Forage de gaz à Carthage au Texas (©Devon Energy)
La production de gaz et de pétrole de schiste aux USA depuis 2007 a montré une croissance spectaculaire. Cette augmentation rapide et unique dans l'histoire est le reflet des avancées technologiques d'exploration et l'exploitation intensive des ressources des hydrocarbures non conventionnels.
Elle a permis à la première puissance mondiale de devenir premier producteur de gaz et de pétrole au monde en une décennie.
La révolution des gaz de schiste aux États-Unis a été largement commentée depuis que le pays est devenu le premier producteur gazier au monde en 2009. Une autre révolution a suivi avec des conséquences tout aussi significatives, celle des pétroles de schiste.
Production de gaz de schiste
Objet de nombreux débats, la fracturation hydraulique est une technique devenue courante aux États-Unis.
La production de gaz de schiste américaine est passée de 1 293 milliards de m³ en 2007 à 27 985 milliards de m³ en 2021. Cela représente une augmentation de plus de 2 000 % sur cette période. La plus forte croissance annuelle a eu lieu entre 2009 et 2010, avec une augmentation de 71,7 % (de 3 110 à 5 336 milliards de m³).
La croissance s'est stabilisée après 2018, avec des augmentations annuelles d'environ 2 à 8 %.
Année | Production en milliards de m³ |
---|---|
2007 | 1 293 |
2008 | 2 116 |
2009 | 3 110 |
2010 | 5 336 |
2011 | 7 994 |
2012 | 10 371 |
2013 | 11 415 |
2014 | 13 447 |
2015 | 15 213 |
2016 | 17 032 |
2017 | 18 589 |
2018 | 22 054 |
2019 | 25 556 |
2020 | 26 139 |
2021 | 27 985 |
Au-delà d’un calcul réducteur, rappelons que les gaz de réservoir compact et de houille jouent aussi un rôle important dans la production gazière américaine. Ils constituent, avec le gaz de schiste, les gaz dits « non conventionnels ».
Rappelons également qu'aux Etats-Unis, la manne financière profite non seulement aux industriels mais également aux propriétaires des terrains, percevant des royalties, et aux autorités locales.
Réserves de gaz de schiste
Les réserves de gaz de schiste détenues par les Américains étaient de 23 304 milliards de m³ en 2007 et ont atteint 393 779 milliards de m³ en 2021, marquant une augmentation de près de 1 590 %.
La croissance en 2021 (+23,9 %) reflète une reprise importante après la baisse de 2020.
Année | Réserves en milliards de m³ |
---|---|
2007 | 23 304 |
2008 | 34 428 |
2009 | 60 644 |
2010 | 97 449 |
2011 | 131 616 |
2012 | 129 396 |
2013 | 159 115 |
2014 | 199 684 |
2015 | 175 601 |
2016 | 209 809 |
2017 | 307 903 |
2018 | 342 135 |
2019 | 353 086 |
2020 | 317 756 |
2021 | 393 779 |
Évolution des réserves, de la production et des importations de gaz naturel aux États-Unis entre 1982 et 2014 (©Connaissance des Énergies, d'après EIA)
Pour rappel, les réserves prouvées de pétrole ou de gaz naturel désignent l’ensemble des quantités de pétrole ou de gaz dont les chances de récupération et de rentabilisation sont quasiment certaines (réserves aussi dites « 1P » avec une probabilité d’au moins 90%).
La hausse des réserves américaines de pétrole et de gaz naturel est principalement due à de nouvelles « découvertes » qui incluent la découverte de nouveaux champs mais aussi l’identification de nouveaux réservoirs dans les gisements exploités ou l’extension de ces derniers. Ce sont en particulier ces nouvelles ressources dites « non conventionnelles » qui ont permis d’augmenter les réserves américaines.
Près de 75% des nouvelles réserves de gaz naturel aux États-Unis comptabilisées en 2014 concernent ainsi des réserves de gaz de schiste. A fin 2014, les réserves américaines de gaz de schiste constituent désormais 51% de l’ensemble des réserves de gaz des États-Unis (contre 45% à fin 2013). Notons que 90% de ces réserves de gaz de schiste sont réparties entre sept grands bassins parmi lesquels celui de Marcellus en Pennsylvanie et en Virginie-Occidentale et ceux de Barnett et d'Eagle Ford au Texas.
Évolution de la part des gaz de schiste dans les réserves américaines de gaz naturel depuis 2007 (©Connaissance des Énergies, d'après EIA)
La production gazière américaine est principalement extraite du bassin de Marcellus qui est en grande partie située sous la Pennsylvanie. Ses puits produisent quotidiennement environ 113 000 m3 et pourraient être exploités pour produire du gaz pendant jusqu'à 2075 voire 2100. La Pennsylvanie comptait 13 000 puits en 2024.
Répartition des réserves américaines de gaz naturel à fin 2014 (©Connaissance des Énergies, d'après EIA)
Exportation de schiste
Grâce à leurs exportations de GNL, les USA sont devenus le premier producteur de gaz naturel dès 2009, et le demeurent aujourd'hui. La première cargaison de gaz de schiste en Europe a eu lieu en 2016, et s'est depuis fortement accélérée.Lles conséquences de la première vague de terminaux d’exportation américains se sont véritablement faits sentir à partir de 2018.
Sur les 6 cargaisons exportées à partir de l’unité de Sabine Pass entre février et fin avril 2016, une seule avait eu pour destination l’Europe (le Portugal). Indexées sur le prix spot du gaz américain, les exportations de GNL des États-Unis se font vers les pays offrant le « netback » le plus élevé (meilleure marge en déduisant le prix du GNL livré, les coûts de transport et de mise à disposition), notamment l’Amérique latine, l’Inde et le Moyen-Orient(1).
Alors que l'Europe a dû apprendre à se passer de gaz russe, elle a dû importer du gaz de schiste américain pour compenser. Le GNL américain a permis de renforcer la sécurité d’approvisionnement européenne.
La France, qui s'était un temps déclarée opposée aux importations de gaz de schiste américain (dont les molécules ne peuvent toutefois, être distinguées de celles du gaz « conventionnel » dans le GNL importé), est son principal acheteur européen en 2023.
En milliards de mètres cubes de gaz naturel produit - Source : Enerdata - World Energy and Climate Statistics - Graphique : Selectra
Au global, les exportations d’énergie ont quintuplé entre 2002 et 2018, fortement soutenues par les hydrocarbures non conventionnels. Les États-Unis sont importateurs nets d’énergie depuis 1953 et un pic avait été atteint en 2005, poussant le pays à accélérer dans son exploitation des gaz et pétroles de schiste.
Production de pétrole de schiste
La production de pétrole de schiste aux USA était de 146 milliards de m³ en 2007 et est passée à 3073,3 milliards de m³ en 2023. Cela représente une augmentation stratosphérique de 2005 %.
Les années 2011 à 2013 ont vu des augmentations particulièrement significatives, avec des hausses respectives de 59,8 % (de 445,3 à 737,3 milliards de m³) et 43,9 % (de 1061,15 à 1439,75 milliards de m³). La période de 2015 à 2016 a montré une légère baisse de 7,3 % (de 1689,95 à 1566,85 milliards de m³), reflétant des fluctuations potentielles du marché.
Grâce à ses pétroles de schiste, aussi qualifiés de « light tight oil » (LTO), les États-Unis sont devenus en avril 2014 les premiers producteurs mondiaux d’hydrocarbures liquides et ont réduit leur dépendance pétrolière aux importations à 27% en 2014 (contre 60% en 2005). Le déficit commercial américain a ainsi été fortement réduit.
La production de pétroles de schiste aux États-Unis représentait déjà plus de la moitié de la production américaine de pétrole et de condensats en 2014.
Année | Production en millions de barils |
---|---|
2007 | 146 |
2008 | 178,85 |
2009 | 208,05 |
2010 | 277,4 |
2011 | 445,3 |
2012 | 737,3 |
2013 | 1 061,15 |
2014 | 1 439,75 |
2015 | 1 689,95 |
2016 | 1 566,85 |
2017 | 1 759,3 |
2018 | 2 317,75 |
2019 | 2 760,35 |
2020 | 2 613,4 |
2021 | 2 624,35 |
2022 | 2 830,05 |
2023 | 3 073,3 |
La période récente de 2021 à 2023 a vu une croissance plus stable mais toujours notable, avec une augmentation de 17,1 % (de 2624,35 à 3073,3 milliards de m³).
L'exploitation des pétroles de schiste ont permis aux USA de devenir le premier producteur de pétrole au monde, devant l'Arabie Saoudite.
Source : The Energy Institute Statistical Review of World Energy - Graphique : Selectra
Réserves de pétrole de schiste
En 2012, les réserves étaient de 33 403 millions de barils et ont atteint 48 321 millions de barils en 2022, ce qui représente une augmentation de 44,6 % en dix ans. Les pics de réserves de brut et condensats ont été en 2018, 2019 et 2022.
Année | Réserves en millions de barils |
---|---|
2012 | 33 403 |
2013 | 36 520 |
2014 | 39 933 |
2015 | 35 230 |
2016 | 35 213 |
2017 | 41 990 |
2018 | 47 053 |
2019 | 47 172 |
2020 | 38 212 |
2021 | 44 418 |
2022 | 48 321 |
Évolution des réserves, de la production et des importations de pétrole aux États-Unis entre 1982 et 2014 (©Connaissance des Énergies, d'après EIA)
Cependant, il y a eu une baisse notable en 2015 et 2016. En juillet 2014, le prix du baril de brut « WTI » (West Texas Intermediate) a atteint 106,06 $. Il a par la suite chuté sous la barre des 70 $ début décembre 2014 et a continué à baisser au cours de l’année 2015 pour atteindre 44,75$ début octobre 2015. Sur la base des moyennes de prix le premier jour de chaque mois, l’EIA rappelle que le prix du baril a ainsi chuté de 47% entre la moyenne de 2014 (94,56 $) et la moyenne estimée de 2015 (50,36$).
Lors d’une baisse des cours, les réserves diminuent surtout mécaniquement à moyen terme puisque le manque d’investissements en exploration ne permet pas de renouveler les stocks disponibles.
Dans ce contexte de la chute des prix, la question de la rentabilité des forages particuliers s'est posée. Une étude de l'IFRI(2) présentait les prix d’équilibre, tout en mettant en garde sur le fait que ceux-ci varient fortement d’un puits à un autre, et concluait - à raison - sur la résistance de la filière.
A long terme, l’amélioration du taux de récupération, le « re-fracking » et une meilleure efficacité globale de l'exploitation ont permis d’augmenter à nouveau la production américaine.
Une autre baisse a eu lieu en 2020, de 19 % (à 38 212 millions de barils), due à des facteurs économiques liée aux restrictions liées à la pandémie.
Répartition des réserves américaines de pétrole à fin 2014 (©Connaissance des Énergies, d'après EIA)
Séismes et fractures de l’opinion américaine
La fracturation hydraulique consiste à fracturer des formations géologiques sédimentaires compactes et imprégnées d’hydrocarbures en y injectant un fluide sous haute pression. Ledit fluide est généralement composé d’eau mais aussi de sable et d’un certain nombre d’additifs qui permettent de maintenir les failles ouvertes pour en extraire notamment des hydrocarbures dits « non conventionnels » (comme les gaz et huiles de schiste).
La fracturation hydraulique, qui s’accompagne souvent d’un forage horizontal, est un procédé employé depuis près de 70 ans mais il a véritablement pris tout son essor avec la révolution des hydrocarbures non conventionnels aux États-Unis : en 2015, près de 300 000 puits de gaz naturel ont été « fracturés » contre environ 26 000 en 2000, année durant laquelle moins de 7% de la production de gaz américaine avait été extraite après fracturation.
Évolution de la production américaine de gaz naturel depuis 2010 (©Connaissance des Énergies)
Bien qu’elle soit utilisée depuis plusieurs décennies, la fracturation hydraulique a fait l’objet de vifs débats et critiques avec la forte croissance de la production de gaz de schiste aux États-Unis qui a mobilisé de nombreux petits acteurs, dont certains ont réalisé des opérations de forage au mépris du respect de l’environnement : des problèmes de tubage à la traversée de nappes phréatiques (non liés à la fracturation hydraulique, beaucoup plus profonde) ont notamment entraîné des pollutions mais ce risque existe quel que soit la nature du puits, rappelle Roland Vially, géologue à IFP Énergies nouvelles. Il est de fait plus important lors de l’extraction des gaz de schiste qui exige la multiplication des puits et des opérations de fracturation.
Toutefois, les seuls risques qui soient « directement associés » à la fracturation hydraulique sont les séismes pouvant être engendrés, indique Roland Vially. Selon l’USGS, organisme gouvernemental américain en charge des études géologiques, le nombre de séismes d’une magnitude supérieure à 3 sur l’échelle de Richter(2) a augmenté de plus de 300 fois en 2015 par rapport à 2010. La relation entre fracturation et séismes est « particulièrement évidente dans l’Oklahoma et le nord du Texas », précise Roland Vially mais la fracturation en elle-même produit uniquement de « touts petits tremblements de terres non ressentis en surface ».
Un rapport de l'Agence de protection de l'environnement (EPA) des États-Unis, publié en décembre 2016, concluaitt que l'extraction de gaz de schiste par fracturation hydraulique peut nuire à la qualité et à la disponibilité de l'eau potable. Cette évaluation, basée sur plus de 1 200 études scientifiques et des avis indépendants, fournit des preuves que la fracturation hydraulique, dans certaines conditions, peut avoir des effets néfastes sur les ressources en eau. Le rapport, commandé par le Congrès, est la plus vaste compilation à ce jour des données scientifiques sur ce sujet.
L'EPA souligne également que l'extraction utilise d'importantes quantités d'eau, réduisant la disponibilité des réserves, tandis que les eaux usées, réinjectées dans le sol, contiennent des substances chimiques susceptibles de contaminer les nappes phréatiques. Le rapport évoque aussi le risque lié aux structures de puits potentiellement fragiles, qui pourraient compromettre l'intégrité des systèmes sous pression utilisés pour fracturer les roches. Malgré ces conclusions, des incertitudes persistent dans les données, limitant la capacité de l'EPA à évaluer pleinement les impacts de la fracturation hydraulique sur les ressources en eau à différents niveaux.
La multiplication des séismes est de plus due en grande partie à la réinjection après fracturation de l’eau « usée » (remontée en surface avec les hydrocarbures) dans des « puits poubelles », pratique interdite en France où l’eau usée doit être retraitée. « L’ajout d’eau sous pression modifie localement les contraintes tectoniques et peut entraîner un rejeu(3) des failles qui libèrent alors toute l’énergie accumulée depuis des milliers d’années », explique Roland Vially. Selon le géologue, l’intensité des séismes concernés (jusqu’à 5,7 de magnitude fin 2011 à Prague dans l’Oklahoma) ne dépasserait toutefois pas celle des séismes « classiques » dans les zones considérées(4).
Des études préalables des contraintes tectoniques et des réseaux de failles préexistantes permettent de définir les zones à risque où une interdiction de la fracturation hydraulique (et de la réinjection d’eau usée) est nécessaire. Elles ont d’ailleurs fait l’objet d’une réglementation particulière au Royaume-Uni après deux légers séismes près de Blackpool en 2011.
L’opinion américaine reste pour sa part partagée vis-à-vis de la fracturation hydraulique en fonction de l’orientation politique des personnes interrogées (ainsi que de leurs connaissances sur cette technique) selon les travaux de chercheurs de l’Université britannique de Plymouth(5).
En 2022, 48% des habitants de l'État de Pennsylvanie, principal producteur de gaz de schiste aux USA s'y disaient favorables contre 44% contre, selon un sondage du Muhlenberg College Institute of Public Opinion. Et 86% des personnes interrogées affirmaient que cette industrie était positive pour l'économie. Le secteur emploie 120 000 personnes, payées en moyenne 97 000 dollars par an.
L'exploitation des gaz et pétroles de schiste n'est pas remise en cause par les Démocrates ni les Républicains.