Gaz en Europe : provenance, consommation et dépendance

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Brûleur de gaz de cuisinière

Dans l'UE, le secteur du bâtiment (résidentiel et tertiaire) représente le premier poste de consommation de gaz : plus de 40%. (©Pixabay)

Depuis plusieurs années, la consommation de gaz en Europe suit une tendance à la baisse, accentuée par la guerre en Ukraine. Historiquement approvisionnée par les gazoducs russes, l'Europe s'est tournée massivement vers le GNL pour sécuriser ses besoins. 

Cette transition s'accompagne d'une solidarité gazière accrue entre États membres et de la montée en puissance du biogaz, tandis que les champs gaziers européens s'épuisent. Le rejet du gaz de schiste complète cette réorientation énergétique vers des solutions plus durables.

Une consommation en baisse tendancielle

Entre 1965 et 2022, la consommation de gaz en Europe a connu une croissance continue jusqu'à atteindre un pic en 2006 avec 10 348 TWh(1).

Après cette période, la consommation a fluctué, avec des baisses marquées notamment en 2009 en raison de la crise financière mondiale, et plus récemment en 2022 avec 8 740,66 TWh, en partie en réponse à la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine.

Le début des années 2000 a toutefois été une période de forte consommation, dépassant régulièrement les 10 000 TWh, avant une baisse progressive due aux politiques énergétiques visant à réduire la dépendance aux énergies fossiles. En 2021, la consommation a de nouveau frôlé les 10 092,12 TWh, mais a ensuite chuté avec une réduction notable en 2022.

Cette tendance indique que les efforts pour une transition vers des énergies renouvelables et des facteurs géopolitiques influencent désormais fortement la demande de gaz en Europe.

Evolution de la consommation de gaz naturel en Europe
AnnéeConsommation
19651595,90 TWh
19661786,63 TWh
19672008,79 TWh
19682280,01 TWh
19692583,97 TWh
19702980,24 TWh
19713407,78 TWh
19723805,59 TWh
19734218,35 TWh
19744606,60 TWh
19754989,57 TWh
19765461,02 TWh
19775792,31 TWh
19786109,83 TWh
19796470,53 TWh
19806579,62 TWh
19816774,28 TWh
19827038,41 TWh
19837458,57 TWh
19848014,57 TWh
19857673,37 TWh
19867815,64 TWh
19878216,19 TWh
19888473,38 TWh
19898641,23 TWh
19909065,90 TWh
19919232,27 TWh
19928846,30 TWh
19938842,12 TWh
19948438,88 TWh
19958537,65 TWh
19969068,16 TWh
19978655,78 TWh
19988868,49 TWh
19999048,18 TWh
20009259,32 TWh
20019413,89 TWh
20029468,50 TWh
20039779,32 TWh
200410045,52 TWh
200510212,32 TWh
200610348,00 TWh
200710317,61 TWh
200810337,45 TWh
20099588,53 TWh
201010321,89 TWh
20119939,51 TWh
20129709,16 TWh
20139549,83 TWh
20148948,59 TWh
20158898,57 TWh
20169318,17 TWh
20179572,84 TWh
20189745,77 TWh
20199753,07 TWh
20209367,04 TWh
202110092,12 TWh
20228740,66 TWh

Une baisse de la consommation accélérée par la guerre en Ukraine

L'Europe a dû réduire sa consommation de gaz suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022, alors que 40% de son approvisionnement provenait de la Russie, qui a progressivement réduit ses livraisons en réponse aux sanctions économiques. Cette situation a entraîné une flambée des prix du gaz sur les marchés européens, accentuant la crise énergétique débutée en 2021 avec la hausse de la demande asiatique et des mauvais choix européens.

Face à ces prix records et à l'incertitude sur l'approvisionnement, les pays européens ont dû prendre toute une série de mesure. Ils ont d'abord intensifié leurs efforts pour diversifier leurs sources en important davantage de gaz naturel liquéfié et en augmentant les capacités de stockage. En parallèle, des mesures de réduction de la consommation de gaz, d'efficacité énergétique et un passage accéléré vers les énergies renouvelables ont été mises en place pour atténuer les impacts économiques et éviter les pénuries.

L'Union européenne est parvenue à faire baisser sa demande de gaz de 18 % depuis l'invasion de l'Ukraine ; plus exactement entre août 2022 à mai 2024. Elle s'est prlongée et accentuée avec le temps, puisqu'elle avait été de 10% en 2022 par rapport à 2021.

Le plan REPowerEU(2) présenté par la Commission européenne visait à « réduire la dépendance de l’UE au gaz russe de deux tiers avant la fin de l’année [2022] » puis de « rendre l’Europe indépendante des combustibles fossiles russes d'ici 2027 ». Les États membres s'étaient surtout engagés(3) à réduire la demande de gaz de 15% entre août 2022 et mars 2023 par rapport à la moyenne sur cette période au cours des 5 années précédentes. L'objectif avait été dépassé, les États membres réduisant leur consommation de 17,7%, et avait été reconduit pour la période allant du 1er avril 2023 au 31 mars 2024.

La Russie a donc perdu sa place de principal exportateur de gaz en Europe, au profit de la Norvège, qui disposait déjà également d'infrastructures pour acheminer son gaz par pipeline. La Norvège a fourni près de 30 % de la totalité des importations de gaz européennes en 2023.

En milliards de mètres cubes de gaz naturel produit - Source : CIA World Factbook - Graphique : Selectra

Le rapport des Européens au gaz fossile « a profondément — et peut être irrémédiablement — été bouleversé » à la suite de l'invasion russe de l'Ukraine, résumèrent ainsi les chercheurs Phuc-Vinh Nguyen, Camille Defard et Fiona Breucker(4) dans une note de l'Institut Jacques Delors(5).

Du gaz provenant historiquement des gazoducs russes

Pendant des décennies, la Russie a abreuvé l'Europe de son gaz abondant et bon marché. Les pays ont ainsi construits des gazoducs (Brotherhood, Nord Stream, Turk Stream), développant une co-dépendance : la Russie vend les 2/3 de son gaz à l'Europe, qui achète en moyenne plus de 40% de tout son gaz à son grand voisin, dont le budget fédéral dépend majoritairement de la vente d'hydrocarbures.

Certains pays frontaliers à la Russie dépendaient à 100% du gaz russe. L'Allemagne avait une dépendance supérieure à 50%, quand celle de la France était inférieure à 20%. Aussi, certains pays consomment davantage de gaz du fait de choix faits pour le chauffage, l'industrie et la production d'électricité.

En milliards de mètres cubes de gaz naturel produit - Source : CIA World Factbook - Graphique : Selectra

La question de la sécurité d’approvisionnement gazière a commencé à être évoquée au niveau européen en 2000 dans un livre vert sur la sécurité énergétique. La Commission européenne y alertait les États membres sur les risques d’une dépendance accrue aux importations extérieures.

A l’époque, les relations avec la Russie étaient toutefois différentes de celles d’aujourd’hui. La Commission appelait encore à renforcer les partenariats avec les fournisseurs clés comme la Russie. Ce livre vert a ensuite donné lieu à une directive adoptée en 2004 qui a introduit des considérations très générales sur la sécurité d’approvisionnement imposant peu de contraintes pour les États membres.

Ce sont les crises entre Kiev et Moscou en 2006, 2009, 2014 et surtout 2022 qui ont mis à l’épreuve la fiabilité du premier fournisseur gazier de l’Union européenne.

Rappellons qu'en France, le gaz ne représente que 15,5% de la consommation d’énergie primaire, une part bien plus faible que de nombreux pays européens. Plus de 98% du gaz que nous consommons est importé mais nous disposons d’un approvisionnement gazier bien diversifié : nos importations proviennent principalement de Norvège, de Russie, des USA et des Pays Bas, et nous disposons également d’un approvisionnement en GNL grâce à nos quatre terminaux méthaniers.

Source : Ministère de la Transition Écologique - Graphique : Selectra

Les risques qui pèsent réellement sur la sécurité d’approvisionnement gazière de la France restent ainsi faibles. Lors de la crise ukrainienne de 2009, les consommateurs français n’ont d’ailleurs pas subi d’interruption de fourniture malgré une réduction de 70% des entrées de gaz en provenance de l’Allemagne durant la pointe de froid en janvier. Cela a été rendu possible grâce à la mise en œuvre du plan d’urgence français, à la sollicitation de toutes les autres sources disponibles (gaz norvégien, terminaux méthaniers) et à un recours massif au stockage.

La part du gaz russe par gazoduc dans les importations de l'UE a chuté, passant de plus de 40 % en 2021 à environ 8 % en 2023(6).

L'essor de l'approvisionnement par les méthaniers GNL

Pour compenser la chute majeure de ses approvisionnements en gaz russe, l'Union européenne a dû en augmenter fortement ses livraisons de GNL : l'UE a presque doublé ses importations de gaz par méthaniers en 2022 par rapport à 2021. Comme ce changement semblait parti pour durer, l'Europe a également fortement investi dans des projets de regazéification dans ses ports, afin de pouvoir recevoir davantage de méthaniers transportant du GNL.

Mais cette évolution créé de nouvelles vulnérabilités et dépendances pour l'Europe.

Déjà, l'essentiel de ces nouvelles importations viennent d'un acteur : les USA, qui sont devenus le premier exportateur de GNL en Europe. Les USA ont fourni près de 20 % de la totalité des importations de gaz européennes en 2023. Aussi, l'Europe a délaissé les contrats de long-termes pour le marché : elle se fournit à hauteur de 45 à 50% sur le marché spot, ce qui l’expose à un double risque de volatilité des prix et de disponibilité des volumes face à des acheteurs concurrents. Or le développement « d’une vive concurrence d’approvisionnement sur le marché du GNL est à redouter entre l’Europe de l’Ouest et l’Est de l’Asie d’une part, entre ces deux régions et les pays en développement importateurs d’autre part, et enfin à l’intérieur même de l’Union européenne », prévient le Shift Project(7).

Enfin, alors que « les importations de GNL se sont stabilisées et que la consommation de gaz est en baisse »(8) se pose désormais la question de la surcapacité européenne d'infrastructures GNL, et donc d'un surinvestissement. Selon un rapport, il pourrait ainsi y avoir 256 milliards de m3 de capacités annuelles inutilisées en Europe en 2030.

Autres fournisseurs de gaz : Qatar, Royaume-Uni, etc. - Source : Comission Européenne - Graphique : Selectra

Les mécanismes de solidarités gazières

Dès 2010, la Commission européenne a adopté un règlement sur la sécurité gazière(9), fixant plusieurs règles.

La règle du « N-1 » a notamment été imposée : si une perturbation touche une installation dans un pays, par exemple en cas de rupture des livraisons au niveau du terminal méthanier de Fos-sur-Mer en France, toutes les autres infrastructures gazières nationales doivent être en mesure de compenser cette défaillance.

Les flux gaziers européens ont souvent été conçus pour circuler de l’est vers l’ouest de l’Europe et les infrastructures ne peuvent pas forcément les acheminer en sens inverse. Le règlement de 2010 a ainsi fixé pour obligation de généraliser les flux bidirectionnels, c’est-à-dire la réversibilité des flux aux points d’interconnexion transfrontaliers. Dans les faits, il existe des exemptions, notamment lorsque les coûts sont disproportionnés au regard du besoin.

Entre 2009 et 2014, le nombre de points d’interconnexion bidirectionnels sur le réseau européen est ainsi passé de 24% à 40%(10), ce qui a permis à des pays comme la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie de pouvoir bénéficier des flux gaziers en provenance de l’ouest de l’Europe.

Malgré la capacité européenne accrue de faire face à ces crises, les craintes à Bruxelles sont restées fortes depuis début 2014, dans un contexte de tensions entre l’Union européenne et la Russie. Dès mai 2014, la Commission européenne a donné le ton en publiant une nouvelle stratégie de sécurité énergétique visant principalement à réduire la dépendance de l’UE à l’égard des approvisionnements gaziers russes.

En octobre 2014, des tests de résilience ont été conduits sur le réseau européen pour évaluer la capacité des États membres à faire face à une situation de crise. Ces tests ont démontré que le réseau européen en 2014-2015 était globalement résilient à deux simulations de crise, en plein hiver avec une vague de froid de deux semaines en février : une interruption totale des exportations russes et la fermeture de la route ukrainienne.

En février 2016, la Commission européenne a proposé un nouveau règlement portant sur la sécurité d’approvisionnement en gaz au sein de l’Union européenne. Il visait notamment à instaurer un un mécanisme de solidarité entre États membres en cas de rupture des livraisons comme lors du conflit entre la Russie et l’Ukraine de 2009. Mais qui n'avaient pas été adoptés.

Enfin, au cœur de la crise européenne des prix en 2022, la Commission avait annoncé un mécanisme temporaire de plafonnement des prix(11) qui se déclencherait quand le prix du gaz du TTF, principal marché européen du gaz, dépasserait 180€/MWh sur 3 jours et qu'il dépasserait de 35€ au prix de référence du GNL. 

Elle a aussi mis en place par la suite une plateforme d'achat groupé de gaz appelée AggregateEU(12). Cet appel permet aux acheteurs de soumettre leur demande de gaz et est conçu pour garantir la prévisibilité des approvisionnements à long terme. Les quatre premiers appels d'offres réussis en 2023 ont assuré plus de 42 milliards de mètres cubes de gaz pour l'UE.

L'extinction progressive des champs gaziers européens

L'extinction progressive des champs gaziers européens est une réalité énergétique marquante pour le continent.

  • Historiquement, des pays comme les Pays-Bas, la Norvège et le Royaume-Uni ont joué un rôle majeur dans la production de gaz naturel en Europe. Le champ de Groningen, aux Pays-Bas, était autrefois l'une des plus grandes sources de gaz en Europe, mais en raison des risques sismiques liés à l'extraction, sa fermeture progressive est prévue d'ici 2025. La production de Groningen est déjà passée de 54 milliards de mètres cubes (bcm) en 2013 à environ 5 bcm en 2022.
  • La production britannique en mer du Nord, bien que toujours active, diminue à un rythme rapide à mesure que les champs gaziers vieillissent et atteignent leurs limites de production. Le pic de production a été atteint à la fin des années 1990.
  • En Norvège, malgré des projets de prolongation de la durée de vie de certains champs, la baisse des réserves de gaz naturel est inévitable à long terme, même si ce pays reste un fournisseur majeur pour l'UE.

La diminution des ressources gazières européennes oblige les États à accélérer la transition vers des énergies renouvelables et à chercher des alternatives d'approvisionnement à l'extérieur du continent.

L'essor du biogaz en Europe

L'essor du biogaz en Europe s'inscrit dans la transition énergétique ; visant à réduire à la fois la dépendance aux énergies fossiles et aux pays extérieurs qui nous fournissent.

Le biogaz, produit à partir de la fermentation de déchets organiques agricoles, industriels ou ménagers, offre une alternative renouvelable et locale au gaz capté sous le sol et la mer. Plusieurs pays européens, comme l'Allemagne, la France et le Danemark, ont déjà développé des infrastructures significatives pour la production et l'injection de biogaz dans leurs réseaux gaziers. En 2022, environ 20 milliards de mètres cubes de biogaz ont été produits en Europe, avec une croissance continue grâce aux subventions et aux incitations gouvernementales.

D'ici 2030, l'Union européenne ambitionne de porter la production de biogaz à environ 35 milliards de mètres cubes, soit 10 % de la demande totale de gaz sur le continent. Cet objectif est soutenu par des politiques comme le Pacte vert européen et les plans nationaux visant à favoriser l'intégration des énergies renouvelables dans les secteurs de l'énergie et des transports.

Le refus du gaz de schiste

Le refus du gaz de schiste en Europe s'explique principalement par les préoccupations environnementales liées à la technique de la fracturation hydraulique, utilisée pour son extraction. 

La quasi-totalité des pays européens ont ainsi instauré des interdictions ou des moratoires sur la fracturation hydraulique, se concentrant sur des politiques énergétiques plus durables et moins risquées pour l'environnement. Cette méthode, qui consiste à injecter sous haute pression un mélange d'eau, de sable et de produits chimiques pour fracturer les roches et libérer le gaz, a suscité de vives inquiétudes en raison de son impact potentiel sur les ressources en eau potable, la pollution des sols, et le risque de tremblements de terre.

Ce refus reflète également une pression croissante de l'opinion publique, qui exige des alternatives énergétiques plus propres. En outre, le gaz de schiste est souvent perçu comme une solution à court terme dans un contexte mondial de lutte contre le changement climatique. De plus, les avantages économiques promis par l'exploitation du gaz de schiste n'ont pas toujours été au rendez-vous dans les pays qui ont tenté cette voie, comme la Pologne.

Aux États-Unis, où l'exploitation des gaz de schiste est largement répandue, les impacts environnementaux et sociaux ont également alimenté les débats à l'international, renforçant l'idée que cette ressource n'est pas une solution durable pour l'avenir énergétique. Ils ont dans le même temps permis au pays de devenir le premier producteur de gaz au monde, et apporté des centaines de milliards de dollars à l'économie du pays.

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