Électricité : « le tarif réglementé n'est pas protecteur, il est spoliateur »

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Interview de Julien Tchernia

Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, les prix de l'énergie - et en particulier la fiscalité sur l'électricité - ont à nouveau suscité une attention particulière. Au milieu de l'actualité riche sur le futur mouvement tarifaire du tarif réglementé de vente de l'électricité (TRV), nous avons interrogé Julien Tchernia, fondateur du fournisseur d'énergie alternatif Ekwateur et nouveau président de l'Anode depuis le 1er décembre dernier(1).

 

La concertation autour de la 3e PPE s'est terminée ce 15 décembre. Quel regard portez-vous sur ce projet ?

Les PPE ont toujours manqué leurs objectifs et pourtant on en inscrits des encore plus ambitieux. Cette programmation finit par devenir incantatoire. On y parle beaucoup de production, de production renouvelable mais il manque des boucles sur la flexibilité et sur le stockage.

Par ailleurs, la nouvelle PPE prévoit une hausse de la production électrique mais, à court terme, tous les politiques fiscales poussent à une baisse de la demande et Patrick Pouyanné et Luc Rémont expliquent qu'on ne peut pas développer facilement de renouvelables en France

Il faudrait davantage de cohérence entre la mise en œuvre de cette PPE, l'évolution de la fiscalité sur l'électricité et sur le biométhane ou encore la redistribution de la rente du nucléaire historique avec la fin de l'ARENH.

 

Le précédent gouvernement a finalement renoncé à relever le niveau de l'accise sur l'électricité au-dessus du niveau « pré-bouclier tarifaire ». Comment analysez-vous ce feuilleton autour de l'évolution du TRV en février 2025 ?

Ce n'est pas notre sujet dans l'absolu, nous appliquons les taxes décidées. Mais nous ne comprenons pas, au sein de l'Anode, ces signaux politiques totalement contradictoires. Nous dénonçons ce tripatouillage et les messages sur le tarif réglementé.

En 2024, le TRV est 25% plus cher en moyenne que les offres de marché des fournisseurs alternatifs. Il n'est donc pas protecteur, il est spoliateur. Et ce TRV est pourtant défendu par tout le monde politique. En février 2025, le prix du TRV va baisser mais c'est parce qu'il était tellement cher auparavant... Et il devrait rester 4 à 5% plus cher que les offres des fournisseurs alternatifs. 

Depuis 2007 (ndlr : ouverture de la concurrence aux particuliers), le tarif réglementé n'a été « protecteur » qu'en 2022, et en réalité, ce n'était pas le TRV mais le bouclier tarifaire qui était protecteur cette année-là comme expliqué par la CRE et l’ADLC (Autorité de la concurrence)(2). Il faudrait à terme supprimer le TRV pour l'électricité, comme cela a été fait pour le gaz pour lequel ce n'est plus un sujet, et on éviterait cette hystérisation politique et un conflit d'intérêt entre l'État et EDF.

 

La hausse du TURPE prévue en août 2025 sera finalement avancée au 1er février pour éviter un « yoyo » tarifaire. Est-ce une bonne chose ?

Ce n'est pas une mauvaise chose en soi, même si cela fait gagner du cash à Enedis sur le dos des Français. Et sur le fond, ce n'est pas très signifiant car les hausses de factures ne seront pas très élevées. 

Mais cette décision politique n'est pas dans les prérogatives de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Nous sommes surpris à l'Anode par cette décision de la CRE qui n'est pas technique mais relève du marketing politique.

 

Selon le dernier Observatoire des marchés de détail de la CRE, la part de marché des fournisseurs alternatifs reste inférieure à 30% pour les consommateurs résidentiels d'électricité(3), près de 17 ans après l'ouverture à la concurrence. Quel état des lieux faites-vous aujourd'hui ?

Il s'est passé un événement majeur dans la progression de la concurrence, avec la crise énergétique en 2022-2023 et la manière dont celle-ci a été gérée. En 2022, le TRV a été bloqué dans le cadre du bouclier tarifaire, ce qui ne permettait plus aux fournisseurs alternatifs d'être compétitifs. EDF, qui doit prévoir et acheter 2 ans en avance l'électricité pour un certain volume de clients, n'avait pas prévu de récupérer autant de clients et été obligé de vendre à perte tandis que les autres fournisseurs étaient en concurrence avec un prix impossible. 

C'est donc bien le bouclier tarifaire et pas le TRV qui a été protecteur mais tous les Français s’entendent dire que le TRV les a sauvés. Cela a entraîné un gros frein en arrière dans les progrès de l'ouverture du marché.

Finalement, est-ce que le TRV n'est pas un impôt déguisé ?

Et cela permet aujourd'hui à EDF de vendre aux TRV son électricité 25% plus cher que les autres offres. Ce conflit d'intérêt entre l'État actionnaire et l’État au service de ses citoyens nourrit une suspicion permanente à l'égard du tarif réglementé. Finalement, est-ce que le TRV n'est pas un impôt déguisé qui évite une hausse des impôts pour financer EDF ? 

Dans le cadre post-ARENH, EDF veut vendre des contrats à long terme mais ne veut pas baisser les prix. Ce bras de fer entraîne un dilemme cornélien pour l'État : sauver EDF, relever les prix... Nous, fournisseurs alternatifs, sommes des acteurs indépendants à même de jouer le rôle de conseil. Et nous constatons, comme l'Autorité de la concurrence, une distorsion de marché.

 

Le TURPE est devenu horosaisonnier mais pas le TRV. Les membres de l'Anode envisagent-ils de développer ce type d'offres ?

Chaque fournisseur a sa propre politique commerciale. Mais cela pose la question du système heures creuses/heures pleines (HC/HP) : dans le calcul du TRV, la différence entre heures creuses et heures pleines est à l'origine très faible et un coefficient arbitraire est introduit dans ce calcul pour baisser le prix des heures creuses. Ce qui fait que les offres indexées sur ce tarif (TRV comme offre de marché), n'ont pas intérêt à vendre des heures creuses qui sont vendues à perte.

Les prix spot, qui peuvent justifier un système HC/HP, sont différents des tarifs actuels. Le signal heures pleines/heures creuses est à la main d'Enedis et donc ne prend en compte que la congestion du réseau. Pour que les fournisseurs choisissent leur propres HP/HC, prenant en compte aussi les coûts de production il faudrait que ce soit les fournisseurs qui puissent diriger les fils pilotes du compteur communicant Linky. 

Les clients recherchent de la simplicité, avec un forfait à l'image des télécommunications. L'eau est une autre commodité très « saisonnalisée » et pourtant son prix n'est pas horosaisonnier. À l'avenir, la flexibilité pour les particuliers pourrait ne pas être gérée par le prix mais par le fournisseur qui prendrait la main sur les équipements non essentiels d'un foyer.

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