Docteur en géopolitique
Spécialiste des problématiques énergétiques au Proche et au Moyen-Orient
Fondateur du cabinet Cassini conseil.
Israël a officiellement lancé le 15 novembre 2016 des appels d'offres pour l'exploration de 24 champs gaziers en Méditerranée. Le gouvernement espère que ces blocs seront le théâtre de nouvelles découvertes significatives de gaz naturel. Depuis quelques années, l’État d’Israël fait face à une situation qu’aucun de ses gouvernants n’avait envisagée : quelle stratégie doit-il mettre en œuvre pour intégrer les découvertes d’importants gisements de gaz au large des côtes du pays ?
Cette situation est inédite. Pourtant, le pays a entrepris des activités de forages sur son territoire dès 1953 ; longtemps en vain. Mais à l’aube du 21e siècle, l’amélioration des techniques et l’arrivée de compagnies étrangères expérimentées (British Gas, Noble Energy) ont permis de mettre à jour des gisements d’hydrocarbures offshore. Les premières découvertes furent modestes mais encourageantes avec notamment le gisement Mari-B en 2000 (environ 30 milliards de m3 de réserves), lequel offrit à Israël l’opportunité de passer du statut d’importateur à celui de producteur d’énergie.
La découverte d’autant de gaz sur une période aussi courte modifie en profondeur les orientations stratégiques en matière d’énergie.
Mais la véritable rupture a eu lieu en 2009, avec la découverte du gisement Tamar (environ 250 milliards de m3 de réserves) qui permet, outre de subvenir aux besoins domestiques durant des décennies, d’envisager des projets d’exportations. Ces ambitions ont été confortées par la découverte, quelques mois plus tard (juin 2010), du gisement Léviathan (environ 450 milliards de m3). Depuis, la liste des gisements ne cesse de s’allonger dans la zone maritime israélienne (Dolphin, Sara et Myra, Tanin, Karish, Royee, Shimshon, etc.), offrant au pays un potentiel(1) gazier supérieur à 1 500 milliards de m3. Et selon un rapport du Département d’étude géologique américain publié en 2010, le bassin levantin en contiendrait davantage – jusqu’à 3 500 milliards de m3.
Naturellement, la découverte d’autant de gaz sur une période aussi courte modifie en profondeur les orientations stratégiques en matière d’énergie. Et c’est précisément ce que fait l’État d’Israël, d’une part, en rééquilibrant son mix électrique, composé jusqu’alors aux trois quarts de charbon et de produits pétroliers importés, au profit du gaz. Dès l’exploitation du gisement Mari-B (2005), sa part a commencé à grignoter celle du charbon ; une orientation stratégique qui ne se dément pas aujourd’hui puisque le gaz représente 41,6 % du mix électrique israélien(2).
D’autre part, en ambitionnant d’exporter une partie de ses réserves en ciblant les marchés asiatiques, par le biais d’infrastructures de liquéfaction qui permettent de transporter le gaz sur de longues distances à bord de méthaniers ; mais aussi les pays voisins (Égypte, Jordanie, Autorité palestinienne notamment) à travers des gazoducs dont certains existent déjà. La baisse du prix du baril de pétrole depuis l’été 2014 rendant de moins en moins rentables les projets d’exportation vers l’Asie en raison de coûts d’infrastructures trop importants, la stratégie régionale, moins ambitieuse techniquement, semble la plus réaliste à court terme.
Israël deviendra-t-il indépendant sur le plan énergétique grâce à son gaz ? Certainement pas.
Ces découvertes de gaz sont donc une aubaine pour l’État d’Israël qui va pouvoir réduire sa facture énergétique en limitant les importations et en générant des profits grâce à ses exportations. Pour autant, Israël deviendra-t-il indépendant sur le plan énergétique grâce à son gaz ? Certainement pas. La part du gaz naturel ne cesse d’augmenter dans le mix électrique et dans le mix énergétique du pays (près de 30% de la consommation d’énergie primaire en 2015, soit plus de quatre fois plus qu’en 2005(3)). Mais si ce gaz peut parfaitement se substituer au charbon pour la production d’électricité, il ne peut remplacer le pétrole pour tous les usages que celui-ci permet (carburant, matière première dans des processus de production industrielle, etc.). Tant qu’Israël n’aura pas fait la découverte d’abondantes réserves de pétrole, le pays ne pourra ainsi pas être totalement indépendant.
Mais l’indépendance énergétique obtenue par une production exclusivement domestique est-elle véritablement souhaitable pour l’État hébreu ? Ce n’est pas certain. Durant toute la seconde moitié du 20e siècle, contraint d’importer faute d’énergie dans un contexte de boycott des pays arabes producteurs de pétrole et de gaz, Israël était parvenu à développer une stratégie d’importation efficace, sans cesse renouvelée selon les aléas diplomatiques et le contexte géopolitique. De la sorte, l’État hébreu a toujours su éviter le scénario de la pénurie généralisée. La stratégie israélienne reposait alors, pour l’essentiel, sur la diversité des sources d’approvisionnement.
Qu’adviendrait-il de la production d’électricité du pays en cas d’attaques ou tout simplement d’accidents ?
Or, depuis la découverte des gisements de gaz naturel, la stratégie énergétique d’Israël dans le domaine électrique consiste à substituer des sources d’énergie importées auprès de divers acteurs par une seule énergie (le gaz) produit uniquement en Israël. Or, dans le contexte sécuritaire régional, qu’adviendrait-il de la production d’électricité du pays en cas d’attaques - ou tout simplement d’accidents - sur la ou les quelques plateformes qui fournissent les centrales israéliennes ? Une question qui mérite d’être posée lorsqu’on sait que l’économie israélienne, comme la plupart des systèmes de défense, fonctionne grâce à l’énergie électrique.
L’indépendance énergétique n’est donc pas toujours garante de la sécurité énergétique. Des pays ne disposant pas de ressources peuvent assurer leur sécurité en diversifiant leur mix énergétique, aussi bien en termes d’énergie consommée – pour ne pas dépendre d’une seule ressource – que de fournisseurs – pour ne pas dépendre d’un pays. A l’inverse, un État ne comptant que sur sa production domestique – ou sur un seul fournisseur – s’expose à un risque en cas de défaut de sa production – ou de son unique fournisseur. Finalement, l’un des nombreux défis que pose la découverte de gaz en Israël consiste à ne pas troquer la sécurité énergétique au nom d’une relative indépendance.
Sources / Notes
- M. de Boncourt, « Risques politiques et géopolitiques : la gouvernance du gaz en Israël », Notes de l’Ifri, décembre 2015.
- Israel Electric Corporation, « Investor presentation », août 2016.
- US Energy Information Administration, « Israel », site consulté en novembre 2016.