Le gouvernement renonce à une hausse des taxes sur l'électricité.
La fiscalité de l'électricité a suscité de vifs débats dans le cadre de l'examen du budget 2025, le gouvernement souhaitant initialement fortement remonter le montant de l'accise tout en assurant une baisse de 9% des tarifs réglementés en février 2025. Sauf que... Michel Barnier a finalement annoncé ce 28 novembre au Figaro avoir décidé in fine de ne pas « augmenter les taxes sur l’électricité » dans le projet de loi de finances pour 2025(1). Rappels des faits.
Ce qui s'est passé au 1er novembre
Pour rappel, le gouvernement avait décidé à l'été 2024 de ne pas appliquer la hausse du TURPE (tarif d'utilisation des réseaux) recommandée par la CRE au 1er août. Avec la perspective de la forte baisse du TRV attendue en février 2025 (liée à la baisse des cours de l'électricité), le gouvernement souhaitait attendre cette échéance pour y intégrer la hausse du TURPE et éviter un « yo-yo » dans les évolutions tarifaires.
Finalement, « l’application de l’augmentation prévue en août 2024 a été reportée au 1er février 2025 pour les seuls TRV (et indexés) », les fournisseurs alternatifs ayant pu l’appliquer dès le 1er novembre 2024 pour les offres de marché, rappelle la CRE.
Précisons toutefois que les plus attentifs des clients soumis au tarif réglementé ont aussi pu constater une évolution de leur facture en novembre. Une partie de la hausse du TURPE a en effet été répercutée sur le TRV même si cette évolution est restée largement inaperçue : pour cause, elle est de l'ordre de 10 centimes d'euro à vingt centimes d'euro de hausse par mois sur le montant de l'abonnement selon Selectra(2). Elle correspond à la hausse de la Contribution Tarifaire d'acheminement (CTA) qui finance le régime spécial des agents recrutés jusqu'à la libéralisation(3).
Budget 2025 : ce que le gouvernement attendait
Dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025(4), le gouvernement prévoyait une hausse de la fiscalité de l'électricité au-delà du niveau d'avant crise (attendant par ce biais des recettes supplémentaires de 3 milliards d'euros).
Concrètement, l'accise sur l'électricité, dont le montant est actuellement de 21 €/MWh, devait remonter au-delà des 32 €/MWh (montant « pré-bouclier tarifaire »), avec une promesse toutefois : le nouveau niveau de l'accise devait « garantir au consommateur une baisse de 9% du tarif réglementé de vente en 2025 à partir du 1er février».
Et « pour tenir compte de la forte incertitude sur les prix hors-taxe qui perdurera jusqu’à fin décembre 2024, il est renvoyé à un arrêté déterminant le montant de l’accise », précise le PLF 2025. Le montant devait de la sorte être ajusté en fonction de l’évolution des prix sur les marchés de gros et de l'impact du TURPE.
Une nouvelle hausse du TURPE à anticiper ?
Car, non content d'intégrer la hausse du TURPE prévue en août 2024, l'évolution du TRV au 1er février 2025 devra tenir compte d'une « brique de compensation pour indemniser les gestionnaires de réseau du retard (illégal) de cette hausse » selon Selectra, voire intégrer aussi la hausse suivante du TURPE censée arriver au 1er août 2025 (TURPE 7).
Anticiper l’évolution d’août 2025 à février 2025 viserait en effet à éviter des mouvements de sens opposés à 6 mois d’intervalle, un leitmotiv sur ce sujet sensible. « Il serait tout aussi pertinent d’avancer cette hausse du TURPE en février 2025 et de ne plus toucher au tarif régulé de l’électricité en 2025 pour avoir une décision lisible du grand public », confirme Nicolas Goldberg, associé énergie chez Colombus Consulting.
Sur ce sujet, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) indique qu'elle « prendra sa décision début 2025 » en s’appuyant notamment sur les résultats d'une consultation. « Il n’y a pas d’option privilégiée à ce jour, les deux options sont sur la table » (à savoir anticiper ou non la hausse du TURPE prévue en août 2025).
Un rejet au Parlement d'abord...
La hausse de la fiscalité de l'électricité a successivement été rejetée à l'Assemblée nationale mais aussi au Sénat pourtant a priori plus favorable au gouvernement. Un rejet « guère surprenant » pour Nicolas Goldberg : « aucun groupe politique ne soutenait cette proposition, pas même le groupe EPR à l’Assemblée nationale, seul le gouvernement s’entête ».
Face à cette levée de boucliers, Michel Barnier a ouvert une petite porte à une évolution lors de son intervention au Journal télévisé le 27 novembre : le prix du TRV va « baisser de 9% et on va voir si on peut faire plus ».
Un renoncement de Michel Barnier, oui mais à quoi ?
Puis, le Premier ministre a finalement annoncé ce 28 novembre avoir « décidé de ne pas augmenter les taxes sur l’électricité dans le projet de loi de finances 2025 [...] Cela permettra une baisse des prix de l’électricité de 14%, qui ira donc bien au-delà de la baisse de 9% prévue initialement ».
Une clarification s'impose toutefois : une baisse du TRV de 14% sous-entend que « l'accise sur l'électricité passera de 21 à 32 €/MWh », soit le niveau d'avant-crise énergétique (sans aller au-delà), souligne Maxence Cordiez. « Difficile de qualifier une augmentation de 50% de "pas d'augmentation" »...
Michel Barnier répond ainsi à une revendication du Rassemblement national, après avoir rencontré Marine Le Pen à Matignon lundi dernier. « Si c'était pour gagner le soutien du groupe RN et éviter la censure, c'est raté parce que ça n'a pas l'air de suffire, quand bien même le RN revendiquerait la victoire de ce gel de taxe qui n'en est pas un alors que tous les groupes politiques et experts demandaient à ce que cette taxe n'augmente pas », constate Nicolas Goldberg.
« Que ce soit dans ma majorité ou les chefs de l'opposition que j'ai reçus : presque tous m'ont demandé d'évoluer », reconnaît d'ailleurs le Premier ministre. Les critiques ne manquaient en effet pas contre la hausse de la fiscalité de l'électricité. Nicolas Goldberg rappelle à ce titre la nécessité de « réfléchir en termes de positionnement des énergies les unes par rapport aux autres : pénaliser l’électricité et la déclasser par rapport aux autres vecteurs joue contre la volonté d’électrification de notre économie. Les taxes doivent être pensées non pas seulement comme un moyen de faire entrer de l’argent mais comme un outil de politique publiques pour orienter les comportements et les investissements ».
Une éclaircie à cet égard : « la hausse de dotation au fond chaleur renouvelable est une excellente nouvelle pour éviter une année blanche de projets en 2025, sachant que 2026 sera une année d’élections municipales où il est difficile de faire signer des projets », conclut Nicolas Goldberg.
Une mesure qui était aussi contre-productive d'un point de vue budgétaire
En définitive, taxer l’électricité plus qu’avant la crise apparaissait comme une « ligne rouge », résume Nicolas Goldberg.
En outre, « augmenter l'accise sur l'électricité ne serait pas seulement néfaste pour l'industrie, la balance commerciale et le climat, mais également, ironie suprême, pour le budget de l'État », alertait Maxence Cordiez, expert auprès de Connaissance des Énergies.
D'une part, « pour atteindre nos objectifs d'électrification dans un contexte tarifaire défavorable, l'État devra nécessairement augmenter les aides (à l'achat de véhicule électrique, d'installation de pompes à chaleur), sous peine sinon de devoir renoncer à ces objectifs ».
Par ailleurs, « dissuader l'électrification tout en développant de nouvelles capacités (renouvelables, nucléaire) conduit structurellement à faire baisser les prix de marché. Or les nouvelles capacités électrogènes sont protégées des aléas de marché via des systèmes type complément de rémunération. Ainsi, plus les prix de marché seront bas et plus les charges de service public de l'électricité pour l'État seront élevées ». Selon Maxence Cordiez, « augmenter la taxation de l'électricité ne ferait ainsi qu'aggraver à moyen terme le déficit budgétaire français pour ces deux raisons ».
Une hausse de la fiscalité du gaz ?
Pour compenser l'absence de hausse de la fiscalité de l'électricité espérée par le gouvernement, l'option d'augmenter la fiscalité sur le gaz a été évoquée à de nombreuses reprises, notamment par les sénateurs qui ont proposé un relèvement de la taxe sur le gaz, pour un gain estimé à 1,2 milliard d'euros.
Le Premier ministre « se trompe quand il pense que l'opposition à la hausse d'accise sur l'électricité viendrait du fait que la baisse de 9% du tarif réglementé de l'électricité ne serait pas suffisante. Le sujet n'est pas là mais bien dans le rapport de fiscalité entre gaz et électricité, défavorable à l'électricité et favorable au gaz fossile importé », soulignait Maxence Cordiez.
Le montant actuel de l'accise sur le gaz (16,37 €/MWh), moins élevé que celui pour l'électricité est « une aberration qui doit être corrigée. Le besoin de nouvelles recettes empêche d'imaginer de réduire l'accise sur l'électricité à un niveau inférieur à celle sur le gaz. Il faut donc augmenter l'accise sur le gaz à un niveau au moins égal - et idéalement supérieur - à celle sur l'électricité ».
Mais si une hausse de la fiscalité du gaz pourrait jouer en faveur de l’électrification, « il faut éviter les effets trop brutaux », prévient Nicolas Goldberg : « la baisse du prix de la molécule de gaz sur les marchés de gros pourrait donner des marges de manœuvre. Même si elle ne se matérialise pas pour le moment, cela pourrait être le cas dans un futur proche si l’Europe est bien approvisionnée en gaz par les surcapacités de production américaine et si les projets de liquéfaction de GNL voient bien le jour à travers le monde »(5).
Jusqu'ici, le gouvernement est toutefois opposée à cette option, comme l'a rappelé le ministre du Budget, Laurent Saint-Martin : « Nous préférons une augmentation de la TICFE avec un maintien de la baisse de la facture d'électricité ; à une hausse de la taxe sur le gaz qui augmenterait de facto la facture de nos concitoyens ». Jusqu'à l'annonce de Michel Barnier ce jour. Affaire à suivre donc.