé comme générateur et combustible des réacteurs à neutrons rapides. C’est pourquoi l’enrichissement de l’uranium et le retraitement des combustibles usés avec le plutonium sont des activités particulièrement surveillées au titre de la lutte contre la prolifération.
Le nucléaire nord coréen
Avant même de monter un véritable programme électronucléaire, la Corée du Nord a développé une activité de retraitement pour récupérer le plutonium formé dans les combustibles d’un petit réacteur de première génération. Cette activité ne pouvait se justifier par le programme civil du pays qui finira par reconnaître son intention de développer un programme militaire et se retirera du TNP en 2003. Depuis, la pression internationale ne cesse de s’exercer sur ce pays qui a réalisé des essais nucléaires de faible puissance, mais dont les capacités restent très limitées.
Le programme nucléaire de la Corée du Nord continue de progresser malgré les sanctions internationales et les tentatives de négociation. Pyongyang a réalisé plusieurs tests de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) et a probablement augmenté son stock de matières fissiles. Les analystes estiment que la Corée du Nord dispose maintenant de plusieurs dizaines d'armes nucléaires. Kim Jong-un a affirmé que ces développements sont essentiels pour la défense nationale, augmentant ainsi les tensions avec les États-Unis et ses alliés en Asie.
Le nucléaire iranien
L’Iran a débuté un programme civil avec la construction en 1975 d’une centrale interrompue par la révolution de 1979. La construction a repris au début des années 2000, avec l’aide des Russes, pour aboutir à la mise en service du premier réacteur en 2011. Parallèlement, l’Iran a développé un programme d’enrichissement de l’uranium par centrifugation, technique la plus utilisée aujourd’hui pour produire le combustible des réacteurs nucléaires mais qui peut être modifiée pour produire la matière nécessaire à la fabrication d’armes.
Les Iraniens n'ont cessé de proclamer qu’ils respectaient le TNP et que leurs intentions étaient purement civiles, ce dont doutaient les pays occidentaux eu égard à des considérations économiques – une installation industrielle d’enrichissement ne se justifiant que pour alimenter des dizaines de réacteurs – et à un comportement ambigu de l’Iran vis-à-vis des contrôles de l’AIEA. Des négociations ont débuté en 2003 et abouti 12 ans plus tard à la signature d'un accord d'étape début avril 2015 entre l'Iran et les « 5+1 » (Allemagne, Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie).
L'Iran a accéléré son programme nucléaire depuis la rupture de l'accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) par les États-Unis en 2018. En 2024, l'Iran enrichit de l'uranium à des niveaux proches de ceux nécessaires pour une arme nucléaire, bien au-delà des limites imposées par le JCPOA. Les négociations pour relancer l'accord sont au point mort, et les inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) ont signalé des restrictions croissantes à leurs activités de surveillance en Iran. Ces développements suscitent des inquiétudes internationales concernant la possibilité d'une course aux armements au Moyen-Orient.
Les menaces russes depuis l'invasion en Ukraine
Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, les autorités russes ont à plusieurs reprises émis des menaces implicites et explicites concernant l'usage de l'arme nucléaire. Vladimir Poutine a évoqué à plusieurs reprises la doctrine nucléaire russe, qui permet l'usage de telles armes en réponse à une menace existentielle pour la Russie. En octobre 2022, lors de l'annexion de plusieurs territoires ukrainiens, Poutine a affirmé que la Russie utiliserait "tous les moyens à [sa] disposition" pour défendre son territoire, ce qui a été largement interprété comme une référence aux armes nucléaires.
En mai 2023, l'ancien président et actuel vice-président du Conseil de sécurité russe, Dmitri Medvedev, a également émis des avertissements similaires, déclarant que l'éventuelle défaite de la Russie en Ukraine pourrait entraîner une escalade nucléaire. Par ailleurs, en réponse aux soutiens militaires occidentaux croissants à l'Ukraine, notamment les livraisons d'armes avancées, les dirigeants russes ont intensifié leur rhétorique nucléaire pour dissuader toute intervention directe des pays de l'OTAN. Ces menaces ont alimenté les préoccupations mondiales concernant une possible escalade du conflit vers une guerre nucléaire.