Le gisement de Zohr est susceptible de « transformer le scénario énergétique » égyptien selon le directeur général d’Eni. (©Courtesy of Eni)
La Méditerranée orientale est parfois présentée comme le nouvel « eldorado gazier » mais l’exploitation de ces ressources fait l’objet de tensions importantes dans la région. État des lieux.
Israël a « raté le train du GNL »
C’est en Israël qu’ont débuté les grandes découvertes gazières récentes en Méditerranée orientale, avec principalement les champs de Tamar (découvert en 2009, en production depuis 2013) et Léviathan (découvert en 2010, production prévue fin 2019). La société américaine Noble Energy évalue respectivement à environ 283 milliards de m3 (Gm3) et 623 Gm3 les volumes de gaz associés à ces découvertes(1) (à titre indicatif, les réserves prouvées de gaz naturel dans le monde avoisinaient 168 800 Gm3 à fin 2016 selon BP).
En février 2018, Israël a signé un accord portant sur la fourniture de 64 Gm3 à l'Égypte sur une période de 10 ans. Jugé « historique » par le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, ce contrat entre les sociétés israélienne Delek (associée à Noble Energy) et égyptienne Dolphinus, est évalué à près de 15 milliards de dollars(2).
Le pays a en revanche « raté le train du gaz naturel liquéfié et la possibilité de devenir un exportateur de GNL » à court terme, constate Thierry Bros, chercheur senior associé à l’Oxford Institute for Energy Studies. Avec le retrait du spécialiste australien du GNL Woodside, l’arrivée en Israël d’un autre acteur susceptible « de comprendre le marché du GNL, prêt à prendre des risques et y trouvant une profitabilité » semble très incertaine.
Pour développer ses exportations, Israël compte sur le projet de gazoduc Eastmed, qui vise à relier les champs gaziers de Méditerranée orientale à l’Italie, via Chypre et la Grèce. Thierry Bros juge pour sa part que ce projet, dont la durée de construction est évaluée à 6 ou 7 ans(3), n’est « pas dans l’air du temps », les livraisons sous forme de GNL étant privilégiées pour leur plus grande sûreté (avec les aléas géopolitiques) et leur flexibilité.
Israël conteste par ailleurs l’exploration gazière envisagée par le Liban dans une zone frontalière à partir de 2019 (par un consortium mené par Total, aux côtés d’Eni et de Novatek). Les frontières maritimes sont de fait « encore plus compliquées que les frontières terrestres », confirme Thierry Bros, qui compare cette situation au très long différend ayant opposé la Russie à la Norvège en mer de Barents (ayant abouti à un accord fin 2010). Dans une région déjà sensible, cette question des frontières maritimes se pose également pour les ressources gazières à proximité de la bande de Gaza.
Égypte : la prospérité grâce à Zohr ?
Découvert en août 2015 par la société italienne Eni, le champ gazier de Zohr (« prospérité » en arabe) constituerait le plus grand gisement gazier en Méditerranée. Avec des ressources récupérables estimées à 850 Gm3 (l’équivalent de 18 ans de consommation gazière en Égypte), il doublerait presque les réserves égyptiennes.
Avant l'été 2015, l’Égypte semblait devoir se résigner à dépendre de plus en plus des importations pour satisfaire les besoins énergétiques croissants de sa population, y compris pour le gaz naturel alors que le pays était déjà le 2e producteur africain derrière l’Algérie. Cette croissance de la consommation est essentiellement liée à la démographie égyptienne, la population ayant environ doublé au cours des 35 dernières années.
Situé à près de 150 km des côtes égyptiennes, le gisement de Zohr est entré en production fin 2017 (exploité par ENI, aux côtés de Rosneft et BP). L'Égypte va « consacrer l'essentiel de cette nouvelle production à son marché domestique », indique Thierry Bros. Selon lui, le pays va, dans un premier temps, « arrêter d'importer du gaz naturel liquéfié, puis augmenter ses exportations de GNL à partir des usines de liquéfaction existantes (Idku et remise en service de Damietta) »(4).
Chypre : conflit gazier dans une île divisée
Dans les eaux chypriotes, l’américain Noble Energy a découvert en 2011 le vaste champ gazier d’Aphrodite mais l’exploitation se heurte à la situation politique locale. Pour rappel, Chypre est divisée depuis 1974 entre la République de Chypre (partie sud de l’île) et la partie nord occupée par la Turquie.
La République de Chypre, membre de l’UE, a signé des contrats d’exploration avec l’italien Eni, le français Total et l’américain ExxonMobil mais les dirigeants chypriotes-turcs souhaitent empêcher toute exploration s’ils ne sont pas partie prenante. Un navire de forage affrété par Eni a ainsi été bloqué en févier 2018 au large de Chypre par un navire militaire turque.
Les discussions sur l’exploration gazière sont compliquées par l’échec des négociations entreprises sous l’égide de l’ONU en 2017 en vue d’une réunification de Chypre. Le président chypriote Nicos Anastasiades, réélu en février 2018, avait promis de reprendre les négociations de paix mais l’épisode d’Eni a également compliqué la donne. Kudret Ozersay, responsable des affaires étrangères de Chypre du Nord, voit quant à lui « une sorte d’opportunité » dans ce dossier gazier. De nombreux défis se posent ainsi encore pour la Méditerranée orientale avant que celle-ci puisse profiter pleinement de son potentiel gazier.
Carte des principales découvertes de gaz naturel en Méditerranée orientale (©European Parliament)